lundi 4 novembre 2019

Les fantasmes de Lucie (75)



Dessin de Luc Lafnet

Elle ne s’était pas encore décidée.
– Pour le magasin de sapes, avenue Berlioz, là ! Enfin, si ! Si ! On ira. Mais pas tout de suite. Faut d’abord que je me fasse à l’idée.
– Que tu t’y fasses ou que tu la caresses longuement ? Et voluptueusement ?
Elle a ri.
– Peut-être bien les deux.
Et soupiré.
– C’est pas drôle, en fait. Parce que c’est sans arrêt que je me retrouve dans de ces situations ! À croire que je les cherche.
– Ce qu’est pas impossible.
– Non, parce que tu sais pas ce qui m’est arrivé un jour ?
– Oh, là là ! Je crains le pire.
J’étais au marché, tranquille. Je me baladais entre les étals, le nez au vent, quand il y a une marchande de fruits et légumes qui s’est mise à hurler : « C’est elle ! C’est elle ! Elle vient me narguer jusqu’ici, cette petite saloperie, en plus ! » Elle s’est précipitée sur moi. Hein ? Mais qu’est-ce qu’elle me voulait cette folle ? Elle m’a attrapée par le bras, solidement maintenue. « Alors ? Il te plaît bien, mon Baptiste, à ce qu’il paraît ? » « Mais pas du tout ! Mais lâchez-moi enfin ! » Elle m’a lancé une gifle, à toute volée. « Menteuse ! T’étais pas avec lui hier dans la grange du Léonard peut-être ? Même qu’on t’entendait miauler à des kilomètres ! » Une autre gifle. « Oh, mais tu vas me payer ça, ma petite ! Tu vas me payer ça ! Il va s’en souvenir, ton cul ! » Et elle m’a empoignée malgré mes véhémentes protestations, courbée en avant, mis le derrière à l’air, là, devant tout le monde, et elle a tapé. Avec un truc en cuir qui faisait un mal de chien. Qui m’a fait hurler et battre tant et plus des jambes. Il y avait tout un tas de monde autour à profiter du spectacle : les autres marchandes qui rigolaient et qui l’encourageaient tout ce qu’elles savaient. « Allez, vas-y, Émilienne ! Ces petites traînées, il y a que ça que ça comprend. » Et puis des clientes. De plus en plus de clientes au fur et à mesure que ça durait. Ça faisait tout un cercle. Des hommes aussi. Tu sais comment ils sont, ceux-là : ils n’en perdaient pas une miette. Et ils se pourléchaient les babines de me voir comme ça, à poil, en train de me faire corriger comme une gamine. Alors je peux te dire que, quand elle m’a enfin lâchée : « Et remets-y le nez à mon Baptiste pour voir ! », j’ai filé sans demander mon reste. Sous les huées et les éclats de rire.
– Elle t’avait prise pour une autre, en fait !
– Ah, ben ça ! N’empêche qu’elle m’avait mis le derrière dans un état ! Presque une semaine elles y sont restées les marques.
– Mais c’est un fantasme ou ça s’est vraiment passé ?
Elle s’est blottie contre moi.
– Je sais pas. Je sais plus. Mais je dois être un peu folle quand même ! Parce que tu sais ce que je préfère ? C’est les fessées qui sont pas justes. Que j’ai pas méritées. Et de loin.

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