lundi 11 novembre 2019

Les fantasmes de Lucie (76)



On ne se quitte plus, toutes les deux, avec Bianca. Elle me fascine. Elle me fascine littéralement. Je prends un plaisir fou à l’écouter. Même si… elle ment beaucoup. Tu ne sais jamais, avec elle, si c’est du lard ou du cochon, si ce qu’elle te raconte a vraiment eu lieu ou pas. Ce n’est pas vraiment qu’elle mente en fait, c’est que ses fantasmes sont, à ses yeux, aussi vrais que la réalité. Que ce qu’elle imagine, c’est comme si elle l’avait vécu pour de bon. Encore plus, parfois, que ce qu’elle a réellement vécu.
Au début, je tenais absolument à savoir.
– Mais c’est vrai ou pas ?
Elle me faisait taire d’un baiser.
– Mais bien sûr que c’est vrai ! Tout est toujours vrai quand on croit que ça l’est.
Et elle se lançait dans une nouvelle anecdote.
– Tiens, tu sais pas ce qui m’est arrivé un jour ? J’étais toute jeune. Dix-huit ans. Et j’avais une copine, un peu plus âgée que moi, qui avait toujours l’air de penser que j’étais complètement coincée. Ça m’énervait. Comment ça pouvait m’énerver ! Et je protestais. « Coincée, moi ? Peut-être moins que toi, si ça tombe. » « Ah, oui ? Eh ben, prouve-le alors ! » Quand elle voudrait. C’était pas un problème. Et elle m’a prise au mot. « Je connais des types, là, ils adorent ça donner des fessées… Alors si le cœur t’en dit… » Hein ? Des fessées ? Non, mais elle était vraiment pas bien, elle, dans sa tête ! « Oui, ben alors là, sûrement pas ! Et puis quoi encore ! » Elle a pris son petit air entendu. Dans le registre : « Tu vois, je le savais bien ! T’es complètement coincée. » Ce qui m’a mise en rage. Mais si, j’allais y aller ! Bien sûr que j’allais y aller ! Si elle croyait que c’était une fessée qu’allait me faire peur. En réalité, j’étais morte de trouille. Et d’appréhension. Comment ça devait faire mal, une fessée ! Et comment ça devait être humiliant ! Mais je n’aurais reculé pour rien au monde. Je n’allais sûrement pas lui donner cette satisfaction.
– C’est tout toi, ça !
– Et, un soir, je me suis retrouvée attachée sur un banc, sans plus pouvoir bouger, complètement entravée, avec cinq ou six types impassibles tout autour. Pas un mot. Pas une réaction. Rien. Tu peux pas savoir comment c’est angoissant.
– Oh, que si !
– Et ça a duré, comme ça, un temps qui m’a paru interminable. Ils fumaient. Ils tournaient autour du banc. Ils sortaient. Ils rentraient. J’en arrivais à espérer que ça tombe. Une bonne fois pour toutes. Qu’on en finisse ! De temps en temps ma copine s’approchait. « Alors, ça va ? Il est toujours temps de renoncer, si tu veux. » Il n’en était pas question. Sûrement pas alors là, non. C’est venu d’un coup, par derrière, par surprise. Une grande cinglée, une seule, au fouet, qui m’a arraché un cri déchirant. Et le type s’est éloigné. Le silence est retombé. On ne s’est plus préoccupé de moi. Il s’est passé une bonne dizaine de minutes et puis il y en a eu un autre qui, à son tour, m’a lâché, avec le même fouet, un grand coup sur les fesses. Et qui a ri : « J’aime bien comme elle piaule ! » Du temps est encore passé et puis il y en a eu un troisième. Même punition. Un coup, un seul. Et encore des rires : « Oui, elle a une belle voix. » C’est avec le quatrième que tout a changé. Des coups, avec lui, il y en a eu plusieurs. Une multitude. Assénés avec force. À intervalles réguliers. J’ai hurlé. Que ça faisait mal ! Oh, mon Dieu, que ça faisait mal ! Ça faisait mal, oui ! C’était insupportable. Et puis, en même temps, en arrière fond, ça avait quelque chose de pas si désagréable que ça. Quelque chose qui a pris corps. Qui s’est épanoui. Un plaisir. Qui s’est affirmé. Qui s’est fait intense. Et j’ai joui. J’ai joui comme une perdue sous les cinglées, sous leurs yeux, sous leurs rires. « Eh ben ! C’est qu’il faut pas lui en promettre à la petite jeune fille ! » On m’a détachée. Comment j’avais honte ! Mais ça aussi, la honte, comment c’était bon ! On m’a regardée me rhabiller. « Et tu reviens quand tu veux, hein ! »
– T’y es retournée ?
– Oui. Mais ça n’a pas été aussi intense que la première fois. Et de loin.
– Et ta copine ?
– Je l’avais mouchée. Et ça s’est considérablement distendu entre nous, du coup. Mais ça m’était bien un peu égal.
Elle est venue se blottir contre moi.
– Fais-moi l’amour ! Ça m’a trop excitée de te raconter tout ça…

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