On ne se quitte plus, toutes les deux, avec Bianca. Elle me fascine.
Elle me fascine littéralement. Je prends un plaisir fou à
l’écouter. Même si… elle ment beaucoup. Tu ne sais jamais, avec
elle, si c’est du lard ou du cochon, si ce qu’elle te raconte a
vraiment eu lieu ou pas. Ce n’est pas vraiment qu’elle mente en
fait, c’est que ses fantasmes sont, à ses yeux, aussi vrais que la
réalité. Que ce qu’elle imagine, c’est comme si elle l’avait
vécu pour de bon. Encore plus, parfois, que ce qu’elle a
réellement vécu.
Au début, je tenais
absolument à savoir.
– Mais c’est
vrai ou pas ?
Elle me faisait
taire d’un baiser.
– Mais bien
sûr que c’est vrai ! Tout est toujours vrai quand on croit
que ça l’est.
Et elle se lançait
dans une nouvelle anecdote.
– Tiens, tu
sais pas ce qui m’est arrivé un jour ? J’étais toute
jeune. Dix-huit ans. Et j’avais une copine, un peu plus âgée que
moi, qui avait toujours l’air de penser que j’étais complètement
coincée. Ça m’énervait. Comment ça pouvait m’énerver !
Et je protestais. « Coincée, moi ? Peut-être moins que
toi, si ça tombe. » « Ah, oui ? Eh ben, prouve-le
alors ! » Quand elle voudrait. C’était pas un problème.
Et elle m’a prise au mot. « Je connais des types, là, ils
adorent ça donner des fessées… Alors si le cœur t’en dit… »
Hein ? Des fessées ? Non, mais elle était vraiment pas
bien, elle, dans sa tête ! « Oui, ben alors là, sûrement
pas ! Et puis quoi encore ! » Elle a pris son petit
air entendu. Dans le registre : « Tu vois, je le savais
bien ! T’es complètement coincée. » Ce qui m’a mise
en rage. Mais si, j’allais y aller ! Bien sûr que j’allais
y aller ! Si elle croyait que c’était une fessée qu’allait
me faire peur. En réalité, j’étais morte de trouille. Et
d’appréhension. Comment ça devait faire mal, une fessée !
Et comment ça devait être humiliant ! Mais je n’aurais
reculé pour rien au monde. Je n’allais sûrement pas lui donner
cette satisfaction.
– C’est
tout toi, ça !
– Et, un
soir, je me suis retrouvée attachée sur un banc, sans plus pouvoir
bouger, complètement entravée, avec cinq ou six types impassibles
tout autour. Pas un mot. Pas une réaction. Rien. Tu peux pas savoir
comment c’est angoissant.
– Oh, que
si !
– Et ça a
duré, comme ça, un temps qui m’a paru interminable. Ils fumaient.
Ils tournaient autour du banc. Ils sortaient. Ils rentraient. J’en
arrivais à espérer que ça tombe. Une bonne fois pour toutes. Qu’on
en finisse ! De temps en temps ma copine s’approchait.
« Alors, ça va ? Il est toujours temps de renoncer, si tu
veux. » Il n’en était pas question. Sûrement pas alors là,
non. C’est venu d’un coup, par derrière, par surprise. Une
grande cinglée, une seule, au fouet, qui m’a arraché un cri
déchirant. Et le type s’est éloigné. Le silence est retombé. On
ne s’est plus préoccupé de moi. Il s’est passé une bonne
dizaine de minutes et puis il y en a eu un autre qui, à son tour,
m’a lâché, avec le même fouet, un grand coup sur les fesses. Et
qui a ri : « J’aime bien comme elle piaule ! »
Du temps est encore passé et puis il y en a eu un troisième. Même
punition. Un coup, un seul. Et encore des rires : « Oui,
elle a une belle voix. » C’est avec le quatrième que tout a
changé. Des coups, avec lui, il y en a eu plusieurs. Une multitude.
Assénés avec force. À intervalles réguliers. J’ai hurlé. Que
ça faisait mal ! Oh, mon Dieu, que ça faisait mal ! Ça
faisait mal, oui ! C’était insupportable. Et puis, en même
temps, en arrière fond, ça avait quelque chose de pas si
désagréable que ça. Quelque chose qui a pris corps. Qui s’est
épanoui. Un plaisir. Qui s’est affirmé. Qui s’est fait intense.
Et j’ai joui. J’ai joui comme une perdue sous les cinglées, sous
leurs yeux, sous leurs rires. « Eh ben ! C’est qu’il
faut pas lui en promettre à la petite jeune fille ! » On
m’a détachée. Comment j’avais honte ! Mais ça aussi, la
honte, comment c’était bon ! On m’a regardée me rhabiller.
« Et tu reviens quand tu veux, hein ! »
– T’y es
retournée ?
– Oui. Mais
ça n’a pas été aussi intense que la première fois. Et de loin.
– Et ta
copine ?
– Je l’avais
mouchée. Et ça s’est considérablement distendu entre nous, du
coup. Mais ça m’était bien un peu égal.
Elle est venue se
blottir contre moi.
– Fais-moi
l’amour ! Ça m’a trop excitée de te raconter tout ça…
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