Je suis allée la secouer.
– Océane !
Elle
a grogné.
– Oui.
Quoi ?
– Il
est neuf heures. Et tu bosses aujourd’hui, non ?
– J’irai
pas. J’ai pas envie. J’appellerai.
Elle
s’est redressée, a bâillé à se décrocher la mâchoire.
– Je
suis pas en état de toute façon. Non, mais comment j’ai la tête
dans le cul !
Et
elle a brusquement proclamé, d’un ton péremptoire.
– Mais
j’étais pas saoule hier soir, hein, faut pas croire !
– Saoule,
non ! Mais bien entamée, oui. Ce qui revient finalement au
même. Tu vas y avoir droit, ce qu’il y a de sûr. Et Julien ne va
pas te ménager.
– Je
sais, oui !
– Ce
que je comprends pas… T’aurais pu y échapper. Tu serais allée à
l’hôtel, t’aurais tranquillement cuvé et on n’y aurait vu que
du feu. Mais non ! Il a fallu que tu viennes te jeter en direct
dans la gueule du loup.
– Me
défiler ? Pour traîner ma culpabilité pendant des semaines et
des semaines ? Ah, non, non ! C’est moi qui ai demandé,
et ce sans la moindre ambiguïté, à être punie, dans mon propre
intérêt, chaque fois que je repiquerais à l’alcool. C’est la
seule chose qui soit réellement efficace avec moi. Une bonne fessée.
Pas le moindre doute là-dessus. Alors si je veux arriver à finir
par complètement en sortir…
Elle
s’est perdue quelques instants dans ses pensées.
– Non.
Et puis il y a pas que ça. Il y a pas que pour avoir bu qu’il va
me punir, ce coup-ci, Julien. Il y a autre chose. De beaucoup plus
grave. Sur quoi il m’a fait mettre le doigt. Il est redoutable, ton
mari, quand il veut. Il sait appuyer là où ça fait mal. Et il te
lâche pas. Jusqu’à ce que t’aies le nez dessus. Et dedans.
Alors personne le saura, personne s’en doutera, peut-être même
pas lui, mais, dans ma tête à moi, c’est pour quelque chose de
complètement différent que je vais la recevoir, la fessée.
– Je
voudrais pas être indiscrète, mais si ça peut te faire du bien
d’en parler…
– Ce
qui me sidère, ce qui me sidère complètement, c’est qu’on peut
faire des trucs, systématiquement, obstinément, pendant des années
et des années, sans même s’apercevoir qu’on les fait.
– Quels
trucs ?
– Je
supporte pas que les autres soient en couple en fait. Dès que j’en
ai un dans les parages, je fais tout pour le détruire.
Systématiquement. Je me rendais pas compte, mais si, oui. Maintenant
que j’ai le nez dessus, c’est une évidence. Et je peux être
très très retorse si je veux. C’est à la nana que je m’en
prends. Jamais au mec. Ça me sauterait trop aux yeux sinon ce que je
suis en train de faire. J’aurais trop ouvertement l’air de la
petite salope briseuse de ménages. Alors non. Je fais amie-amie avec
la femme. J’entre en confidences. Réelles ou inventées. Je la
pousse à s’épancher à son tour. À me parler de son compagnon.
Et je cherche la faille. Il y en a toujours une. Un défaut, une
manie chez lui qui la hérisse. Je monte ça en épingle. J’en
rajoute une couche. J’en débusque d’autres, des défauts. De
toute sorte. Elle le défend. Mollement. Avec moins en moins de
conviction. Peu à peu, au fil de nos échanges, il lui apparaît
sous un jour radicalement différent, fort peu séduisant. Et elle
s’interroge. Non, mais comment est-ce qu’elle a pu aller
s’enticher d’un type pareil ? Qu’est-ce qu’elle a bien
pu lui trouver ? Comment elle arrive à le supporter ? Plus
rien de ce qu’il dit, plus rien de ce qu’il fait ne trouve grâce
à ses yeux. La séparation est toute proche. Ce n’est plus qu’une
question de semaines, voire de jours.
– Mais
à toi, ça t’apporte quoi, ça, à toi ?
– Je
me le suis aussi demandé. Toute la soirée d’hier. Et j’ai fini
par trouver. C’est qu’un type avec une nana, il est pas
disponible pour moi. Et ça, je supporte pas. Ce que je voudrais, au
fond, c’est qu’ils soient tous célibataires, sans attaches, que
je puisse puiser à ma guise dans le tas, si j’ai envie.
– Eh,
ben dis donc !
– Je
sais oui, c’est pas très joli, tout ça ! Et j’ai honte
maintenant que je sais, que j’ai réalisé. Tu peux pas savoir
comment j’ai honte…
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