Aquarelle de Gottfried Sieben
Cordelia n’en
parlait plus. Plus vraiment.
Je l’interrogeais
du coup.
– Alors,
Émilie ? Ça donne quoi ?
Elle haussait les
épaules.
– Rien.
J’avais cru, mais non. Elle est pas vraiment réceptive à tout ça,
en fait. Et toi, Bianca ?
– Non plus,
non. Je laisse tomber.
C’était faux.
Archi-faux. Mais j’avais pas du tout envie de la partager avec
elle, Bianca. Ni avec qui que ce soit. Surtout que maintenant qu’elle
avait ouvert la boîte à fantasmes… Elle saisissait la moindre
occasion.
– Tu vois ces
types, là, à droite ?
On était au
restaurant.
– Hein ?
Tu les vois ?
Des militaires en
uniforme.
Ben oui, je les
voyais, oui.
– Ça me
rappelle quelque chose.
Son regard s’est
perdu dans les lointains.
– Oui, ça me
rappelle… Je venais d’avoir une déception amoureuse. Le méga
truc. J’étais au quatrième dessous et j’avais voulu foutre le
camp. Le plus loin possible. À l’étranger. J’avais trouvé, un
peu par hasard, une place de serveuse dans une auberge et, sur le
moment, je n’en demandais pas plus. Sauf qu’il y en avait une
autre de serveuse qui m’avait tout de suite prise en grippe. Je lui
faisais de l’ombre. Elle était vieille, j’étais jeune. Pas trop
mal foutue. On me tournait autour. Elle supportait pas. Et un beau
jour, pendant mon service, grand branle-bas de combat dans les
étages. Ça criait. Ça courait dans tous les sens. Ça a fini par
surgir dans la salle en bas. On s’est précipité sur moi. Deux
soldats. Plus un espèce de notable qui servait plus ou moins de juge
de paix. Et les patrons. On me crie dessus. On parle vite. Je ne
maîtrise pas bien la langue, mais je finis tout de même par
comprendre qu’on me reproche d’avoir volé la recette de la
veille, qu’on a fouillé toutes les chambres et qu’on l’a
retrouvée sous mon matelas. J’ai eu beau protester, me débattre
comme un beau diable. Rien n’y a fait. À leurs yeux, j’étais
incontestablement et définitivement coupable. Il y a bien eu un
simulacre de procès, vite fait, dans la pièce voisine. On a
prononcé une sentence dont je n’ai pas compris la moitié des mots
et je me suis retrouvée à genoux, la tête plaquée contre un
tabouret, les fesses à l’air… Et il y a un des deux soldats qui
m’a flagellée. Ah, il y est allé de bon cœur, le bougre !
Ça faisait mal, mais comment ça faisait mal ! Ça mordait, ça
brûlait, ça déchirait. Et moi, je criais, je chialais, je
suppliais. Ce qui lui était complètement égal. Il continuait,
imperturbable. Avec l’autre espèce de saloperie de vieille
serveuse dans l’embrasure de la porte qui se régalait à me voir
gigoter et me tortiller
– C’était
elle qui…
– Évidemment
que c’était elle. Qui voulais-tu que ce soit ? C’était
elle qu’avait planqué le pognon sous mon matelas. À cinquante
coups j’ai eu droit. Cinquante. Après quoi on m’a virée comme
une malpropre. Et je peux t’assurer que je suis pas restée à
traîner dans les parages.
– J’imagine…
Mais tu sais quoi, Bianca ?
– Non.
– Je mouille.
Et pas qu’un peu.
– Oh, voilà
une nouvelle qu’elle est bonne ! Finis vite ton dessert qu’on
aille en profiter.
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