jeudi 26 avril 2018

Quinze ans après (3)

Dès le lendemain matin, j’avais cinq messages dans ma boîte. Dont deux ont tout particulièrement retenu notre attention. D’abord une certaine Andréa, vingt-cinq ans, caissière dans une grande surface, qui disait passer le plus clair de son temps devant des vidéos de fessées. « Une véritable drogue ! À peine rentrée du boulot, je me précipite devant mon écran. Le week-end, je me terre chez moi. Je ne vois personne. Je ne pense plus qu’à ça. Je ne vis plus que pour ça. Alors en parler avec quelqu’un qui partage la même passion ? Oui, oui et encore oui. »
Coxan était aux anges.
– Ça va le faire, celle-là ! Je suis sûr que ça va le faire. Te loupe pas, hein ! Surtout te loupe pas !
– C’est ça ! Mets-moi bien la pression !
– Mais non, mais…

Roxane, quant à elle, avait quarante ans, un mari et des fantasmes plein la tête. Des fantasmes dont elle ne s’était, jusque là, ouverte à personne. « Ils me faisaient bien trop honte. Je me disais que j’étais pas normale. Et puis de voir que je suis pas la seule, ça me rassure. Au moins un peu. Alors peut-être que d’en parler, ça me permettra de l’apprivoiser complètement. Peut-être. Je sais pas. »
– Elles n’en ont jamais reçu. Ni l’une ni l’autre. Je suis sûr qu’elles n’en ont jamais reçu. Si tout se passe bien, tu vas avoir la primeur. Génial, non ?

À Andrea j’ai répondu que j’étais moi aussi ravie de pouvoir « en » parler. « Parce que rester toute seule dans son coin avec ça ! D’où mon annonce. » Je me suis empressée de lui préciser que mon intérêt portait exclusivement sur des fessées données par des femmes à d’autres femmes.
– Non, parce que si ça l’intéresse pas, si elle est plutôt branchée fessées flanquées par des mecs, inutile qu’on perde notre temps.
Oh, elle, hommes ou femmes, ça lui était égal. Du moment que c’était un fessier féminin qui ramassait.
– Alors, ça va, on continue. Suffira d’influencer dans le bon sens.
Très vite, elle a proposé qu’on procède à des échanges de vidéos. « Puisque ça nous passionne toutes les deux. » Des vidéos qu’on commentait. De plus en plus librement. Ce qu’elle aimait, elle, c’était les entendre couiner. « Non, mais t’as vu ça comment elle braille celle-là ? Ah, les voisins doivent être à la fête. » « Et l’autre, là ! Elle a une de ces façons de piauler. J’adore, moi. Pas toi ? »
Coxan haussait les épaules.
– Tu parles ! C’est du flan. Elles font semblant. Par contre, t’as pas remarqué un truc ?
– Si ! Qu’elle m’envoie pratiquement que des vidéos de fesseuses. Pas d’hommes fesseurs.
– Parce qu’elle sait que c’est ce que tu préfères. Non, autre chose.
– Je vois pas.
– Sur toutes, absolument toutes, on a, en même temps que la fessée, d’imprenables aperçus sur l’intimité très largement entrebâillée des demoiselles.
– Et tu en tires quoi comme conclusion ?
– Rien. Pour le moment. Quoique…

Roxane, elle, était constamment sur la défensive. Dès qu’elle s’était avancée un tant soit peu à découvert, elle battait aussitôt précipitamment en retraite. Il m’a fallu plus d’un mois pour la faire enfin parler, à force de patience, de ses fantasmes. « Il y en a un surtout, c’est sans arrêt qu’il revient. Presque tous les jours. Je tombe amoureuse. Il est marié. Je le sais pas. Mais elle croit que si, sa bonne femme. Que j’ai tout manigancé pour lui piquer. Et elle me fond dessus, comme une furie, un soir, sur un parking, avec deux copines à elle. Cette fessée qu’elles me flanquent ! »
– Par contre, elle, quand elle se lâche, elle se lâche…
– Tu crois que ?

– C’est un souvenir qui a fini par devenir fantasme ? Peut-être. Qui sait ?

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