Le lendemain matin, à
la première heure, mon beau-père était là… « Bien… J’ai réfléchi… Pas
question de te laisser te complaire dans l’oisiveté… On a vu ce que ça donnait…
Alors j’ai appelé hier soir mon ami Boissier, ton directeur, auquel j’ai exposé
en toute franchise la situation… Tu vas reprendre, dès aujourd’hui, normalement
ton travail… Quant à l’individu avec lequel tu as entretenu cette relation
coupable il est muté, avec son plein accord, dans l’une des filiales du groupe…
Et je te conseille vivement, dans ton propre intérêt, de ne chercher à savoir
ni laquelle ni où… »
Deux heures plus tard
je savais… Là-bas on ne parlait que de ça… En me jetant des petits coups d’œil
par en-dessous… En me demandant innocemment si je savais pourquoi Charlie était
aussi brusquement parti… En chuchotant derrière mon dos… J’ai ignoré… Fait
semblant d’ignorer…
Et puis, à nouveau, la
routine… Les journées de travail, à perte de vue, les unes derrière les autres,
monotones, insipides… Les longues soirées gaspillées à regarder défiler,
avachie sur mon canapé, des images que je ne voyais pas… Les samedis passés à
errer, par les rues, au hasard, sans but et sans plaisir… Les dimanches interminablement
étirés chez eux à l’écouter, elle, – lui il disparaissait aussitôt la dernière
bouchée avalée – parler des après-midi entiéres, en long, en large et en
travers de Patrice… Patrice qui avait écrit… Patrice dont le navire mouillait
dans le détroit d’Ormuz… Patrice qui, à quatre ans, savait lire… Qui, à huit
ans, connaissait sur le bout des doigts la chronologie des rois de France… Qui,
à douze ans, pouvait citer, sans jamais se tromper, les capitales de tous les
pays du monde… Patrice… Patrice… Patrice…
Et Charlie ? Il
ne se manifestait pas… Pas un mot… Pas un appel… Rien… Est-ce qu’il m’avait
déjà oubliée ? Est-ce que j’avais si peu compté pour lui ? J’avais
été juste une passade alors ? Un amusement ? Je ne pouvais pas y
croire… Ou bien… Est-ce qu’il avait été meurtri, humilié par l’intervention du
directeur ? Qui lui avait dit quoi au juste pour le convaincre d’accepter
sa mutation ? Est-ce qu’on m’avait mise en avant ? Est-ce qu’il m’en
avait voulu ? Est-ce qu’il m’en voulait toujours ? Oui, sûrement…
C’était pour ça qu’il ne se manifestait pas… Évidemment que c’était pour ça… Et
je n’aurais plus jamais de nouvelles… À moins que… Il y avait une autre
explication possible… Il ne voulait pas me forcer la main… Si je ne me
manifestais pas, moi, il ne se manifesterait pas, lui… Par respect… Par
délicatesse… Par… Oui… Ça pouvait être ça… Mais que c’était donc exaspérant de
ne pas savoir !
De toute façon quelle
importance ça pouvait bien avoir maintenant ? Aucune… Rigoureusement
aucune… Quand bien même il m’aurait contactée ç’aurait été non… Non, non et
non… Jamais plus il n’y aurait quoi que ce soit entre nous… S’il y avait une
chose dont j’étais certaine c’était bien celle-là…
Certaine ? De
moins en moins… Parce que… il me manquait… Je pensais constamment à lui…
J’avais beau le chasser… Il revenait… Il s’installait… Il me hantait… Je
m’endormais en pensant à lui… Je me réveillais en pensant à lui… Il ne me
quittait pas… Il ne me quittait plus…
C’est arrivé un
samedi… Toute la nuit j’avais rêvé de lui… Que j’étais dans ses bras… Qu’il me
faisait l’amour… Avec une infinie tendresse… Je ne m’étais pas levée… J’étais
restée blottie dans la chaleur des draps… À y repenser… À le revivre... À faire
courir mes doigts… À le laisser me redonner du plaisir… Aussi longtemps qu’il a
voulu… Comme il a voulu…
Mon portable était sur
ma table de nuit… J’ai bien tenté de m’empêcher… De résister… Je n’ai pas pu…
Deux coups… « Allo… Oui ? » « Charlie ? C’est
Camille… » « Camille ! Toi ! C’est pas vrai ! Ce que
je suis content ! » On a parlé… parlé… parlé… Et fini par se donner
rendez-vous dans le restaurant de nos débuts… Celui du concert de Georges Lama…
« Ce soir… Sept heures… Je suis heureux… Si tu savais… »
Moi aussi… J’étais
folle de joie… Et mangée de scrupules… Dévorée de remords… Patrice… Tant pis
Patrice… J’irais… Oui, j’irais…
Il était là… À « notre »
table… Je suis passée… Je ne suis pas entrée… Non… Il fallait pas… Non… Au feu
rouge je suis revenue sur mes pas…
Je vous embrasse,
Flavian…
À bientôt
Camille
Madame "volonté zéro". lol
RépondreSupprimerHumaine… Si humaine…
RépondreSupprimerHumaine, certes, mais bon, hein ? Elle se pose beaucoup de questions, fait semblant de réfléchir, semble vouloir se montrer raisonnable, et zou, elle y fonce lol
RépondreSupprimerCe n'est pas la même chose de rendre les armes sans combattre et de résister de toutes ses forces (ou de faire semblant pour se donner bonne conscience)
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