jeudi 19 juillet 2018

Quinze ans après (15)


Madame Gonsalier n’était pas mécontente de Camille.
– C’est vrai qu’elle est docile. Extrêmement docile. On peut pas dire le contraire.
Mais elle n’en était pas vraiment satisfaite non plus.
– Non, parce que, sur le plan professionnel, on peut pas dire que ce soit ça qu’est ça. Elle ne sent pas les clientes. Pas du tout. C’est pourtant le b-a ba du métier. Et puis alors elle te vous a une de ces visions de la mode ! Quatre ou cinq ans de retard. Au moins. Mais bon, elle n’est là que depuis trois jours. Je peux pas lui demander l’impossible non plus.

Sur le trottoir, on a marché toutes les deux en silence.
– Eh bien, raconte ! Ça se passe comment ?
– Faudrait que vous me posiez-moi des questions. Je sais pas dire, sinon.
– Elle est très sévère avec toi, Madame Gonsalier ?
– Encore assez. Et puis elle me parle toujours dur.
– C’est pour ton bien. C’est ce qu’il te faut.
– Je sais, oui.
– Tu t’es pris des fessées ?
– Une.
– Devant du monde ?
– Mes deux collègues. Perrine et Aglaé.
– Qui ont réagi comment ?
– Elles ont pas arrêté de rire, et, après, de se moquer. Tout le temps maintenant elles m’en parlent. « Range les fringues, Camille ! Sinon tu vas encore avoir panpan cucul. »
– Tu t’entends bien avec elles ?
– Ça va. Elles aussi, elles me commandent. Et elles me parlent sévère.
– Tu dois être ravie. C’est bien ce que tu voulais, non ? Obéir, obéir et encore obéir. Te voilà comblée.
– Oui.
– Ça a pas vraiment l’air. Tu dis ça sur un ton !
– Non. Si ! Mais ce que j’aimerais, c’est que ce soit plus. C’est que ce soit tout le temps. Nuit et jour.
– Ça viendra. T’habites où ?
– Un foyer de jeunes travailleurs, par là. Pour le moment, j’ai trouvé que ça.
– Il y a des horaires, là-dedans, non ?
– Si…
– Alors va vite…

Coxan était un peu déçu que je l’aie pas ramenée.
– Tu deviens bien gourmand…
– Mais non, mais…
– Psychote pas ! Tu l’auras ton film. On en fait ce qu’on veut de cette fille. Il y a que comme ça qu’elle prend son pied. En se mettant totalement à disposition.
– Ça, j’avais compris, merci.
– C’est d’ailleurs pour ça que j’ai pas voulu la ramener Parce que je me méfie.
– Tu te méfies ! Et de quoi donc, grands dieux ?
– De moi. Parce que je me connais. C’est trop tentant une nana comme ça. Je l’aurais laissée passer la nuit ici. Et puis celle d’après. J’aurais joué tant et plus avec. Ce serait rentré comme dans du beurre. Ça m’aurait amusée. Je l’aurais laissée quitter son foyer, s’installer ici. Et quinze jours après, j’en aurais eu assez. Trop facile. Trop prévisible. Terriblement ennuyeux finalement… Je sais comment ça se passe, j’ai déjà donné. Et j’en aurais été encombrée. Alors non. Non. Que quelqu’un d’autre la prenne sous sa coupe. Madame Gonsalier, par exemple. Qu’elle l’héberge. Ou l’une des deux vendeuses. D’ailleurs je vais pousser à la roue dans ce sens.
– Et sa fessée, du coup, on la filmera devant sa propriétaire…
– Voilà ! T’as tout compris.

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