Cette
estampe d’époque, je l’ai agrandie et accrochée dans ma
chambre, juste en face de mon lit. Elle me fascine littéralement. Je
n’ai pas cherché à savoir dans quelles conditions précises cette
femme « de condition » avait été fouettée pour avoir
craché sur le portrait de M. Necker. Ni qui elle était. Je suppose,
sans en avoir l’absolue certitude, que cette scène a eu lieu le 19
mai 1781, quand la foule, brandissant des portraits du ministre
déchu, est venue lui manifester son soutien devant le château de
Saint-Ouen. Une irréductible opposante a voulu, elle, par ce geste,
manifester tout le mépris qu’elle éprouvait pour le grand homme.
Ce n’était ni le moment ni le l’endroit. Elle l’a aussitôt
appris. À ses dépens.
Cette
femme, c’est moi. Souvent. Je n’éteins pas. Je me concentre sur
le tableau. J’y entre. Je suis dans mon carrosse. En route pour
Versailles. Sur les bas-côtés, des groupes d’hommes et de femmes
discutent avec animation.
Je
fais arrêter. Je mets la tête à la portière.
– Que
se passe-t-il ?
– C’est
monsieur Necker, Madame. Le roi l’a démissionné.
Et
il me brandit sous le nez le portrait de ce ministre que j’abhorre.
Qui s’en est pris à la ferme générale. À cause duquel nos
revenus, à mon mari et à moi, se sont brusquement effondrés.
Et
je lui crache tout mon mépris au visage.
– Oh,
la saleté ! Elle a craché dessus ! Elle a craché sur
monsieur Necker !
On
hurle. On crie vengeance. On m’extirpe de mon carrosse. Mon cocher,
mes laquais essaient mollement de me porter assistance. On les
repousse. On les maintient à distance. On m’entraîne manu
militari sur une petite place, tout près.
Des
femmes hurlent.
– Qu’on
la corrige !
– Oui !
Oui ! Qu’on la corrige !
Trois
solides gaillards m’empoignent. Il y en a un qui me maintient. Un
autre me relève la robe. Jusqu’au dessus de la taille. Et ils
tapent. Tous les trois. En chœur. Deux sur le haut du joufflu, une
fesse chacun. Et le troisième plus bas, à cheval sur mes deux
hémisphères. Ils tapent. Ils tapent tout ce qu’ils savent. Devant
moi, il y a quelques groupes qui ont d’abord considéré la scène
avec curiosité, puis avec amusement. Certains rient maintenant de
bon cœur. Manifestement le spectacle les amuse follement. Mais c’est
derrière surtout. Ils sont là plus d’une centaine. Je ne les vois
pas, mais je les imagine, les yeux rivés à mon dolent. Et je les
entends. Ils applaudissent. Ils encouragent. Ils vocifèrent.
– Mettez-le
lui bien rouge à cette drôlesse !
– Qu’elle
puisse pas s’asseoir d’un moment…
– Et
faites-la danser !
Pour
danser, ça, je danse. D’un pied sur l’autre. D’une jambe sur
l’autre. Et je chante. J’ai beau m’efforcer de prendre sur moi,
de rester digne. Je ne peux pas. Ça fait trop mal. Ça cuit trop. Ma
croupe n’est plus qu’un gigantesque brasier. Et ça continue à
tomber. Ça n’arrête pas de tomber. Alors je gigote. Je me
trémousse. Je me dandine. Je leur offre, bien malgré moi, ce
plaisir. Et je pousse la chanson. À pleine voix. À pleins poumons.
En hurlements haut perchés. On m’imite. On me singe. Dans de
grands éclats de rire.
Ça
s’arrête d’un coup.
– Monsieur
Necker !
– C’est
lui !
– Monsieur
Necker !
Des
courses folles. À la poursuite d’un carrosse là-bas.
En
un rien de temps la place se vide. J’y reste seule. Toute seule. À
masser d’abord longuement mon arrière-train endolori. Et puis…
je ferme les yeux. Je laisse mes mains aller vagabonder où bon leur
semble. Elles connaissent le chemin. Elles l’empruntent. Elles s’y
font savantes. Précises. Elles m’emportent.
Quand
je reviens à moi, mes laquais sont là, à mes côtés. Ils
attendent mes ordres.
Excellent !
RépondreSupprimerJe suis LUCIE
Sourire...
Merci. Je suis, pour toutes sortes de raisons, beaucoup plus attaché à cette série qu'à ce que je peux écrire par ailleurs. C'est pourquoi j'apprécie tout particulièrement que des femmes s'y retrouvent.D'une façon ou d'une autre.
RépondreSupprimerQu'elle chante, avec 3 fesseurs en même temps, cela peut se comprendre...
RépondreSupprimerTrois, c'est un maximum. Au-delà, il y a plus suffisamment de surface pour s'exprimer…
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