lundi 26 mars 2018

Rates d'hôtel

Dessin de Louis Malteste


Tout se passait bien. En général, à midi, tout se passe toujours bien. Les clients sont en bas. Ils déjeunent. Les chambres sont vides. On peut donc les visiter et s’y approvisionner tout à loisir. Tout se passait d’autant mieux que la récolte était d’importance. Montres, bijoux, liquidités. On en avait pour notre argent. Si on peut dire.
On allait en finir. On était dans la toute dernière chambre, au bout du couloir, quand la porte s’est brusquement ouverte et on s’est trouvées nez à nez avec un petit vieux à la mine stupéfaite.
– Mais… qu’est-ce que vous faites là ?
– Rien. Rien. On s’en va. On s’est trompées de chambre.
Il n’a pas été dupe. Il a jeté un coup d’œil à nos sacs gorgés de butin et il s’est mis à hurler à pleins poumons tandis qu’on détalait, à toutes jambes, dans le couloir.
– Au voleur ! Au voleur !
En haut de l’escalier, la patronne nous a barré la route, sa sœur sur les talons.
– Qu’est-ce qui se passe ici ?
Le vieux nous a rejointes, soufflant et vociférant.
– Elles m’ont volé ! Elles m’ont dépouillé. Gourgandines ! Canailles ! Les gendarmes ! Qu’on appelle les gendarmes !
Elles ont exigé.
– Vos sacs ! Faites voir vos sacs !
On n’avait pas le choix. On les leur a remis, la mort dans l’âme. Elles y ont plongé les mains.
– Oui. Bon. C’est clair. Effectivement, les gendarmes !
On a eu beau sortir le grand jeu : il était tuberculeux, mon père. Et la mère de Marthe, phtisique. Il y avait plein de frères et sœurs à la maison. Qu’avaient rien mangé depuis trois jours. Et tra la la… Et tra la la… Elles ont rien voulu savoir quand même.
– Vous les nourrissez avec des montres, ces marmots ? C’est ça ?
– Mais non, mais…
Derrière le vieux arrêtait pas de glapir.
– Les écoutez pas ! Ce sont des malfaisantes. Les gendarmes ! En prison ! En prison !
On était en mauvaise posture. En très mauvaise posture. Alors on a sorti notre arme fatale. Celle qui jusque là, dans ce genre de situation, nous avait toujours remarquablement bien réussi.
– Oh, s’il vous plaît, Madame, pas les gendarmes. Donnez-nous la fessée plutôt ! Et on recommencera pas. On vous promet.
Il y a eu un long moment de flottement. Les deux sœurs se sont regardées, indécises.
Quant au vieux grigou, il s’est bizarrement montré beaucoup plus conciliant tout à coup.
– C’est sûrement la première fois. Tout le monde peut commettre une erreur. Faut leur laisser une chance. Et sûrement qu’une bonne fessée, ce sera tout aussi efficace, au bout du compte, que les gendarmes, les juges et tout le saint-frusquin.
Elles se sont concertées à voix basse.
– Bon, ben allez, alors !
Nous ont poussées dans une chambre où le vieux cochon s’est empressé de se faufiler à notre suite.
Elles ont refermé la porte, se sont assises, nous ont attirées à elles.
– C’est par ici que ça se passe…
Elles nous ont troussées, déculottées… Et alors là… Ouille ! Ouille! Ouille ! On en avait déjà eu, des fessées, oui. Les deux fois qu’on s’était fait prendre. Mais jamais aussi fortes. Ni aussi longues. Elles riaient tout ce qu’elles savaient. En plus !
– Vous avez voulu une fessée ? Eh ben, vous plaignez pas, vous êtes servies.
Et elles y allaient de leurs commentaires.
– Le cul de la mienne, il rougit plus vite.
– Oui, mais la mienne, elle piaule davantage. T’entends cette jolie voix qu’elle a ?
Quant au gros pervers, derrière, il perdait rien du spectacle. Le visage violacé, suffocant, il transpirait à grosses gouttes.
Elles s’interrompaient de temps à autre.
– On s’en tient là ?
– T’es fatiguée ?
– Oh, non, non ! Pas du tout !
– Moi non plus !
– Alors…
Et elles reprenaient de plus belle.
Elles ont quand même fini par arrêter.
– Là ! Elles ont leur compte.
– Oui. M’étonnerait qu’elles reviennent s’y frotter.

Elles nous ont raccompagnées jusque sur le trottoir.
– Les garces ! Non, mais quelles garces ! T’as vu leurs têtes ? Ah, ça leur plaisait, il y a pas à dire, de nous tambouriner le popotin. Elles adoraient, oui !
– On leur a tendu le bâton pour se faire battre. Elles en ont profité. C’est de bonne guerre. Mais en attendant, on repart sans rien.
– Tu voudrais quand même pas… ?
– Qu’on essaie ailleurs ? Ben…
– Ah, non, pas tout de suite, attends ! J’ai le derrière dans un état !
– On se fera pas prendre ce coup-ci.
– Alors ça, t’en sais rien du tout !

2 commentaires: