jeudi 17 janvier 2013

Escobarines: En scène



Je voulais plus chanter... Je voulais plus... Devant tous ces gens j'avais bien trop le trac...
– Non, mais t'as vu ça ? Au moins quatre cents ils sont... Rien que pour nous... Et si ça leur plaît pas ? Ça va pas leur plaire d'ailleurs... On va se faire siffler... Huer... J'en suis sûre... C'est obligé... Ah, non, non ! Moi, j'y vais pas...
Et, dans la loge, elle a eu beau argumenter Sally... Menacer... Supplier... Tempêter... Pas moyen de me faire changer d'avis...
– Des mois et des mois qu’on bosse ! On va pas avoir fait tout ça pour rien, merde à la fin !
Et l'autre, là, le type, l’organisateur, qu'arrêtait pas de passer la tête à la porte...
– Bon, alors vous y êtes ? Qu'est-ce que vous fabriquez ? Il s'impatiente le public...
– Oui... Oui... On arrive...
– Mais non, j't'ai dit... Non... J'irai pas...
Et j'ai retiré ma robe... Ma belle robe de scène...
– Saleté !
Elle s'est jetée sur moi comme une furie... M'a poussée contre la table...
– Non, mais… Non, mais ça va pas ?
Elle était en train de me baisser ma culotte...
– Qu'est-ce que tu fais ? T'es pas bien ? Arrête ! Mais arrête, j’te dis !
– Tiens, celle-là tu l'auras pas volée...
Et elle m’a flanqué une fessée... Une vraie fessée... Que je l'ai laissée me donner sans réagir, sans même chercher à me défendre, tellement j'étais sidérée... 
– Là... Et maintenant tu me remets cette robe et on y va...
J'ai obéi... Comme une automate... Sans plus trop savoir ni où j'étais ni ce que je faisais...
Deux minutes plus tard on était sur scène... Un triomphe... Un véritable triomphe... On nous acclamait debout...

On est tombées dans les  bras l'une de l'autre...
– T'as vu ça ? J'y crois pas... Non, mais j'y crois pas...
– On va avoir de ces articles dans la presse en plus...
– Excuse-moi pour tout à l'heure, hein... Mais j'avais pas d'autre solution...
– Oh, ça fait rien... C'est pas grave... C'est pas ça l'essentiel... L'essentiel, c'est... On a réussi, Sally... On a réussi...

On avait réussi, oui... Au-delà de nos espérances... Et un mois plus tard, à Bourg en Bresse, c’est une salle de 1200 places qui nous accueillait...
– Et à guichets fermés... Tu te rends compte ? Jamais, même dans nos rêves les plus fous, on serait allées imaginer un truc pareil...
– J'ai le trac, Sally... Non, mais comment j'ai le trac..
– Ah, tu vas pas recommencer… Parce que si tu recommences... je t’en remets une...
– Oui, ben n’empêche… comment ça m'avait destressée !
– Dans ces conditions...
Et elle y est allée de bon cœur…


Et c'est devenu notre incontournable rituel... Mais aussi notre porte-bonheur... Pour rien au monde nous ne serions entrées en scène tant que Sally n’avait pas « officié »… Exactement comme elle l’avait fait la première fois… Avec le même mot… Les même gestes… Nous savions, l’une comme l’autre, qu’il ne fallait rien changer… Surtout pas… Tout au plus y mettait-elle désormais davantage de conviction… Ce qui n’était pas, je l’avoue, pour me déplaire… J’aimais sentir cette chaleur sur mes fesses quand je chantais… Ça irradiait… Ça m’inondait… Ça me pénètrait… J’aimais… Oui, j’aimais… Et j’aimais m’imaginer qu’ils savaient les gens… le public… Que tout le monde savait que je venais de me ramasser une monumentale fessée… Et que là-dessous… Sous ma robe… Ils y pensaient… Ils ne pouvaient penser qu’à ça… Et moi j’avais honte… J’avais tellement honte… Mais en même temps…

Je l’ai fait… C’était une pure folie, mais j’ai fini par le faire… En toute connaissance de cause… J’ai pas pu m’empêcher… Je venais de regagner ma loge après le spectacle… Je n’avais pas verrouillé… Sciemment… Délibérément… Dans le couloir on s’agglutinait… On attendait… Que je sorte… Pour me voir… Me toucher…  Réclamer un autographe… Je me suis longuement attardée sous la douche… On s’est impatienté… Quelqu’un a actionné la poignée… Entrebaîllé la porte… L’a précipitamment refermée… J’étais de dos… Je pouvais parfaitement n’avoir rien remarqué… Des chuchotements… Des rires étouffés… « Mais si, j’te dis ! Si ! Elle était à poil… Je l’ai vu… Une fessée… Et une vraie, hein ! C’était rouge, mais rouge ! »

Une dizaine de minutes et puis je suis sortie… On s’est précipité… On m’a entourée… Cernée… « Un autographe ! S’il vous plaît, un autographe ! » « Moi aussi ! Moi aussi ! » « Et moi ! » J’ai croisé des regards… Une multitude de regards… Des regards qui savaient…

2 commentaires:

  1. Réponses
    1. Ravi que cette "Escobarine" vous plaise... Un bon moment que je rôdais autour de ce dessin en me demandant comment j'allais bien pouvoir le "traiter"...
      Bonne journée à vous... Et à tous...

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