jeudi 9 août 2012

Escobarines: Flagrant délit ( 1 )


– C’est quoi, ça?
Dans ses yeux d’abord l’incrédulité et puis – presque aussitôt – la panique…
– Je vais les remettre.
Elle a tendu la main, tremblante, suppliante, presque implorante.
– Je vais les remettre. Je vais les remettre tout de suite.
– Sauf qu’ils sont à ton ordre maintenant. Et que c’est ton écriture.
– Je vous les rendrai. Je vous rendrai tout.
– Ah, oui ? Des sommes pareilles ! Tu comptes t’y prendre comment ? Et quand bien même ! Ce serait un peu facile, non, tu crois pas ?
Elle a baissé la tête, vu – regardé – son sac ouvert béant sur la dernière marche de l’escalier.
– Je vous demande pardon, Madame Corvier… Je vous demande vraiment pardon… Je sais pas ce qui m’a pris…
– Et moi, je ne le sais que trop bien… Et évidemment tu vas me dire que c’est la première fois… Évidemment…
– Oui… Enfin non… La deuxième…
– La deuxième ? On va vérifier. C’est facile. T’as bien tes relevés de compte ? Non ? Ca fait rien. Les gendarmes, eux, ils te les feront bien trouver… Ah si ?  Eh bien tu les apporteras alors… Cet après-midi... Sans faute… Et n’oublie pas, hein, surtout…

– Et 334. Voilà. Ce qui fait ?
Elle n’a pas relevé la tête de la calculette
– 1647
– 1647 euros, oui. En à peine trois mois. C’est pratique, hein, les gens qui ne remplissent pas complètement leurs chèques. Qui laissent l’ordre en blanc. C’est pratique d’être majeure et d’avoir son compte à soi.
Sous le tee shirt les seins respiraient vite.
 – Et en liquide combien ?
Elle s’est troublée, a rougi, s’est agitée sur sa chaise.
– Parce que tu me feras pas croire... Alors ?! En liquide combien ?
– Pas beaucoup…
– Bien entendu ! Presque rien. Ben bien sûr. Et on peut savoir ce que tu as fait de tout ça ? Oh, tu peux te promener avec des vêtements de marque sur le cul. C’est facile avec l’argent des autres…
Elle a croisé, décroisé, recroisé les jambes, relevé une mèche sur son front.
– Bon, mais à ton avis il va se passer quoi maintenant ?
– Je sais pas.
– Tu sais pas ? Eh bien moi je sais. Je vais porter plainte. Je n’ai pas le choix. Tu vois une autre solution, toi ?
Elle s’est mise à pleurer, à petits reniflements courts, saccadés.
– Mais enfin, tu peux me dire ce qui t’a pris ? Tu es une excellente vendeuse. Travailleuse. Efficace. Tu as le sens du commerce. Tu passes bien avec les clients. Et tu trouves le moyen de flanquer tout ton avenir par terre. Parce que je sais pas si tu te rends compte qu’une histoire comme ça ça va te suivre partout maintenant. Toute ta vie. Qui irait engager une vendeuse qui a été surprise à voler ? Ah, ils vont être fiers de toi tes parents ! Les gendarmes à la maison. Au magasin. Tout le pays va en faire des gorges chaudes. Tu ne pourras aller nulle part sans qu’aussitôt on te montre du doigt. « C’est la petite voleuse ». Tu t’es fourrée dans de beaux draps, ça, on peut pas dire. Et toute seule. Comme une grande.
Ses larmes ont redoublé en longs ruissellements silencieux…
– Je vous demande pardon… Je vous demande pardon…
– Oh, arrête de chialer... J’ai horreur de ça… Retourne travailler, tiens, plutôt…

– Bon, allez, tu es prête ? On y va…
– Où ça ?
– Ben chez les gendarmes, tiens,! Où veux-tu ?
– Pas les gendarmes… S’il vous plaît… Pas les gendarmes… Oui… Non… Attendez… Pas tout de suite… Parce que j’ai pensé à un truc… J’ai eu une idée… Mais faudrait que vous vouliez… Que vous soyiez d’accord…
– Dis toujours…
– Ce serait… Ce serait que vous me mettiez une fessée plutôt à la place… Il y en a qui le font des fois, hein, à ce qu’il paraît…
– Dans des cas beaucoup moins graves…
– Oui, mais oh, une vraie, hein ! Une forte… Aussi forte que vous voulez… Aussi longue que vous voulez… Comme vous voulez… Ce serait tant pis pour moi… J’avais qu’à pas le faire ce que j’ai fait… Je vous en prie… Je les veux pas les gendarmes… Ni que tout le monde soit au courant…
– Tu n’y as pas vraiment intérêt… Ça, c’est sûr…
– Ni que mes parents… Je le supporterais pas mes parents…
– Fallait y réfléchir avant…
– Je vous en supplie…
– Je vais voir ça… La nuit porte conseil… On n’est pas à un jour près n’importe comment…
– Oh, merci… Merci…
– Je n’ai pas dit oui…


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