jeudi 28 avril 2016

Escobarines: Le valet (1)

Le même pas feutré et la porte presque aussitôt rouverte. Le même valet. Qui s’incline cérémonieux, impassible.
– Madame s’est donc ravisée ?
Il l’invite à entrer, main ouverte, tendue. Elle avance de quelques pas sur les volutes entrelacées du tapis, s’arrête près du fauteuil de velours rouge, hésite. Il sourit imperturbablement. Les volutes s’entrecroisent et se perdent à l’infini. Rouges. Bleues. Vertes.
– Il faut dire que Madame n’a pas vraiment le choix…
Au-delà du tapis s’enfuient les lattes vernies du parquet.
– Je suppose qu’il est inutile de rappeler à Madame les conditions de Monsieur ?
Elle fait signe que non. Non, c’est en effet inutile…
– Bien…
Il est là sans doute, de l’autre côté, derrière la porte à moulures lambrissées grise.
– Monsieur m’a chargé de mettre moi-même Madame dans la tenue où il souhaite la recevoir…
Le salaud ! Non, mais quel petit salaud !
Il se penche, crâne dégarni, épaules écrasées, saisit le bas de la robe, relève Elle rabat. Une fois… Deux fois…
– Que Madame se montre donc raisonnable !
Deux tableaux se font face, dans leurs cadres dorés, représentant l’un – elle lève les bras – un paysage de neige à l’infini et l’autre – il remet les manches à l’endroit, l’étale soigneusement sur le fauteuil, lisse un pli du plat de la main – un bâtiment de ferme avec quelques minuscules silhouettes dans les champs en arrière-plan. Il dégrafe le soutien-gorge. Sur la cheminée une horloge dorée enluminée d’angelots qui voltigent en tendant des couronnes de lauriers à bout de bras. Il pose les mains des deux côtés sur ses hanches. Il les glisse sous l’élastique de la culotte… Qu’il descend… Dans la bibliothèque, juste en face, les livres à tranches vert empire sont soigneusement alignés. Jusqu’aux chevilles. Elle lève une jambe. L’autre…
– Les chaussures maintenant… Tout… Il a dit tout…

Le couloir est sombre et étroit. Les lattes du plancher collent légèrement sous la plante des pieds. La lumière est brutale soudain, aveuglante.
– C’est cette dame que Monsieur attend…
– Fais entrer, Bastien, fais entrer !
Il s’efface, s’incline, referme la porte.

Monsieur n’a pas levé les yeux. Il écrit. Il ne lève toujours pas les yeux. Il est jeune. Très… Tellement jeune. Elle tousse. Une immense baie vitrée, le parement d’un balcon, des toits, des murs, un bout d’avenue. Elle tousse encore. La pièce est immense et claire. Il lève enfin la tête, la regarde. De haut en bas… De bas en haut… Il continue à écrire, ouvre un dossier, le referme.
– J’ai fait le nécessaire… Tout sera rentré dans l’ordre en temps voulu…
– Merci…
Il recule sa chaise.
– Àcondition… À condition bien entendu que notre contrat soit très scrupuleusement respecté. Évidemment…
Il contourne le bureau. S’approche.
– D’autant plus scrupuleusement qu’il s’agit d’une somme considérable… J’espère que vous avez conscience de l’effort que cela représente pour moi…
Il la fait pivoter, se saisit d’une de ses mains qu’il lui pose sur la hanche. L’autre, il la lui fait mettre sur le front…
– Là ! Ne bougez plus !

– Vous avez un fessier comme je les aime ! Bien en chair. Plantureux. Un derrière à fessées. Incontestablement. Je sens que je vais me régaler.
Il regarde. Il contemple. Ça dure. Ça s’éternise.
– Venez ! Venez vous asseoir… Là… Asseyez-vous !
Il sonne, s’installe, jambes croisées, face à elle. Il se tait. Ils se taisent.

Silencieuse, la jeune servante dépose le plateau entre eux sur la table basse. Sans un mot. Sans un regard.
– Merci, Jeanne… Vous avez vraiment beaucoup de chance que ce soit Lambert qui ait découvert le pot aux roses… Un autre que lui… Lait ou citron ? Lambert est un comptable hors pair qui trouve toujours une solution… Quelle que soit la situation… La preuve !
Penchée presque à l’horizontale, une main ramenée sur la poitrine pour empêcher la robe de bailler, Jeanne verse le thé.
– Sans lui – sans moi – vous seriez dans de sacrés beaux draps… Enquête… Scandale… Vous ne vous en releviez pas… Et votre mari…
Jeanne lui tend sa tasse.
– Merci…
Et puis à lui…
– Merci, Jeanne…
Elle se redresse, s’éloigne à pas feutrés.

(à suivre)

2 commentaires: