– Sacré veinard, va !
Je l’étais : Marjorie, la toute
nouvelle recrue de l’entreprise, fraîchement débarquée de son Aveyron natal,
avait atterri en direct dans mon bureau…
Ils en séchaient sur pied de jalousie mes
collègues… D’autant que Julien m’avait donné carte blanche…
– Mets-là au courant… Et prends
tout ton temps… L’essentiel, c’est qu’à l’arrivée elle soit parfaitement
opérationnelle…
Pour prendre mon temps, ça, je le
prenais ! Parce que séjourner, des heures durant, en compagnie d’une jeune
femme aussi charmante que Marjorie, c’était un vrai bonheur… Je plongeais mes
yeux dans les siens… Je me noyais dans son parfum… J’effleurais à l’occasion sa
main… Je me laissais voluptueusement bercer par sa voix… C’était d’un cœur on
ne peut plus léger que je me rendais, chaque matin, au boulot…
Une enveloppe blanche, banale, perdue au
milieu des autres et barrée d’un gigantesque CONFIDENTIEL… À l’intérieur ces
quelques mots : « Pourriez-vous vous trouver ce soir, à dix-huit
heures, au café des Sports ? C’est au sujet de Marjorie, ma femme… Je
compte sur votre absolue discrétion… Merci… » Au sujet de Marjorie ?
Qu’est-ce que c’était que cette histoire ? Qui était allé lui raconter
quoi au mari ?
C’était un type d’apparence tout à fait
banale, attablé un peu à l’écart… Qui m’a aussitôt fait signe…
– Vous me connaissez donc ?
– De vue… Uniquement de vue… Mais
asseyez-vous !
Il s’est éclairci la voix…
– Oui… Oui… Je tenais absolument à vous
rencontrer… Parce que… Ça va Marjorie au boulot ? Elle pose pas de
problèmes ?
– Absolument aucun… Pourquoi
voudriez-vous qu’elle pose des problèmes ?
– À l’entendre il y a rien qui va…
Elle multiplie les erreurs… Elle met un temps fou à faire ce que vous lui
demandez… Elle est au-dessous de tout… Heureusement que vous êtes patient… Et
conciliant…
– Je peux vous assurer que son
travail nous donne, à Monsieur Lambret et à moi-même, entière satisfaction…
– Faut dire aussi… Elle est tellement
perfectionniste… Elle a si peu confiance en elle… Et dans tous les domaines…
Vous savez ce qu’elle n’arrête pas de me répéter ? Sur tous les
tons ? Qu’elle ne me mérite pas… Qu’il y a des centaines et des centaines
de femmes beaucoup plus belles et beaucoup plus intelligentes qu’elle… Qu’un
jour je finirai par me lasser et par la quitter… Forcément… Comme si on pouvait
avoir envie de quitter une femme pareille !
– Faut reconnaître que…
– Je m’inquiète pour elle, vous
savez ! Elle est si fragile… Il suffit de si peu de chose pour la
déstabiliser… Pour qu’elle perde complètement pied… Alors promettez-moi !
Promettez-moi que s’il se passe quoi que ce soit…
– Il n’y a aucune espèce de raison…
– On sait jamais !
Promettez-moi que vous m’avertirez… Aussitôt…
– Si vous voulez, mais…
– D’ailleurs si nous pouvions… Vous
et moi… Nous rencontrer comme ça… De temps en temps… Je serais plus rassuré… Je
serais plus tranquille…
Ce fut d’abord tous les quinze jours…
Puis toutes les semaines… Tous les trois jours… Pour parler d’elle… Encore et
encore… C’était son plaisir… C’était son bonheur… Il la racontait, intarissable…
Je l’écoutais… Fasciné… Elle… Seulement elle… Tout elle… Leur rencontre… Leurs
premières vacances… Leur emménagement rue Pasteur… Ses goûts… Ses plats
préférés… Ses films préférés… Ses livres préférés… Ses attendrissantes petites
manies… De mon côté je la lui offrais au bureau… Ce qu’elle avait dit… Ce qu’elle
avait fait… Ses sourires… Ses froncements de sourcils… À nous deux nous la
quadrillions… Au plus près… De plus en plus près…
Et puis il la raconta intime… La façon
dont elle se nouait à lui dans le plaisir… Dont elle fermait les yeux… Dont
elle se mordait les lèvres… Dont elle criait…
– Mais ce qu’elle préfère – et
de loin – c’est de l’autre côté… Derrière… Surtout quand…
Il a baissé la voix…
– Surtout quand, avant, je lui ai flanqué
une bonne fessée… Alors ça je peux vous dire que ça la met dans tous ses états…
– Une…
– Une fessée, oui… Elle adore… Elle
me raconte sa journée… Ce qui n’a pas été… Ce qu’elle a fait de travers… Les
mauvaises pensées qu’elle a eues… Tout… Et elle implore : « Punis-moi !
S’il te plaît, punis-moi ! »
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