lundi 5 mars 2012

Souvenirs d'avant ( 36 )

36-

Un type, juché sur un tonneau… Une cocarde tricolore fichée dans son tricorne…
– Eh bien, citoyens, qu’entends-je dire ? Paris se révolte contre le tyran… La France se dresse contre les nobles qui la saignent… Et vous ? Que faites-vous ? Rien… Vous ôtez votre chapeau devant les puissants… Vous ployez le dos sous les coups de vos maîtres… Qu’attendez-vous pour leur faire rendre gorge ? Leurs greniers sont pleins et ils vous affament… Combien de temps encore le supporterez-vous ?

– Il a raison…
– Là-haut ! Tout le monde là-haut !
Armée de fourches et de bâtons notre petite troupe s’ébranle…
De tous côtés on nous encourage… De tous côtés on se joint à nous…
La clameur enfle…
– Sus aux affameurs !

Les grilles cèdent sous la poussée…
– Par ici ! Par ici !
Les portes ont été verrouillées… Elles volent en éclats…
Deux valets – ceux-là mêmes qui m’ont fouetté – veulent nous barrer la route… On les repousse… On les immobilise…
– Elles sont où vos maîtresses ?
Ils ne savent pas… Prétendent ne pas savoir…
– Fouillez ! Fouillez partout !
C’est la ruée… Dans le salon d’apparat… Dans les cuisines… Dans les chambres… On abat des cloisons… On arrache des parquets…

– Les voilà ! On les a !
Les deux damoiselles… Apeurées et tremblantes…
– Ah, on fait moins les fières…
– Qu’on les pende ! Qu’on les pende haut et court…
Elles se jettent à genoux…
– Pitié ! Non… Pitié…
Une femme hurle…
– De la pitié ?! De la pitié, dites-vous ?! En avez-vous jamais éprouvé, vous, de la pitié, quand mes enfants tremblaient de faim et de froid ? Quand je suis venue vous supplier de ne pas les laisser mourir ? En avez-vous éprouvé quand, pour une brouette de bois, vous avez fait fouetter mon mari ?
– Ce n’est pas nous… Nous…
– Vous ? Vous vous réjouissiez tant et plus du spectacle…
– Qu’on les fouette ! À notre tour de nous amuser ! Qu’on les fouette !

Et elles se jettent sur elles… À dix… À douze… À quinze… Elles les dépouillent de leurs vêtements… Les leur arrachent…
Nues… Nues comme au premier jour…
– Pour danser vous allez danser, vous aussi !
– Et chanter…
Des ceintures se tendent…

– Là… C’est bien… Mais plus haut ! Encore plus haut ! Faites un effort quand même ! Tout le monde vous regarde… C’est mieux, oui ! Beaucoup mieux…

– Qu’est-ce qu’il y a ? Ça fait mal ? Rien de plus naturel… C’est fait pour ça…
– S’il vous plaît ! Par pitié…
– Quoi donc ? Arrêter ? Vous n’y pensez pas ! Juste quand ça commence à devenir réjouissant… Allons ! Allons ! Soyez sages… Sinon…

– Cessez ! Cessez immédiatement ! C’est un ordre…
Elle… La maîtresse… En haut de l’escalier…
– Un ordre, dis-tu ? Les ordres maintenant ici, c’est nous qui les donnons…
– Laissez-les !
– À une condition… Que tu te dénudes et que tu viennes prendre leur place…
Ce qu’elle fait… Aussitôt… Sans l’ombre d’une hésitation…
Le silence…
On s’écarte pour la laisser passer…
– À genoux ! À genoux, j’ai dit… Là… Et ce sont tes valets qui vont te fouetter… Approchez, vous deux ! Allez !

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