- Tu te souviens de Pernelle ?
- Ah ben oui, oui, quand même !… C’était ma chef de box quand ça faisait école ici… Même que vous nous aviez toutes les deux en cours…
- Elle sera là demain…
- Demain ?!… Pernelle !?
- C’est pour toi qu’elle vient…
- Comment ça ?
- Pour toi, oui… Dès qu’elle a su dans quelle situation tu te trouvais : « - On peut pas l’abandonner à elle-même comme ça… J’arrive… »… Elle est bien décidée à te prendre en mains… D’après ce qu’elle m’a dit c’est une perspective que vous aviez déjà évoquée toutes les deux l’an dernier, mais elle avait estimé que c’était encore prématuré… Tu n’étais pas tout à fait prête… Maintenant si !… Tu as fait d’énormes progrès et tu es enfin en état, me semble-t-il – et je le lui ai dit – d’accepter sans la moindre réserve une autorité qui s’exercerait sur toi sans partage... Et dans ton intérêt... Il est rare que les natures dociles comme la tienne – celles qui ne peuvent s’épanouir vraiment que dans et par l’obéissance absolue – en conviennent de prime abord… La plupart du temps elles se débattent désespérément contre elles-mêmes… Elles jouent aux grandes, s’essaient pitoyablement à voleter de leurs propres ailes… Ce n’est qu’après avoir longtemps erré de catastrophe en catastrophe qu’elles consentent enfin parfois à se rendre à l’évidence… Mais tu es maintenant enfin capable, pour ta part, de faire preuve d’une certaine lucidité… Profites-en pour ne pas laisser passer ta chance… Pernelle est quelqu’un d’exceptionnel… Qui saura très exactement te mener comme tu dois l’être… Elle a jeté son dévolu sur toi… Tu peux en être fière… C’est un honneur que – je l’espère – tu sauras apprécier à sa juste valeur…
- Tu sais pas ce que j’ai appris ?… Il s’en tape une Milàn…
- Ah oui ?… Qui ça ?
- J’en sais rien qui ça… Mais je peux t’assurer que je saurai…
- T’es sûre que c’est pas des histoires ?…
- Non, c’est pas des histoires, non… Toutes les nuits il se casse de son box… Pour quoi faire à ton avis si c’est pas pour aller retrouver une fille ?…
- Qui c’est qui t’a raconté ça ?…
- Basile… Il a son lit juste à côté du sien… Bon, mais tu sais pas ce qu’on va faire ?… Une planque… On se relaiera toutes les deux le soir… On finira bien par savoir où il va… Et surtout avec qui… Ca prendra le temps que ça prendra, mais j’en aurai le cœur net… Parce que attends !… Voilà un type je lui propose carrément de coucher avec… Juste ça : coucher… Sans love story ni tout le tintouin… Il y en a plein ils auraient sauté sur l’occasion… Pas lui… Il m’envoie sur les roses… Gentiment, mais il m’envoie sur les roses…Ca fait pas plaisir… J’ai pas l’habitude, mais bon !… Si ça l’intéresse pas les filles ça l’intéresse pas… On va pas le forcer… Sauf que… ben si ça l’intéresse les filles justement, si, mais pas moi !… Je me prends une de ces claques là… Et en plus, si ça tombe, il y en a demi-douzaine qui y sont passées, va savoir !… Tant qu’à y mettre le nez, beau mec comme il est… Non, mais franchement – dis-moi sincèrement – tu me trouves si repoussante que ça ?…
- Mais non, oh !… Il y en a plein des mecs qui te trouvent à leur goût… Et tu le sais très bien…
- Il y a quelque chose qui m’échappe là… Il y a vraiment quelque chose qui m’échappe…
Monsieur Ménisson s’est avancé, en poussant Coralie devant lui, jusqu’au milieu de la salle de restaurant, a réclamé le silence…
- S’il vous plaît, Mesdames, Messieurs, s’il vous plaît, votre attention !… Depuis hier soir de nombreuses plaintes me parviennent concernant cette jeune serveuse qui se comporte, avec la clientèle, de façon parfaitement inqualifiable…
- Ah oui, alors !…
- C’est une honte de voir ça…
- Il est pas tenu le personnel ici… Pas du tout…
- Moi, si ça continue, je réclame ma note et je vais voir ailleurs…
Il s’est éclairci la voix…
- C’est pourquoi elle va être punie devant vous – et sur le champ – comme elle le mérite…
- C’est un minimum…
- Oui… Il y a des limites à tout…
- Elle l’aura pas volé…
- J’espère que ça va pas faire semblant…
Il a marqué un long temps d’arrêt…
- Et, pour que la leçon porte mieux, c’est, cette fois-ci, l’un d’entre vous – tiré au sort – qui va officier…
Ils se sont regardés les uns les autres, stupéfaits. Et puis des yeux se sont mis à briller, se sont emparés de Coralie avec gourmandise. Fournier nous a fait signe. On a commencé à déambuler entre les tables avec nos corbeilles. Monsieur Ménisson a cru bon de préciser…
- Et un seul billet par personne, bien évidemment !… Un seul billet par personne…
- Le 23…
Un hurlement a troué le silence…
- C’est moi !… Putain, j’y crois pas, c’est moi !… J’ai gagné…
Un type d’une cinquantaine d’années, grisonnant, qui s’est élancé entre les tables, a esquissé un pas de danse, voulu entraîner Coralie, qu’il a saisie par la taille, dans un galop effréné. Il s’est brusquement arrêté…
- Comment je vais te le tanner ton cul, ma petite chérie !… Pour t’en souvenir tu vas t’en souvenir… Un bon moment… Mais d’abord on va te déculotter… En prenant bien son temps… Que tout le monde puisse en profiter… Se régaler…
Il a voulu joindre le geste à la parole. Il a agrippé le bas de la jupe. Il a soulevé. Et il s’est effondré sans connaissance…
- Un médecin !… Il y a un médecin dans la salle ?
Il y en avait un. Qui s’est précipité…
- Je l’ai tué… Je suis sûre que je l’ai tué…
- Mais non !… Un infarctus on en meurt pas à tous les coups… Et quand bien même il serait claqué… Et alors ?… T’y es pour quoi, toi, si de penser à ton cul ça lui affole la pendule ?… Faut qu’on y arrête, les filles, merde, de se sentir coupables de tout et de n’importe quoi… Tout le temps… Partout…
C’était Sarah. Tâche claire dans la nuit. Qui a emprunté l’escalier. Vers le bas. Vers le parc. Qui, sûrement, devait aller retrouver quelqu’un quelque part. Elle aussi. Laurianne m’a enserré le coude de toutes ses forces…
- C’est elle !… La salope !… Non, mais quelle salope !… Son compte est bon…
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