lundi 25 juillet 2011

Souvenirs d'avant ( 4 )

4-

Puisque le dieu Mutinus ne veut décidément rien entendre, la seule solution, selon Flavius Ricinius, c’est qu’elle s’offre, de son plein gré, à la morsure des lanières en peau de bouc qui ont servi lors des dernières Lupercales… Il est catégorique : toutes les femmes en vouloir d’enfant qui s’y sont volontairement exposées au cours de ces trois jours de fêtes, ont vu leur attente comblée… Et comme ces lanières se trouvent depuis lors en sa possession…
Elle accepte… Oui, elle accepte… Sans l’ombre d’une hésitation…

Elle laisse tomber sa tunique… S’agenouille aux pieds du dieu… Flavius Ricinius lui pèse sur la nuque, la fait pencher en avant… Elle enfouit sa tête entre ses mains… On fouette… Un coup chacun… En alternance… Méthodiquement… Interminablement… Pas un cri… Pas une larme… Pas même un gémissement…

On s’arrête, hors d’haleine… Elle ne bouge pas… Elle attend… L’ordre de se relever… Ou que les lanières s’abattent à nouveau… Elle attend… Flavius Ricinius s’approche… Tout près… Elle ne bouge pas… Encore plus près… A la toucher… Il la touche… Il lui touche le dos… Il lui touche les fesses… Elles sont striées de longues balafres rougeâtres… Elle lui tend sa croupe… Elle ondule… Alors Flavius Ricinius…

Il s’est retiré… Elle attend… Elle attend toujours… Il me fait signe…
- Vas-y !… Mais vas-y !…
Il me pousse vers elle…
- Mais vas-y, idiot !…
Je suis contre elle… Malhabile… Maladroit… Elle me guide, impatiente… Son souffle se fait court… Elle ahane… Elle geint… Elle retombe… Elle s’enfuit…

Elle ne revient pas… Elle ne revient plus… Je la guette… Chaque fois qu’un pas agrippe le chemin bordé d’oliviers qui mène à la chapelle mon cœur s’élance dans ma poitrine… Ce n’est pas elle… Ce n’est jamais elle…

Il y en a d’autres… Qui vont… Qui viennent… Qui restent seules avec le dieu… Qu’on observe, Flavius Ricinius et moi, à travers les rideaux mal joints… Elles m’indiffèrent… Ce n’est pas elle…

Et puis un jour enfin elle est là… Il fait immensément beau… Elle est là… Son ventre s’est spectaculairement arrondi… Sans un regard pour moi au passage, sans un regard pour nous, elle va tout droit retrouver Mutinus… Flavius Ricinius soupire…
- L’ingrate !… Après tout ce qu’on a fait pour elle… Jamais, sans nous, le dieu ne l’aurait exaucée…
Elle le dépose à ses pieds… Un ex-voto en cire… Un phallus double qui prend racine sur une seule et même base… Elle invoque le dieu… Elle le remercie de l’avoir rendue grosse… Elle le prie… Elle le supplie… Que ce soit un garçon !… Elle l’en conjure… C’est important pour elle… Et que tout se passe bien… Qu’elle parvienne à terme sans problème majeur…
Elle s’approche du dieu… Elle lui tourne le dos… Se recule contre lui… Mutinus la comble… Mutinus l’apaise…

- Qu’est-ce que tu as ?… Tu pleures ?…
- Mais non !… Non… Pas du tout… Je ne pleure pas, non… C’est la poussière…
Flavius Ricinius éclate de rire…
- Elle s’appelle Tullia ta poussière…
- Non… Livia… Elle s’appelle Livia…
- Livia ?!… Quelle Livia ?… Tu connais une Livia ?…
Il hausse les épaules… Tourne les talons…

Plus tard… Beaucoup plus tard… Elle est encore là… Avec son mari cette fois… Et un nouveau-né qu’elle serre précieusement contre elle… Deux esclaves les accompagnent, chargés d’un monceau de présents – figues, dattes, fruits confits, douceurs en tout genre – destinés au dieu… Ils restent un long moment avec lui… S’éloignent par le petit chemin… Elle ne se retourne pas… Pas une seule fois…

- Cette fois elle ne reviendra pas, c’est sûr…
Et Flavius Ricinius pioche allègrement dans les corbeilles de fruits abandonnées aux pieds du dieu… Il m’en tend une… Je m’assieds à ses côtés… Je l’imite…

Il a blêmi… Il veut dire quelque chose…
- Les fruits… Les fruits… N’en mange pas…
Et il s’écroule, foudroyé…
Je repousse la corbeille d’un coup de pied… Trop tard… Il est trop tard… Une douleur atroce… Fulgurante… Plus rien…

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