lundi 27 novembre 2017

La jeune Madame

Vallotton. Die Kranke, 1892

– Alors ? Comment elle va, notre jeune Madame, ce matin ? Mieux ?
Elle fait de la place, sur la table de nuit, pour pouvoir y déposer la tasse qu’elle apporte.
– Un peu. Je ne vomis plus, non, mais j’ai toujours des nausées. La tête qui tourne. Et de la fièvre, sûrement.
–Vous savez ce que le docteur a dit. Il vous faut être patiente. Bien prendre vos remèdes. Et vous reposer. Vous reposer le plus possible.
– Ah, je m’en souviendrai, Bénédicte, de mes vingt ans ! Au lit, je les fête. Au lit !
– Vous êtes jeune. Vous en aurez d’autres, des anniversaires. Beaucoup d’autres.
– Oui, mais vingt ans, ce n’est pas un anniversaire comme les autres. Et Norbert qui n’est pas là. En plus !
Bénédicte redresse l’oreiller, remet la courtepointe en place.
– La mère de votre époux est au plus mal. Sa place, à lui, est tout naturellement à son chevet.
– Je sais, Bénédicte, je sais, mais avoue que tout semble se liguer contre nous en ce moment.
– Il ne sert à rien de broyer du noir.
Elle lui tend la tasse.
– Allez, avalez-moi ce breuvage tant qu’il est chaud. Et puis nous ferons un brin de toilette.
– Demain, Bénédicte, demain. Attendons demain. J’irai mieux demain.
– C’est ce que vous avez déjà dit hier. Non, non. Une toilette s’impose. Je reviens. Je vais chercher ce qu’il nous faut.

* *
*

Elle ramène la chaise au bord du lit, y dépose broc, cuvette et serviettes.
– Allez, on retire cette petite chemise.
– Demain, Bénédicte, va !
– Pas demain, non. Aujourd’hui. Ce n’est pas parce qu’on est malade qu’on doit se négliger. Allez, hop !
Elle repousse draps et couvertures.
– Soulevez-vous !
Et s’empare, d’autorité, des rebords de la chemise qu’elle lui fait passer par-dessus la tête.
– Là ! D’abord le dos. Tournez-vous ! Sur le ventre. Et laissez donc ce drap tranquille ! Qu’est-ce que c’est que ça ? Faites voir ! Ah, si, si, faites voir ! Lâchez ! Oh, là là ! Vous avez le derrière dans un état, mais dans un état !
Elle fronce les sourcils.
– Qui, mais qui vous a arrangée de cette façon-là ? Ni Monsieur votre père ni Madame votre mère, assurément. Jamais ils ne lèveraient la main sur vous.
– Leur dis pas, Bénédicte ! Tu vas pas leur dire, hein !
– Quant à Monsieur votre époux, il est, depuis plus d’une semaine, à des centaines de kilomètres d’ici. Alors qui ?
– Je veux pas qu’on sache.
– Eh bien alors, expliquez-moi !
– C’est à cause de l’an dernier, au couvent.
– Au couvent !
Elle s’assied, à ses côtés, au bord du lit.
– Oui, parce qu’avec deux autres filles, un jour, là-bas, en cachette, on s’est amusées à se donner la fessée.
– Et ça vous a plu.
– Un peu.
– Et vous avez recommencé. Souvent ?
– Quelquefois.
– Tant et si bien que, maintenant, vous ne pouvez plus vous en passer.
Elle lui soulève le menton. Du bout du doigt.
– Regardez-moi ! Et répondez-moi ! C’est ça, hein ?
– Oui.
– Et à qui demandez-vous donc de bien vouloir vous corriger ? Certainement pas à votre époux. Il en serait scandalisé, le pauvre jeune monsieur. Et, de toute façon, il est absent. Alors à qui ?
– À personne. Je m’arrange.
– Toute seule ? Et vous y trouvez vraiment votre compte ?
– J’essaie, mais…
– Si je puis me permettre…
– Oui, Bénédicte ?
– Au cas où la jeune Madame souhaiterait que je lui rende ce menu service, il lui suffirait de l’exiger de moi.
– Et tu me garderais le secret ?
– Le plus absolu.
– Alors vas-y !
– Maintenant ?
– Maintenant, oui. Par-dessus l’autre. Et tape, hein ! Fais pas semblant.
– Oh, pour ça, la jeune Madame peut me faire confiance. Elle va s’en souvenir.
Et elle lance une première claque. À toute volée.


4 commentaires:

  1. Ah ! Les souvenirs de discipline au couvent. Nostalgie ! Belle histoire, bien écrite et joliement illustrée.

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  2. Et les relations entre maîtres, maîtresses, serviteurs, servantes… Tout un univers. Et toute une époque. Merci de votre passage ici et de votre commentaire.

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    1. Toute une époque, bien sûr. Ça me rappelle un peu le conte d’Isak Dinesen intitulé “Les irréductibles propriétaires d’esclaves”.

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  3. Je ne connais pas du tout. Je vais me le procurer.

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