lundi 19 janvier 2009

La classe des filles ( 2ème jour )

C’est monsieur Tixier qui nous a réveillées, à cinq heures, en tapant des mains dans le couloir…
- Allez, debout, les filles !… Debout !… A la douche…
Il a brusquement écarté le rideau…
- Et on se dépêche…
On a dérivé au radar jusqu’à une grande salle collective avec toutes les douches alignées le long du mur, sans la moindre séparation entre elles, et un banc en face pour y déposer ses affaires. Monsieur Tixier nous a regardées y aller, les unes après les autres, sauf une, une petite brune qui s’y est catégoriquement refusée malgré les objurgations insistantes de sa chef de box… Il s’est approché d’elle…
- Tu tiens vraiment à être la première à recevoir la fessée devant tout le monde ?
Elle s’est obstinée…
- A moins que tu préfères que je t’envoie te laver avec les hommes… Pour te guérir définitivement de ces pudeurs ridicules… Oui, c’est probablement ce que je vais faire… Elle n’a pas répondu, mais elle a précipitamment retiré – il y en a qui ont ri – sa veste et sa culotte de pyjama et elle nous a rejointes. Tout le temps qu’elle est restée sous la douche il ne l’a pas quittée des yeux. Quand elle a voulu en sortir il l’a arrêtée…
- T’y es allée après tout le monde… T’y resteras après tout le monde… Jusqu’à ce que je te donne l’autorisation d’aller rejoindre tes camarades…
Quand on est descendues au réfectoire, pour le petit déjeuner, elle était encore là-bas…

- Je serai donc votre professeur principal… Et votre professeur de Français…
Il a une quarantaine d’années. Athlétique. Tout bronzé. Un mélange subtil de force et de douceur. Le genre de type dont tu te dis qu’il va te falloir faire preuve d’une volonté surhumaine pour ne pas en tomber amoureuse. Parce qu’il n’est pas pour toi. Pas la peine de te raconter des histoires. Mais le genre de type dont tu vas quand même tomber amoureuse – dont on va toutes tomber amoureuses – parce que c’est impossible de s’en empêcher…
- Bon… Alors vous connaissez la musique… Vous commencez par me remplir une petite fiche avec vos nom, prénom, date de naissance, etc… Et vous n’oubliez pas d’indiquer, avec précision, les motifs pour lesquels vous avez décidé de vous inscrire à ce stage…
Il a déambulé entre les tables, lu par-dessus les épaules…
- Bien… C’est terminé ?… Alors quelqu’un ramasse… Tenez, vous, Mademoiselle…
Noémie ne se l’est pas fait dire deux fois…

Il s’est assis au bureau et il a pris tout son temps pour examiner nos fiches. Une à une. En détail. Dans le plus complet des silences… Et puis il les a repoussées loin de lui avec un soupir profondément attristé…
- Vous devriez avoir honte… Honte !… C’est un ramassis de fautes d’orthographe toutes plus affligeantes les unes que les autres… Des fautes que la grande majorité des enfants de douze ans ne commettent plus depuis longtemps… Non, mais est-ce que vous vous rendez seulement compte ?… Vous êtes, pour la plupart d’entre vous, commerçantes, infirmières, voire même secrétaires… Est-ce que vous avez conscience de l’image déplorable que vous donnez de vous-mêmes lorsque vous êtes amenées à rédiger une lettre, un rapport ou quelque document que ce soit… Vous n’êtes pas crédibles. Vous vous déconsidérez. Toutes seules. Comme des grandes. Si encore il ne s’agissait que de quelques fautes d’usage sans conséquence on pourrait ne pas vous en tenir trop rigueur, mais ce sont des fautes d’accord élémentaires et d’autant plus inacceptables qu’il suffit, pour les éviter, d’appliquer des règles d’une simplicité enfantine. Encore faut-il les connaître. Encore faut-il les avoir apprises. Ce qui n’est manifestement pas votre cas. Nous allons donc tout devoir reprendre depuis le début… Le B-A BA… Et je vous engage à faire toutes preuve, dès à présent, de la plus extrême attention si vous ne voulez pas avoir à le regretter amèrement…
Il est allé au tableau. On a consciencieusement pris des notes…

On n’a cours que le matin. L’après-midi il y a ce qu’ils appellent les « travaux ». Au dessert Monsieur Ménisson est venu nous lire, d’un ton cérémonieux, une liste d’attribution. Il y en a qui sont chargés d’aller faire le ménage au dortoir ou en classe. D’autres de s’occuper, sous la responsabilité du jardinier, de l’entretien du parc et des extérieurs. A certains – dont Trianne et Cynthia – on a confié des travaux administratifs. Elles ont bien l’intention – elles ne s’en cachent pas – de se la couler douce. Pour ma part je m’en sors, je crois, pas trop mal : mon rôle va consister à prêter main-forte au chef-cuisinier et à ses deux assistantes – deux jeunes filles d’une vingtaine d’années – en compagnie d’un autre pensionnaire, un dénommé Basile, un garçon timide et effacé, auquel je n’avais pas, jusque là, prêté la moindre attention… Et auquel – le chef a beaucoup insisté là-dessus – je devrai continuer à ne pas prêter la moindre attention… Comme s’il pouvait me venir à l’idée d’envisager quoi que ce soit avec ce type !…

Il y a eu de grands fous rires étouffés, vers une heure du matin, dans le box d’à côté. Et une voix qui s’efforçait en vain de les faire cesser. Pernelle a crié...
- Oh, ça suffit maintenant !… Vous l’arrêtez votre bordel…
Ca s’est calmé. Ca s’est tu. Ca a repris. En sourdine d’abord. Avec hésitation. Avec de plus en plus d’assurance. Ca s’est élancé. Affirmé. Pernelle s’est levée, y est allée…
- Appelle Tixier si t’es pas capable de les tenir… Je vais le chercher…
- Non… Attends, non !
Des pas décidés dans le couloir. Et la voix de monsieur Tixier…
- Qui ?… Laquelle ?…
- Celle-là… Ca a claqué presque aussitôt. D’emblée à plein régime. La fille n’a pas protesté ni pleuré ni crié. Ca s’est arrêté d’un coup…
- Et vous, Laetitia, tâchez de faire preuve d’un peu plus d’autorité… C’est la première et la dernière fois qu’on me dérange pour venir rétablir l’ordre… Si ça devait se reproduire je vous en tiendrais pour personnellement responsable et vous auriez à en supporter les conséquences… Suis-je bien clair ?
Et ses pas se sont tranquillement éloignés dans le couloir…
- Salope !… Tu me le paieras…
Pernelle a silencieusement éclaté de rire…
- Mais oui, ma belle !… C’est ça… C’est ça…
Et elle est revenue se coucher…
A côté la fille reniflait à petits coups. Le lit de Pernelle a bougé. Elle a respiré plus vite. Plus profond. Quand c’est venu elle a voulu l’enfouir dans l’oreiller. Elle n’a pas pu. Pas tout à fait. Pas complètement…

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