lundi 21 mai 2018

Gertrude, cuisinière fesseuse

Dessin de Louis Malteste


Elle a reposé sa tasse, froncé les sourcils.
– Il y a des gens qui se disputent quelque part, on dirait…
– En bas, oui.
– Des femmes. Ce sont des voix de femmes.
– L’entente n’est en effet pas toujours des plus harmonieuses au sein de mon personnel féminin.
– Et vous n’intervenez pas ?
– Rarement. Je laisse le plus souvent Gertrude, ma cuisinière, régler les conflits qui surviennent. Elle le fait de façon très efficace et, il faut bien l’avouer, parfois fort plaisante.
– Comment cela ?
– Le ton monte. Venez ! Descendons ! Vous verrez par vous-même.

– Elle a recommencé, Madame ! Elle a recommencé. Elle peut pas s’empêcher. Alors…
– Je vois, Gertrude, je vois…
– Il y a que ça qu’elle comprend. C’est la seule solution avec elle. Ah, garce, je vais te le rougir ton pétrousquin, moi, tu vas voir ! Même que tu vas pas pouvoir t’asseoir d’un moment !
– S’il te plaît, Gertrude !
– Quoi ? C’est pas la première fois que Madame te voit les fesses à l’air. Quant à l’autre Madame, elle est sûrement pas née de la dernière pluie non plus.
– Ça fait bien trop honte devant elles.
– Parce que voler dans le garde-manger et dans les réserves, ça, par contre, ça te fait pas honte. Accuser effrontément les autres de ton forfait non plus…
– Je le ferai plus.
– Ah, non, tu le feras plus, non. Parce que je vais t’en faire passer l’envie.
– Ça fait mal !
– Tu m’en diras tant… C’est ça, gigote ! Et laisser les autres faire la besogne à ta place pendant que tu te roules dans le foin avec Basile, ça non plus, ça te fait pas honte. Quand on a le feu au cul, hein !
– S’il te plaît, Gertrude ! Je t’en supplie…
– Là, au moins, tu vas l’avoir pour quelque chose le feu au cul ! Et ce que t’as fait le soir de la Saint-Ignace, tu veux que je leur raconte aux madames ? Tu veux ?
– Oh, non, hein ! Non !
– Alors arrête tes simagrées. C’est ça, chiale ! Tu pisseras moins. Mais si tu crois que c’est ça qui va m’apitoyer, tu te fourres le doigt dans l’œil, ma petite, et jusqu’au coude.

– Vous reprendrez bien une tasse de thé, ma chère ?
– Volontiers, oui. En tout cas, on peut pas dire… Votre cuisinière a la main lourde.
– N’est-ce pas ?
– Et après la correction qu’elle vient de recevoir, je doute que cette petite servante soit tentée de récidiver.
– Victoire ? Détrompez-vous ! La leçon portera un mois. Peut-être deux. Et elle recommencera. Elle est incorrigible.
– Et les autres ? Votre cuisinière les soumet-elle au même traitement ?
– Pas toutes, non. Loin de là. Mais il y a trois ou quatre indociles, ou paresseuses, ou étourdies dont c’est fréquemment le lot.
– Oh, mais je sens que je vais venir prendre le thé beaucoup plus souvent chez vous, moi !
– Quand vous voudrez, ma chère ! Quand vous voudrez… Ce sera avec plaisir.

4 commentaires:

  1. Á mon avis, “Le festín de Babette” devrait être réécrit sur ce modèle-là.

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  2. Ce qui donnerait un résultat pour le moins inattendu.

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  3. Ca évite toute la paperasse pour un licenciement, c'est bien...

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  4. Oui, mais c'était… avant. On imagine mal la même chose aujourd'hui ;)

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