samedi 12 mai 2018

Joyeux anniversaire, Fräulein!

Dessin de Kal

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Schmidt était convaincu que, pour vendre nos produits aux Allemands, dont il voulait à tout prix décrocher la clientèle, il nous fallait un collaborateur de langue allemande.
– Qui pourrait, mieux que lui, pénétrer la mentalité de notre acheteur ? Ce n’est pas seulement qu’ils parlent la même langue. C’est qu’ils ont les mêmes approches. Qu’ils partagent la même culture et les mêmes préjugés.

Et, un beau matin, on a vu débarquer Fräulein Ilge. Qui était compétente, ravissante, parlait un français impeccable et détestait viscéralement les Américains.
– Ils se prennent pour les rois du monde, mais ils n’ont jamais rien inventé. Ils se sont toujours servis de façon éhontée chez les autres. Tiens le hamburger, par exemple… Tout le monde croit ça américain. Eh bien, pas du tout. C’est une spécialité de Hambourg. Ils se la sont appropriée. Comme tant de choses.

Elle avait des exemples à foison. Qu’elle dégainait à la moindre occasion.
– C’est comme la fessée d’anniversaire ! Elle existait en Allemagne bien avant qu’elle devienne à la mode chez eux.
Romain était dubitatif. Faisait semblant de l’être.
– Ça existe pas vraiment ces trucs-là…
– Ah, si, si ! Va voir sur Internet.
– Oui, oh, mais c’est des mises en scène. Pour faire de l’audimat.
Elle s’agaçait.
– Mais pas du tout enfin ! Tu nous verrais, nous, à Görlitz. C’est extrêmement rare qu’il y ait un anniversaire sans fessée.
Il faisait la moue.
– Tu parles ! Trois ou quatre petites claques, comme ça, par-dessus la jupe ou le pantalon. On peut pas vraiment appeler ça des fessées.
– Mais t’en sais rien ! Qu’est-ce t’en sais ? Tu y étais ?
– Alors, en fait, ce que t’es en train de nous dire, c’est que chez vous, là-bas, ça se passe le derrière à l’air.
– Pas toujours ! Pas systématiquement. C’est, le plus souvent, à même la culotte. Mais ça arrive aussi que ce soit sans. Ça arrive ! Surtout dans le milieu étudiant. Où on ne s’encombre pas de préjugés.
– Et à toi, ça t’est arrivé ?
– Ben, évidemment ! Tous les ans. Depuis que j’ai dix-huit ans, tous les ans.
– Cul nu ?
– Une fois. Pour mes vingt-cinq ans. Non, deux. L’an dernier aussi.
Romain n’était toujours pas convaincu.
– J’en crois pas un mot.

Erwan était hilare.
– Vous savez quoi ? C’est son anniversaire à Ilge la semaine prochaine.
– C’est pas vrai !
– Eh, si !
– Mais alors…
Mais alors, oui…
Et on lui a préparé une petite fête. Tous les cinq. Tous ceux du service. Avec gâteaux. Bougies. Le Saint-Émilion dont elle raffolait. Et de menus cadeaux.

– Joyeux anniversaire, Ilge !
Elle était ravie.
– Vous êtes des amours.
On a ri. On a parlé. On a bu. On a chanté.
Et puis Erwan a pris la parole.
– Nous savons, chère Ilge, que là-bas, à Görlitz, un anniversaire ne se conçoit pas sans fessée.
Elle a imperceptiblement accusé le coup.
– Nous savons aussi que c’est une tradition à laquelle tu es profondément attachée. Que cette journée, pour toi, serait incomplète – et finalement décevante – si elle n’était pas respectée.
Romain a renchéri.
– D’autant qu’en douze ans ce serait la première fois.
Et même Émilie.
– Ça te porterait malheur, du coup, de pas en recevoir une.
Elle était prise au piège. Le moyen de se défiler sans se déjuger ? Sans admettre qu’elle nous avait raconté des histoires ?
Erwan a posé son pied sur la petite table.
– Bon, ben allez, action ! Tu viens ?
Elle a bravement fait face, s’est avancée, penchée en avant.
– Ah, ben non, non ! Ça vaut pas par-dessus la jupe. Tu l’as dit toi-même.
Elle l’a retirée sans un mot, jetée derrière elle.
– Et même… C’est important trente ans ! C’est un cap dans la vie. Faut marquer le coup. Alors sans la culotte ce serait encore mieux, non, tu crois pas ?
Tout le monde a approuvé.
– Ah, ben oui, oui, c’est évident.
– Surtout que ce sera pas la première fois pour elle.
– Et que ça lui portera chance pour toute l’année.
Elle n’a pas protesté. Elle s’est docilement laissé déculotter, s’est penchée, d’elle-même, sur la cuisse d’Erwan.
– Joyeux anniversaire, Fräulein !
On a fait chorus.
– Joyeux anniversaire !
Et la première claque est tombée.

6 commentaires:

  1. Hum. Vous en savez, des choses, vous, François... lol

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    1. Je me cultive… ;) surtout quand le sujet d'étude me semble intéressant…

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  2. C'est marrant, ce récit fait écho chez moi lol! Toujours sympa les traditions de nos voisins.

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