C’est la dernière personne à
laquelle j’aurais imaginé avoir un jour recours. C’est pourtant
lui que j’ai appelé. Étienne. Aussitôt Océane partie. Parce que
j’avais éprouvé un tel plaisir à la cingler que j’en étais
absolument terrifiée.
Il
m’a écoutée lui exposer tant bien que mal la situation au
téléphone. Sans jamais m’interrompre.
Il
s’est contenté, quand j’ai eu terminé, d’un « Venez !
Je vous attends ! » péremptoire.
Et
j’ai pris la route, regrettant déjà mon initiative. « T’as
de ces idées, ma pauvre fille ! Tu vas en prendre plein la
gueule pour pas un rond. Et, si ça tombe, déclencher des
catastrophes en série dont tu n’as pas la moindre idée. T’aurais
bien mieux fait de te tenir tranquille. » Mais il était trop
tard pour reculer.
Il
m’a avancé un fauteuil.
‒ Asseyez-vous !
A
pris place en face de moi, m’a fixée un interminable moment sans
rien dire. J’ai croisé, décroisé, recroisé les jambes,
encombrée de moi-même. J’ai fini par me résoudre à prendre la
parole.
‒ Si
je suis venue…
Il
m’a sèchement coupée.
‒ C’est
que vous avez pris un pied pas possible à fouetter Océane. Et que
ça vous a complètement déstabilisée. J’ai bien compris, oui. De
quel droit ?
Je
me suis troublée.
‒ C’est
parce que… La façon dont elle s’est comportée…
Par rapport à Julien… Elle a cherché à nous séparer.
‒ Et
alors ! C’est pas une raison.
J’ai
bafouillé.
‒ Je
l’ai pas forcée non plus. Elle était d’accord. C’est même
elle qu’a demandé. Pour que je lui pardonne. Pour que ça
redevienne comme avant toutes les deux.
‒ En
somme, ce qu’il s’est passé, c’est que vous avez fait votre
petite soupe, toutes les deux, sans en parler à personne. Derrière
notre dos à tous. C’est bien ça ?
‒ Non.
Enfin, si ! Oui, mais…
‒ Vous
avez
joué avec le feu, Lucile. Ce n’était absolument pas à
vous
de punir Océane. Il fallait nous en parler à nous. Nous aurions
avisé et pris, le cas échéant, la décision qui convenait. Vous
ne pouvez
pas être à la fois juge et partie.
‒ Je
croyais… J’ai cru…
‒ Eh
bien, vous avez eu tort. Vous n’aviez pas, vous n’avez pas à
punir qui que ce soit. Ou pas encore. Cela viendra peut-être. En son
temps. Mais, pour l’heure, c’est à tout le moins prématuré.
Alors pas étonnant que vous vous sentiez aussi désorientée, aussi
perturbée. Vous avez cru bon d’endosser un rôle qui ne pouvait
pas, qui n’avait pas à être le vôtre. Et vous avez mérité
d’être punie pour ça. Non ?
Hein ?
Je croyais pas, non. Peut-être. Je savais pas en fait.
‒ Bien
sûr que si que vous savez. C’est même pour ça que vous êtes
venue me trouver. Pour que je vous punisse d’avoir pris cette
initiative malheureuse. Et d’en avoir éprouvé une satisfaction
intense. Parce que vous êtes parfaitement convaincue, tout au fond
de vous-même, qu’il n’y a guère qu’une bonne fessée qui
puisse vous débarrasser, au moins partiellement, du sentiment de
culpabilité qui vous a investie depuis. Et qui vous ronge. Je me
trompe ?
Non.
Non, il ne se trompait pas. Ça
m’est brusquement apparu comme une évidence absolue. J’en avais
besoin de cette fessée. Un besoin impérieux. Pour me retrouver en
accord avec moi-même. Pour arriver à me pardonner. Oui, il me la
fallait. De toute urgence.
Je
me suis levée. Je me suis approchée de lui.
‒ Punissez-moi !
Il
m’a fait relever.
‒ Vous
le serez. Promis ! Bientôt. Très bientôt. Mais pas ici. Pas
maintenant. Là-bas. Chez vous. Devant tout le monde.
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