lundi 12 février 2018

Colocation

Fenner-Behmer Bücherwurm

Baptiste, avec qui je vivais en colocation depuis six mois, venait de me faire brusquement faux bond. Il avait trouvé du travail à Strasbourg.
– Et en CDI. Ça se refuse pas un truc pareil au jour d’aujourd’hui.
Moi, ça m’arrangeait pas – mais alors là, vraiment pas – parce que, financièrement, j’avais pas le choix : il fallait absolument que je lui trouve un remplaçant.
– Et tu sais jamais sur qui tu vas tomber. C’est carrément la loterie.
– Sinon, il y aurait bien ma sœur. Ça va plus du tout la cohabitation, elle, avec ses copines. Elles arrêtent pas de se prendre le chou. Elle parle que de s’en aller.
J’avais entraperçu deux ou trois fois Morgane. Elle était souriante, avenante, plutôt jolie. Alors oui, sa sœur, oui, pourquoi pas sa sœur ?

On s’est tout de suite très bien entendus. Et organisés. On s’est équitablement réparti les tâches ménagères.
– Parce que, sinon, il y en a toujours un qui se fait avoir.
Pour ce qui était des courses, on a fait bourse commune.
– Puisque, de toute façon, on n’est là que le soir et qu’on dîne ensemble.
On profitait de ce repas en commun – qu’on prolongeait parfois fort tard – pour faire plus ample connaissance. On parlait musique. Là-dessus, on était intarissables. Équitation aussi, dont on était tous les deux passionnés. On plaisantait. On se prenait de grandes crises de fou rire pour des riens. On essayait aussi de se faire croire, sans jamais y parvenir vraiment, que nos études respectives – psychologie pour elle, sociologie pour moi – déboucheraient sur des avenirs de rêve. Elle me parlait parfois aussi d’Alexandre, son petit copain.
– Oui, oh, mon petit copain, si on veut. Si on peut dire ça d’un type qu’est marié, que je vois tous les tournants de lune, mais que j’ai tellement dans la peau que je serais totalement incapable de faire l’amour avec un autre. Faut quand même être particulièrement idiote, non ?

C’est un dimanche matin, en déjeunant, tous les deux, en tête à tête, qu’on en est venus à parler des vacances.
– Tu pars où, toi ?
Elle savait pas trop. Pas encore.
– Mais à Leucate, sûrement.
– À Leucate ? Il y a un camp naturiste là-bas.
– Oh, ben oui. Oui. Et si j’y vais, c’est là que j’irai. Parce que, pour moi, des vacances sans naturisme, c’est pas des vacances.
Non, mais c’était fou, ça ! Parce que moi aussi, ça faisait des années et des années que je pratiquais.
Ah, le naturisme ! On se sentait tellement bien, comme ça, sans rien. Avec le soleil et l’air à même la peau.
Oui, oui, bien sûr ! Mais ce qu’elle appréciait surtout, elle, chez les naturistes, c’était que la nudité soit considérée comme parfaitement naturelle. Qu’elle aille de soi. Que personne ne juge personne.
– Et jamais, au grand jamais, je ne me suis sentie l’objet de regards lubriques ou déplacés.

On était sur la même longueur d’ondes. Ce qui la ravissait.
– Non, parce que tu peux pas savoir comment c’est contraignant, pour moi, de devoir rester habillée. Même à la maison. Surtout à la maison. Quand on est habituée à toujours être à l’aise… Plusieurs fois j’ai failli t’en parler. J’ai jamais osé. Je savais pas comment t’allais réagir. Mais maintenant que les choses sont claires, qu’on sait qu’on les voit de la même façon, ça change tout.

Et ça a effectivement tout changé. Pas complètement. Ou, du moins, pas tout de suite. Parce que des plis avaient été pris auxquels il n’était pas forcément aisé de se soustraire d’emblée. On s’est d’abord, dans un premier temps, furtivement croisés dans le plus simple appareil. En allant à la salle de bains. En en revenant. Mais on s’est très vite enhardis. Et, dès le surlendemain, on évoluait nus dans tout l’appartement. On cuisinait nus. On dînait nus. On regardait la télévision nus. Partout on était nus. Et on s’en trouvait tous les deux fort bien.

C’est le mois suivant que son Alexandre s’est à nouveau manifesté.
– Il veut me voir, mais bon, je me fais pas trop d’illusions.
Ils ont passé un dimanche ensemble. Un autre. Un troisième.
– Il y a sacrément de l’eau dans le gaz avec sa bonne femme.
– C’est peut-être pas mal pour toi, ça, non ?
– Oui, oh, je connais le truc. Je vais lui servir de soupape de sécurité. Du coup, ça ira mieux avec sa légitime et il me remettra en réserve. Jusqu’à la prochaine fois.
Ça a quand même duré, cahin-caha, jusqu’au week-end de l’Ascension. Qu’ils ont passé tout entier ensemble.
Quand elle en est revenue, elle a été saisie d’une incompréhensible crise de pudeur soudaine. Qui a duré quasiment une journée entière.
– Oh, et puis merde !
Et elle a repris ses bonnes vieilles habitudes.
– Hein ! Mais qu’est-ce qui t’est arrivé ?
Elle avait les fesses d’un rouge incarnat profond. Sur toute leur surface.
– C’est Alexandre.
– Eh ben, il y est pas allé de main morte, dis donc, ton Alexandre ! Et c’était quoi la raison ?
– Qu’il en crevait d’envie. Et que je voulais pas courir le risque de le perdre.
– En tout cas, c’est impressionnant, vraiment impressionnant.
– Et ça te fait sacrément de l’effet, à toi aussi, on dirait ! C’est la première fois que je te vois bander.

4 commentaires:

  1. Ha, ça promet !
    "que je vois tous les tournants de lune", joli...

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  2. Toi, je sens qu'à cette histoire aussi, tu vas vouloir une suite…

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  3. Brave fille. Dommage qu’on n’en trouve souvent en quête de logement.

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  4. Et c'est pas fini. Il y aura une suite lundi prochain.

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