lundi 11 mai 2020

Qui paie ses dettes... (1)


« T’as le ticket ?

Il était surexcité, Lucas.

‒ Hein ? Quoi ? Quel ticket ?

‒ Mais du loto qu’on a joué ensemble avant-hier, tiens ! Tu l’as ? Fais voir ! Oh ? Putain, c’est ça ! C’est bien ça ! J’y crois pas… On a gagné, Quentin, on a gagné ! Regarde ! Mais regarde ! Vingt millions d’euros. Dix chacun. Tu te rends compte ?

Non. À vrai dire, je me rendais pas compte. Pas vraiment. Il m’a fallu trois jours, plus de trois jours, pour réaliser. Pour me faire à l’idée que oui… oui, c’était bien à moi que ça arrivait un truc pareil.

Lucas, lui, il avait pris les choses en mains. Il avait appelé la Française des Jeux. Contacté sa banque.

‒ Et je te conseille de faire la même chose. De voir avec eux quels placements ils te proposent. »

Des placements ? Oui, bien sûr ! Des placements

Mais à part ça ? On allait faire quoi de tout cet argent ?

Oh, ben lui, c’était tout vu. Il allait s’acheter un appartement dans le Marais. Une villa au bord de la mer. Du côté de Cannes. Une voiture neuve. Une italienne. Des voyages par-ci par-là. Et puis voilà !

Oui, moi aussi. Pas à Paris. Plutôt à Toulouse. Et une résidence secondaire sur la côte atlantique. Une voiture aussi, oui. Je savais pas trop quoi encore.

Bon, mais quand même ! Une fois qu’on aurait fait tout ça, il nous resterait encore à chacun un joli pactole. Qu’on allait laisser dormir à la banque ?

En attendant, oui.

En attendant quoi ? On savait pas.

Toujours est-il qu’on allait quand même achever sagement nos études.


On était restés aussi discrets que possible, mais il avait malgré tout fini par se savoir qu’on avait gagné une somme faramineuse. Et on avait été l’objet de sollicitations diverses. Auxquelles on donnait parfois suite, mais le plus souvent non. Pour nous soutirer de l’argent, on dépensait des trésors d’imagination, mais, surtout, on s’efforçait de jouer sur la corde sensible. Ce qui nous agaçait prodigieusement : on avait vraiment l’impression d’être pris pour des imbéciles.

Et puis il y a eu ce jour-là. Cette femme-là. Une bourgeoise. Bien mise. La cinquantaine. Un peu moins. Qui n’y est pas allée par quatre chemins.

« J’ai besoin de vingt mille euros

Vingt mille euros ! Comme ça !

‒ Je vous les rendrai.

‒ Peut-être

‒ Si ! Si ! Je vous assure

On s’est concertés du regard, Lucas et moi. On a fait la moue.

‒ Je vous en supplie. C’est une question de

‒ Vie ou de mort ?

Et on a ri.

‒ Non, mais c’est important. Très. Si mon mari se rend compte, ce sera l’horreur absolue. Et il va se rendre compte. Demain. Après-demain au plus tard. Il devait pas y mettre le nez. Pas si tôt. C’était pas prévu. Seulement

Elle s’est faite implorante.

‒ Sauvez-moi !

Lucas a froncé les sourcils.

‒ Et vous avez fait quoi d’une somme pareille ? On peut savoir ?

‒ Je…

Elle a hésité. S’est tue.

‒ Oui ?

‒ J’ai… J’ai aidé quelqu’un.

‒ Ah, nous y voilà ! Un beau et fringant jeune homme, j’imagine. Et infatigable.

Elle n’a pas répondu. Elle a baissé la tête.

‒ On comprend mieux effectivement pourquoi vous ne tenez pas à ce que votre mari découvre le pot-aux-roses. Bon, on va vous sortir d’affaire…

‒ Oh, merci ! Merci.

‒ Mais à une condition… que vous acceptiez d’être punie. Parce que c’est très vilain de subtiliser comme ça l’argent de son mari pour aller s’offrir du bon temps avec son jeune amant.

‒ Punie ? Comment ça, punie ?

‒ Ben, une fessée ! On a encore rien trouvé de mieux.

‒ Une fessée, mais…

‒ C’est à prendre ou à laisser. Et ce sera pour solde de tout compte.


(à suivre)


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