Daniel Hernandez
Morillo, El admirador, 1883
– Ça
t’ennuierait qu’on retourne aux lions ?
– Encore !
Mais ça fait déjà trois fois !
– Elles me
fascinent ces grosses bêbêtes, qu’est-ce tu veux !
– Bon, mais
une dernière fois alors ! Après on rentre.
– T’as
vu ? On dirait qu’il nous attendait, celui-là. Qu’il savait
qu’on allait revenir. Non, mais comment il nous regarde !
Surtout moi ! C’est de la folie ! Ça ferait presque
peur. Tu crois qu’ils savent qu’on est des femmes dans leurs
têtes d’animaux ?
– C’est
vrai qu’on serait en droit de se poser la question.
– J’en
ai vu faire un, un jour, avec une lionne. Il lui mordait la nuque en
même temps. Ce qu’avait pas l’air de lui déplaire du tout à
elle. Pourquoi tu ris ?
– Pour
rien.
– Mais
si, dis !
– Parce
que c’est quelque chose qu’il me fait aussi quelquefois pendant,
Victor.
– Il
te mord !
– Oui,
enfin, pas comme un sauvage non plus ! Il me soulève les
cheveux et il me prend la nuque entre ses dents. Et puis il serre. Un
peu. Pas trop. Enfin, ça dépend.
– Ce
qui veut dire qu’il se met derrière toi, alors, quand vous le
faites !
– Ça,
forcément ! Oh, mais pas toujours, hein ! On s’y prend
aussi autrement. On a des tas de façons en fait.
– Oui,
oh, ben nous, avec Louis, ça se passe toujours pareil.
– Lui
dessus et toi dessous, j’parie ! Je pourrais pas, moi !
Je m’ennuierais trop. Tu t’ennuies pas ?
– Un
peu quand même, si, mais bon !
– Dis-lui !
– Je
m’y risquerais pas. Il a des principes, Louis. Et des conceptions
très arrêtées. Sur tout. Mais sur ça en particulier. Je te dis
pas quelle opinion il aurait de moi après !
– Franchement,
je préfère être à ma place qu’à la tienne. Et de loin !
– Il
a quand même plein de qualités. Et puis il est gentil.
– Victor
aussi, il est gentil ! Ça l’empêche pas d’avoir toutes sortes
d’idées. Et de m’en faire profiter.
– Quoi,
par exemple ?
– Il
y a quelque chose, surtout, mais ça va te paraître bizarre.
– Dis !
– Je
sais pas.
– Mais
si, dis !
– Il
me donne des claques. Sur les fesses.
– Des
fessées, quoi ! Fort ?
– Encore
assez, oui.
– Et
ça te fait quoi ?
– Du
mal. Et du bien en même temps. Du bien parce que ça fait mal
justement. Et ça me donne envie de lui. Beaucoup plus que n’importe
quoi d’autre.
– C’est
drôle que tu me dises ça ! Parce que moi, il y a un rêve que
j’arrête pas de faire. Presque toutes les nuits. Plusieurs fois
par nuit, même, souvent.
– Eh
bien, raconte !
– Je
suis au cirque. Dans les tout premiers rangs. Il y a un jongleur,
dans une cage, qui fait grimper trois lions sur des escabeaux. Qui
les fait passer dans des cercles de feu. Qui met sa tête dans leur
gueule. Qui réclame, à un moment, qu’un spectateur vienne le
rejoindre. Personne ose. Mais moi, si ! J’y vais. Dans la
cage. Avec les lions. Que je vois de tout près. Ils sont beaux. Ils
sont forts. Lui, il brandit son fouet. Il le fait claquer dans ma
direction. Il veut que je me mette toute nue, là, devant tout le
monde. J’ai honte, j’ai horriblement honte, mais j’obéis. Je
le fais quand même. Alors, il me fouette. Pour me punir. Il me
traite de dévergondée, de sale petite vicieuse. Et il cingle. De
plus en plus fort. Ça me fait danser sur place. Ça me fait crier.
Tout le monde me regarde. Tout le monde m’entend. Il y a des gens
qui rient. D’autres qui font des réflexions tout fort. Et j’ai
peur. J’ai peur qu’on se rende compte que c’est en train de
venir. Qu’il monte mon plaisir. Qu’il va me submerger. Ça me
réveille. En sursaut. Je suis toute moite. Je suis toute trempée.
Avec le cœur qui bat à toute allure.
– Et ?
– Et…
Ben, oui ! Et… Il dort comme un sonneur, Louis. Rien le
réveille jamais.
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