jeudi 28 février 2019

Les fessées de Blanche (17)


Elle n’ira pas. Elle n’ira plus. Elle ne chevauchera plus à ses côtés. Comment reparaître devant lui maintenant ? Elle s’est comportée comme la dernière des dernières. Elle s’est avilie. Comme jamais elle n’aurait cru pouvoir le faire.
Tu as joui sous ses coups. Non, mais tu te rends compte ? Tu as joui sous ses coups. Et de quelle manière !
Ce n’est pas la première fois.
Certes, mais les autres fois, tu avais l’excuse de Gontran. Hier soir, tu n’en avais aucune. Alors il serait peut-être temps que tu te regardes enfin en face. Telle que tu es.
Ce qui veut dire ?
Que le fouet te met en transes.
N’importe quoi ! Vraiment n’importe quoi !
Tu es sûre ?
Peut-être que j’aime un peu ça quand même, oui.
Beaucoup, tu veux dire ! Beaucoup plus que quoi que ce soit d’autre.
Tu m’agaces !
Et même, sois honnête avec toi-même, ce qui te met dans tous tes états, c’est que ce soit Sylvain. Parce que c’est ton cocher. Ton serviteur. Ce qui t’humilie. Et c’est précisément parce que ça t’humilie profondément que…
Ça suffit ! Cette fois ça suffit.
Elle se lève. Ne plus penser. Elle va jusqu’à la fenêtre. Elle écarte le rideau. Il fait beau dehors. Il fait si beau…

Il l’aide à enfourcher Flamboyant. Il la laisse prendre un peu d’avance et puis il la rejoint. Ils chevauchent de front. Il y pense. Il y pense forcément. Elle aussi. Tout l’y ramène. Chaque trépidation de la selle lui est une véritable torture.
– Mademoiselle…
– Oui, Sylvain…
– S’agissant de ce jeune homme…
– Gontran ?
– Gontran, oui. Il se dit qu’il aurait préparé son départ de longue date. Dans le plus grand secret.
Ce qui signifie que, pendant tout ce temps qu’il a été avec elle, il ne l’a jamais été vraiment. Déjà ailleurs.
Il s’est joué d’elle. Et il y a quelque chose qui se brise. Doucement. Lentement. Sans faire vraiment mal. Presque un soulagement. Il est lâche. C’est un lâche. Il n’a aucun courage. Ni celui de se battre ni celui de dire la vérité.
– Il serait, paraît-il, en Asie.
Elle hausse les épaules.
– Grand bien lui fasse !
Il peut bien être où il veut. Elle s’en moque. Elle ne le rejoindra pas. Il n’existe pas. Il n’existe plus.
Ils chevauchent. Des filaments de brume s’étendent à l’horizon. Des étourneaux s’enfuient à leur approche. Il lui jette, de temps à autre, un regard de côté. Sans un mot.
– J’ai un peu froid.
Ils font demi-tour.
Elle descend de cheval. Elle lui tend les rênes.
– Merci, Sylvain.

Pierre lit devant la cheminée. Il lève la tête. Lui sourit.
– L’abbé Maurel est passé. Il était pressé. Il ne vous a pas attendue.
– Que voulait-il ?
– Vous rappeler que c’est demain que se tient sa vente de charité.
– Je n’ai pas oublié. J’y serai.

lundi 25 février 2019

Lettre de requête



Dessin de Léon Roze

Elle a repoussé les feuillets, découragée.
– Je n’y arriverai jamais.
– Il va bien falloir pourtant. Vous savez ce qu’il m’a dit qu’il exigeait de vous. Une lettre en termes explicites. Et convaincants. Faute de quoi, vous aurez affaire à la justice.
– Y aura-t-il vraiment recours ?
– N’en doutez pas ! Et les malversations auxquelles vous vous êtes livrée vous vaudraient, si tel était le cas, assurément la prison.
– Je suis prise au piège.
– En effet. D’autant que votre mari serait alors nécessairement mis au courant. Est-ce ce que vous voulez ?
– Que puis-je faire, mon Dieu, que puis-je faire ?
– La rédiger, cette lettre.
– Aidez-moi, mon ami, je vous en conjure, aidez-moi !
– Soit ! Écrivez… Monsieur le Directeur, Je me suis rendue coupable, à votre égard, d’une faute d’une extrême gravité. Et le vol que j’ai commis à vos dépens…
– Je ne suis pas…
– Une voleuse ? Il souhaite, ne l’oubliez pas, que vous appeliez les choses par leur nom. Allons, poursuivons ! Le vol que j’ai commis à vos dépens m’expose, j’en ai parfaitement conscience, à des sanctions pénales dont ni ma réputation ni celle de mon mari ne parviendraient à se relever.
– Il me faudrait vraiment aller en prison ? Vous êtes sûr ?
– Cela ne fait pas l’ombre d’un doute. Pour plusieurs années. Et vos conditions de détention, dans une promiscuité…
– Taisez-vous ! Je vous en supplie, taisez-vous !
– Alors poursuivons ! Aussi vous saurais-je gré, même si je ne la mérite pas, de bien vouloir faire preuve d’indulgence à mon égard et de ne pas m’imposer l’humiliation d’un procès infamant. En lieu et place duquel j’accepterais, avec reconnaissance, le châtiment que vous voudriez bien m’infliger de vos propres mains.
– Reconnaissance. Est-ce vraiment nécessaire, reconnaissance ?
– Absolument. Continuons ! Il ne tiendra alors qu’à vous d’appliquer sur mon postérieur que j’aurai au préalable intégralement dénudé… Eh bien ? Vous n’écrivez plus ?
– Non. Oui. Si ! Mon Dieu…
– Vingt coups de fouet.
– Vingt ! Il me faudra donc boire le calice jusqu’à la lie ?
– Je le crains. D’autant – et c’est un point sur lequel il a beaucoup insisté–  qu’il vous faudra accepter que d’autres séries de vingt coups de fouet vous soient administrées, réparties dans le temps, autant de fois qu’il le jugera nécessaire.
– Je ne pourrai, Armand. Ce sera au-dessus de mes forces.
– Il le faudra pourtant. Les conséquences, si vous vous y refusez…
– Je le sais, mon ami, je le sais. Mais la honte qu’il va m’être donné d’éprouver…
– Sera infiniment moindre que celle dont vous seriez irrémédiablement et définitivement couverte si les faits dont vous vous êtes rendue coupable viennent à être publiquement dévoilés.
– Quand il me…
– Fouettera…
– Vous pouvez m’assurer que ce sera sans témoins ?
– Absolument. Il n’y aura que vous, lui et moi.
– Vous aussi !
– Il y tient absolument.
– Mais…
– Nous sommes amants, chère amie, et ce ne sera certes pas la première fois que…
– Sans doute ! Mais la situation dans laquelle je vais être contrainte de me trouver devant vous…
– Devrait, selon lui, vous amener à nourrir des réflexions dont vous tirerez, pour l’avenir, le plus grand profit.
– Que je regrette ! Oh, que je regrette !
– Ce qui, malheureusement, ne peut plus désormais vous être d’aucun secours. Bon, mais n’abusons pas de sa patience. Remerciez-le par avance des bontés dont vous le suppliez de faire preuve à votre égard et finissons-en.
– Que je le remercie !
– C’est la moindre des choses, non, vous ne croyez pas ?
– Je ne sais pas. Si ! Oui. Peut-être. Oui. Que je regrette !

samedi 23 février 2019

Les fantasmes de Lucie (40)


Dessin de Louis Malteste

Je passe de plus en plus souvent la nuit chez Cordelia.
Gaëtan, son « petit » frère – il a vingt ans – également.
– Tu parles ! Dès qu’il sait que tu vas venir, il rapplique.
Et pour cause. La porte de la salle de bains, chez elle, ne clenche pas.
– Il faudrait que je fasse changer la serrure. Mais tu sais ce que c’est… On diffère. Le temps passe. Et ça reste en l’état.
Il y en a un en tout cas qui ne s’en plaint pas. Pas du tout. Une véritable aubaine. Parce que si, bien entendu, je pousse consciencieusement la porte au maximum derrière moi quand je vais me doucher, il lui suffit de la décaler, discrètement, d’un centimètre ou deux pour avoir une vue imprenable sur mon anatomie. Et il ne s’en prive pas. Il ne s’en lasse pas non plus. Il est toujours là, systématiquement là, dans le couloir, fidèle au poste.
Comment je le sais ? Oh, c’est simple. Dans la cuisine, après, il a les yeux tellement brillants, les joues tellement enflammées, les mains tellement tremblantes qu’il ne peut pas y avoir le moindre doute sur l’occupation à laquelle il vient de se livrer.
Ça amuse beaucoup Cordelia qui joue parfois, de temps à autre, à lui tomber inopinément dessus.
– Tu verrais comment il bat en retraite, tout penaud, la queue entre les jambes… Enfin, ça, non. Non. Elle pointe plutôt résolument en l’air, sa queue.
Et c’est, entre nous, un sujet inépuisable de plaisanteries.
Elle me menace du doigt.
– C’est pas gentil de mettre mon frère dans des états pareils, le pauvre !
– Comme si j’y pouvais quelque chose !
– Oui, oh, alors là, je suis bien tranquille que tu dois lui offrir complaisamment de quoi se rincer l’œil tant et plus. Et même les deux.
– Mais non, oh, tu me connais !
– C’est justement ! Je te connais.

À la Pentecôte, je suis restée chez elle pendant trois nuits consécutives. Gaëtan aussi.
– Mais il a pas une copine ?
– Si ! Mais il a aussi une sœur. Du moins quand t’es là. Tu devrais avoir honte d’ailleurs…
– Mais…
– Ah, si, si ! Un si gentil petit couple qui part à vau-l’eau à cause de toi… T’en as conscience, j’espère ! Même pas ! Non, ce que tu mériterais, tiens, c’est une bonne fessée… Qui te remette les idées en place.
– Si tu me prends par les sentiments…
– Je vais te la donner d’ailleurs. Et celle-là, je peux te dire que tu vas t’en souvenir.

* *
*

– Ouche ! T’as pas fait semblant, dis donc !
– Quand c’est mérité…
– Je vais l’avoir rouge un moment.
– Ça ! Mais j’en connais un à qui ça va beaucoup plaire.
– Ah, parce que…
– Il sera là ce soir, oui. Et donc aussi demain matin. Tu vas rester, j’imagine ?

Je suis restée. Évidemment que je suis restée. Je me suis même éternisée dans la salle de bains, les fesses tournées vers la porte. Qu’il ait le temps d’en profiter tout son saoul.
Il a brusquement surgi, l’air faussement surpris.
– Oh, pardon ! Je croyais que… Enfin, je pensais…
Que la place était libre ? Ben, voyons !
Il s’est attardé quelques instants, les yeux fixés sur mon arrière-train, a cru bon, pour gagner du temps, de se confondre en excuses.
– Je savais pas… Désolé…
Et il est reparti comme il était venu.
Quel idiot ! Non mais quel idiot !

Quel idiot, oui !
Et, une fois qu’ils ont été partis, Cordelia et lui…
– La corvée du repas dominical chez les parents. Mais reste si tu veux. T’as les clefs n’importe comment.
Je suis retournée habiter la salle de bains. Je me suis longuement prélassée sous la douche. Avant de le faire entrer.
– Oh, pardon !
Mais il ne repart pas. Au contraire. Il s’approche. Tout près. Encore plus près. À me les toucher. L’air stupéfait.
– Mais qu’est-ce qu’il vous est arrivé ?
– Rien. Rien.
– Mais si ! On vous a flanqué une fessée. Ah, si, si ! Et une bonne. Qui c’est qui vous l’a mis dans un état pareil ?
Je ne réponds pas. Il insiste.
– Pourquoi vous voulez pas le dire ? Parce que vous avez honte, c’est ça ? En tout cas comment vous aviez dû le mécontenter le type ! Pour qu’il vous le tambourine comme ça…
Il me l’effleure. Je ne me dérobe pas. Il en suit les contours. Recommence encore et encore. Il malaxe. Il pétrit. C’est douloureux. Un peu. C’est agréable. Très. Je m’abandonne. Il se faufile entre mes fesses. Il explore. Il m’envahit. Je m’agenouille. Je lui tends mon cul. Il m’emplit. Il se déverse en moi. Je geins. Je gémis. Je crie mon bonheur. À pleins poumons.

jeudi 21 février 2019

Les fessées de Blanche (16)


Pierre marche de long en large comme un furieux.
– Ah, vous voilà ! Vous savez la nouvelle ?
Elle feint l’étonnement.
– Non. Quoi donc, mon ami ? Quelle nouvelle ?
– Le fils De Fontvieille… Gontran… Il n’a pas rejoint son régiment. Déserteur. Hein ? Qu’est-ce que vous dites de ça ?
Ce qu’elle en dit, c’est que c’est une honte. C’est ce qu’il faut qu’elle dise. C’est ce qu’il veut entendre.
Il éructe.
– C’est un scandale ! Un véritable scandale.
Il ne décolère pas de tout le repas.
– Qu’on le rattrape ! Conseil de guerre. Qu’on le fusille ! Qu’on fasse un exemple ! S’enfuir lâchement quand la patrie est en danger… Une balle en plein cœur, c’est tout ce qu’il mérite ! Oui. Parfaitement. Une balle en plein cœur. Devant le front des troupes.
Elle l’écoute. Et elle ne l’écoute pas. Elle se sent étrangement vide. Comme absente d’elle-même. Plus grand chose n’a d’importance. Plus rien n’a d’importance. Il est parti. Sans le lui dire. Sans un adieu. Elle le déteste. Elle le hait.
Elle l’aime. Comme elle l’aime !

Dans sa chambre, après, sur son lit, elle ferme les yeux. Ils sont pleins de larmes. Où est-il ? A-t-il quitté l’Europe ? Oui. Forcément. Elle l’imagine. Il vogue. Vers ailleurs. L’Afrique ? L’Amérique ? Les flots le bercent. Il est allongé sur le pont d’un navire, au soleil. Soulagé. Heureux ? Non. Pas heureux. Il se sent sale. Méprisable. Il s’efforce de n’y pas penser. De sourire à son avenir. Comment se le représente-t-il ? Est-ce qu’il lui y ménage une petite place ? Une toute petite place ? Est-ce qu’il voudra qu’elle le rejoigne quand il sera installé bien à l’aise dans sa nouvelle vie ? Quand tous ces bruits de guerre et de violence se seront estompés ? Oui, mais quand ? Dans un an ? Deux ? Trois ? Elle esquisse un sourire. Elle aussi, à son tour, elle vogue. Vers lui. Vers un pays où il fait toujours beau. Où il y a des arbres gigantesques. Des plantes aux fleurs improbables, aux senteurs enivrantes. Elle y débarque sur une plage de sable fin. On la conduit vers lui. Dans un village aux maisons blanches qui ruissellent de soleil. Il est là, entouré d’ouvriers, auxquels il donne des ordres. Il lève la tête. Il l’aperçoit. Il court vers elle. Elle se jette dans ses bras. Leurs lèvres se joignent. Ils sont heureux. Jusqu’à la fin des temps.

Elle se réveille en sursaut. Elle est en nage. Son cœur bat la chamade. Elle a rêvé qu’on l’avait pris. Gontran. Capturé. Juste au moment où il allait embarquer. On l’a battu. À coups de poing. À coups de pied. À coups de crosse. Il a le visage en sang. Une pommette éclatée. Il est couché à même le sol d’une cellule glaciale. Elle serre ses deux mains contre sa poitrine. Ce n’est qu’un méchant rêve. Un cauchemar. Elle ne sait pas. Elle a peur. Et si c’était vrai ? C’était tellement présent. Tellement réel.

Elle ne se rendort pas. Elle se tourne. Elle se retourne. Finit par se lever sans bruit. Il faut qu’elle bouge. Il faut qu’elle marche.
Ses pas la conduisent là-bas. À la grange. C’est là que… Gontran… L’odeur du foin. Elle s’y étend. À l’endroit même où, la dernière fois… Elles étaient si bonnes, ses caresses. Si pleines de passion. Et ses mains sont sur ses seins. Elle en caresse les pointes du bout du pouce. Elles descendent. Se font insistantes. Précises. De plus en plus précises. Il est là, avec elle. Ce sont ses doigts qui la guident vers le plaisir. Qui vont le faire éclater. Qui… Une brûlure intense, soudain, sur ses cuisses. Une autre…
– Madame devrait avoir honte. Honte…
Mais elle a honte. Oui, elle a honte. Comment elle a honte !
Et elle se tourne. Elle lui présente ses fesses. Qu’il cingle à tout va.
– Plus fort, Sylvain ! Plus fort !
Et elle jouit dans un grand râle.

lundi 18 février 2019

Vingt ans après

Dessin de Luc Lafnet


– Tiens donc, Mademoiselle Lise !
– Madame… Je suis mariée maintenant, Basile. Madame.
– Mes compliments. Vous voilà donc revenue au pays ?
– Pour quelques jours. Seulement pour quelques jours. Le temps d’une petite plongée au milieu de mes souvenirs.
– Oh, vous trouverez pas bien de changement, vous savez. Tout est resté à peu près en l’état. Comme avant.
– Ah, je t’en ai fait voir à l’époque, mon pauvre Basile, hein !
– C’est du passé, Mademoiselle Lise.
– Il n’empêche. Qu’est-ce que je pouvais être infecte avec toi ! Quand j’y repense…
– Il faut bien reconnaître que vous n’étiez pas facile. Et que plus vous avanciez en âge…
– Pire c’était. J’en ai bien conscience. Je te poussais délibérément à bout. Je te provoquais. Tant et si bien qu’excédé tu as fini, un jour, par me flanquer une magistrale fessée.
– Dame, c’est vrai que ce jour-là…
– Je l’avais amplement mérité. Comment j’avais saccagé le jardin !
– Ah, ça, vous y étiez pas allée de main morte.
– Et toi non plus ! Près de trois jours ça m’a brûlé. Ce qui m’a pas empêchée de recommencer.
– Au pire moment. Quand tout sortait à nouveau de terre.
– Ce qui m’en a valu une deuxième. Beaucoup plus sévère encore que la première.
– Tout ce travail accompli en vain…
– J’avais beau avoir… Quel âge déjà au juste ? Vingt-et-un ? Vingt-deux ? J’étais complètement immature. Faut dire aussi que mes parents se souciaient de mon éducation comme d’une guigne. Peu leur importait ce que je faisais du moment que leur petite tranquillité n’en était pas affectée. Tu es le seul à m’avoir posé des limites. À m’avoir ramenée, par la suite, chaque fois qu’il le fallait, dans le droit chemin.
– Vous voir partir à la dérive me désespérait.
– Ah, tu m’en auras donné, au bout du compte, des fessées !
– C’était pour votre bien.
– Je l’ai, avec le recul, parfaitement réalisé. Et je t’en suis infiniment reconnaissante. D’ailleurs…
– Oui, Mademoiselle ?
– Non, rien. Enfin, si !
– Mademoiselle ne serait-elle donc pas venue ici aujourd’hui par hasard ?
– J’ai honte, Basile.
– Les mauvais penchants de Mademoiselle auraient-ils repris le dessus ?
– Ce que j’ai fait, Basile…
– Mérite, une fois de plus, une correction exemplaire.
– Oui.
– Eh bien, allons, Madame, allons ! Par ici… Ce bon vieux tabouret va reprendre du service.

samedi 16 février 2019

Les fantasmes de Lucie (39)


Dessin de P.Silex

« Couvent à vendre ». Cette annonce m’a intriguée. Qui, mais qui pourrait bien avoir l’idée saugrenue d’acheter un couvent ? Et pour y faire quoi ? D’autant que, si j’en jugeais d’après les photos, il s’agissait d’un bâtiment immense. Pourquoi ne pas aller y jeter un coup d’œil ? J’aurais là un but de promenade tout trouvé pour mon week-end.
Et j’ai pris la route. Cinquante kilomètres, ce n’était vraiment pas la mer à boire.

Il était perdu au milieu de nulle part. Plus grand et plus imposant encore qu’il ne le paraissait sur les photos. J’en ai fait le tour. Il était globalement en bon état. Les abords étaient bien entretenus. J’ai refait le tour. Essayé sans succès de m’y introduire. J’allais prendre le chemin du retour quand une voiture a surgi. Le conducteur a baissé la vitre.
– Vous êtes intéressée ? Vous voulez visiter ?
J’aurais bien aimé, oui.
Il est descendu, un trousseau de clefs à la main.
– Je vous ai vue de là-bas…
Avec un geste ample et vague du bras.
Il a ouvert. On est entrés. Et ça a été une succession de salles immenses, de plafonds voûtés, d’escaliers monumentaux.
– Ah, sûr qu’il y a de la place ! D’ailleurs jusqu’à cent trente pensionnaires il y a eu ici au XVIIIème et au XIXème siècles. De grandes jeunes filles à qui leurs familles voulaient offrir une éducation de qualité. Et même…
Il a baissé la voix.
– Et même des jeunes femmes que leurs maris voulaient mettre à l’abri de tentations auxquelles elles avaient parfois déjà cédé.
On a débouché dans le cloître.
– D’ailleurs, si ça vous intéresse, un érudit local a compulsé toutes sortes de documents d’époque. Établi toutes sortes de statistiques. Rédigé un ouvrage sur le sujet. Il y est même question d’une femme masquée.
– Une femme masquée ?
– Oui. Qui aurait fait plusieurs séjours ici. À différents moments. Et qui constitue un mystère. Sur les raisons de sa présence dans les lieux les témoignages sont contradictoires. Et très flous. Tout en allusions. Comme s’il y avait quelque chose à cacher.
– Quoi ?
– Ah, ça !
Au-dehors il s’est arrêté sur le pas de la porte.
– Bon, ben voilà ! Si vous êtes intéressée…
Mais il ne paraissait pas vraiment y croire.
– Appelez le propriétaire.

Dans mon lit, je suis encore là-bas. Avant. À faire des grimaces derrière le dos des sœurs. À échanger des secrets avec mes compagnes. À m’inventer un avenir de rêve.
Et puis il y a ces jours-là. Où survient la femme masquée. Personne ne sait qui elle est. Il se chuchote que c’est la fille ou la sœur d’un haut personnage. D’un très haut personnage. Peut-être même du roi. Toujours est-il que les religieuses se montrent, avec elle, d’une extrême obséquiosité. Qu’elle peut se permettre absolument tout ce qu’elle veut. Comme, par exemple, de se poster le long de l’escalier lorsqu’on monte au dortoir et de regarder sans vergogne sous nos robes.
Les sœurs entrent complaisamment dans le jeu.
– On ne court pas dans les escaliers, Mesdemoiselles.
Et elles contraignent les récalcitrantes à redescendre et à remonter, marche après marche, en prenant tout leur temps.
Mais moi, je ne plie pas. Je monte quatre à quatre.
– Quelle entêtée !
Et on m’oblige à recommencer. Six fois. Sept fois. Je ne cède pas.
La femme masquée fait un signe. On m’entraîne dans la salle capitulaire. Elle nous y rejoint, s’installe dans le grand fauteuil de la mère abbesse. On me force à m’agenouiller à ses pieds. À courber la tête devant elle. À me prosterner.
Ses orteils jouent dans ma chevelure.
– L’obéissance et la docilité sont, chez une jeune femme, les plus cardinales des vertus. Et il convient de les leur faire acquérir. De gré ou de force.
Et l’ordre claque.
– Dévêtez-la !
Il y a les mains des sœurs sur moi. Elles m’arrachent mes vêtements. Elles me dépouillent. Nue. Je suis nue. Entièrement nue devant elle.
Son regard m’épouse, s’attarde sur mes seins, se faufile sous ma toison.
– Fouettez-la !
Ça mord. Les épaules. Le dos. Les fesses. Il y en a deux des fouets. Non. Trois. Simultanément à l’œuvre. Je me tords de douleur. Je crie. Je hurle. Elles continuent, imperturbables.
– C’est assez !
Tout s’arrête.
Elle me considère d’un œil amusé.
– Approche !
On me propulse devant elle.
– Demain.
Elle me soulève le menton. Du bout du doigt.
– Demain, tu le monteras lentement l’escalier. Très lentement. Au milieu de tes petites camarades. Et dans la même tenue que maintenant. Mais pour le moment, file te coucher…

jeudi 14 février 2019

Les fessées de Blanche (15)


Couchée sur le ventre dans l’obscurité, elle laisse le bien-être l’envahir. Ses fesses la lancinent, mais elle est bien. Si bien. Il est revenu. Il est à elle. Si passionné. Si ardent. Et elle est encore toute pleine de lui. Ouverte. Abandonnée. Gontran. Son Gontran. Elle sourit. Elle lui sourit.
Sylvain !
Elle réalise d’un coup.
Sylvain ! Il était là, Sylvain. Il ne s’est pas retiré après l’avoir fouettée. Elle n’y a pas, sur le moment, prêté attention, tout occupée qu’elle était de Gontran, de son bonheur d’être avec lui. Mais il est resté, maintenant elle en est sûre. Il l’a regardée se pâmer dans les bras de Gontran. Il l’a regardée se ruer éperdument contre lui, à la conquête de son plaisir.
La honte la submerge.
Quel méprisable petit personnage il fait !
Oui, mais enfin, si tu n’avais pas…
Si je n’avais pas quoi ?
Non. Rien.
Il devait me fouetter. Et partir. S’en aller. Oh, mais il va avoir de mes nouvelles, alors là il peut s’y attendre…
Tu vas faire quoi ?
Lui dire ma façon de penser.
Tu peux aussi ne t’être aperçue de rien, persuadée qu’il était parti.
Tu crois ?
D’autant que ce n’est pas si désagréable que ça au fond pour toi, avoue, que…
Tais-toi ! Tais-toi ! Tu vas te taire ?

Sylvain ne desserre pas les dents. Ils ont contourné le bois de La Clanche, longé les prés de Mironnet, pris à droite à la fontaine de Saint-Urbain et il n’a toujours rien dit.
Il est absent, lointain, préoccupé.
– Eh bien, Sylvain, il y a quelque chose qui ne va pas ?
– Si, Mademoiselle, si ! Tout va bien.
Mais il soupire.
Ils chevauchent. La plaine de La Longerie. Le moulin de La Coinette.
– Mademoiselle…
Il se tourne vers elle, l’air grave.
– Oui, Sylvain…
– Il court des bruits. Au sujet de ce jeune homme. Il court des bruits.
Elle pâlit.
– On soupçonne quelque chose ?
– Oh, non, Mademoiselle, non ! Pas ça… Non. Il se dit qu’il serait parti.
– Parti ? Comment ça parti ? Où ça parti ?
– Il se serait enfui.
– Mais pourquoi ? C’est absurde.
– Sa classe est appelée sous les drapeaux. Il aurait fui à l’étranger pour échapper à l’incorporation. Et à la guerre.
– Sans m’en parler ? Sans me faire ses adieux ? C’est impossible. Complètement impossible.


Elle l’attend. Dans la grange. Ce sont des racontars. On cherche à lui nuire. Il va venir. Elle en est sûre.

Il se passe du temps. Deux heures. Trois heures. Elle ne sait pas. Elle ne sait plus. Mais elle l’attend.

Le jour tombe. Elle pleure. Mais pourquoi ? Pourquoi il lui a fait ça ? Pourquoi ?

On entre. Elle sursaute. C’est Sylvain.
– Il faut rentrer, Madame. Votre mari va s’inquiéter.

lundi 11 février 2019

Fais voir!


Dessin de P.Silex

– Alice ! Mais qu’est-ce tu fais là ?
– Il y a plus le cours de psycho maintenant le mardi.
– Ah, je savais pas.
– Oui, ben ça, je me doute que tu savais pas. T’aurais pas ramené un type ici, sinon.
– Écoute…
– C’était qui ? Pas Louis en tout cas. C’était pas sa voix. Et puis Louis, n’importe comment il est à Carcassonne aujourd’hui. Alors c’était qui ? Hein ?
– Un collègue. Qui voulait que je lui explique un truc. Alors comme on avait tous les deux un trou dans notre emploi du temps.
– Prends-moi bien pour une truffe !
– Non, mais si, je t’assure !
– Donc, c’était un collègue. Qu’est-ce tu lui avais fait à ce pauvre homme pour qu’il te flanque une fessée ?
– Une fessée ! Non, mais ça va pas ? Qu’est-ce que c’est que ces inventions ?
– C’est pas des inventions. J’ai parfaitement entendu.
– Tu te l’es imaginé.
– J’ai rien imaginé du tout. Ça y allait, les claques. Et tu braillais tant que tu pouvais.
– Mais jamais de la vie, enfin !
– Ah, non ? Fais voir alors !
– Quoi ?
– Ton derrière. Fais-le voir ! Ça doit pas te poser de problème s’il y a rien. Alors fais-le voir.
– Bon, écoute, Louis est quelqu’un de bien. De très très bien. Avec qui je m’entends à la perfection. Seulement il y a un domaine où il est resté extrêmement vieux jeu. Où t’as tôt fait de le scandaliser.
– Ah, ça ! C’est sûr que c’est pas à lui que tu peux aller demander de te tambouriner le popotin. Et donc, tu t’es trouvé quelqu’un tout disposé, lui, à te rendre ce menu service.
– C’est quelque chose dont j’ai besoin. Dont j’ai viscéralement besoin. Si tu savais !
– J’me doute, oui. Tu courrais pas le risque que Louis l’apprenne sinon… Bon, mais fais voir ! Allez, fais voir ! Ah oui, quand même ! Hou là là ! Eh ben dis donc ! Pour taper, il a tapé, on peut pas dire. T’as les fesses dans un état ! Combien de temps ça met pour partir ?
– Ça dépend… Mais là, faudra bien compter trois ou quatre jours.
– Ah, quand même !
– Pour que ça ait complètement disparu, oui !
– Et donc, tu choisis les semaines où Louis est en déplacement.
– Il vaut mieux, oui. Parce que s’il se rendait compte de quoi que ce soit…
– Ce serait mort, vous deux, alors là, ça, c’est sûr. Mais ça fait vraiment tant de bien que ça ?
– Ça fait surtout très mal.
– Ben alors ?
– C’est justement ça qui fait du bien. D’avoir mal Et d’avoir honte. Tellement honte. Tu peux pas comprendre.
– Si ! Je crois. Bon, mais c’est qui ce type alors, finalement ? C’est vraiment un collègue ?
– Oh, non, non ! Je m’y risquerais pas. On sait jamais. C’est beaucoup trop dangereux.
– C’est qui, alors ?
– Le frère d’une amie. Tu connais pas.
– Il pourrait me le faire à moi ? Que je me rende compte.
– À toi ? Je sais pas. Mais ça fait vraiment très mal, tu sais…
– Oui, ça, j’ai compris. Tu lui demanderas ?
– C’est pas sûr qu’il veuille.
– Tu penses bien que si ! Un homme, pour voir une femme toute nue, il est toujours partant. Surtout si là, en plus, tu lui dis que je suis une petite peste et que je risque de tout aller raconter à Louis.

samedi 9 février 2019

Les fantasmes de Lucie (38)


Dessin d’Otto Schoff

J’ai passé la soirée chez Cordelia. On a déliré comme deux petites folles toutes les deux. Un peu sur tout. Mais tout particulièrement sur les mecs du boulot. Dont Baptiste, évidemment.
– On peut faire une croix dessus. L’une comme l’autre.
Oui, c’était bien aussi mon avis.
– Il est pas réceptif. Pas du tout.
Mais ce qui l’agaçait surtout Cordelia, c’était de pas arriver à comprendre pourquoi.
– Parce qu’il a pas l’air d’avoir de nana finalement…
– Peut-être qu’il s’intéresse qu’aux mecs.
– Ou que ça le branche pas du tout, le sexe.
– Un mec que le sexe branche pas, j’en ai encore jamais vu.
– Faut un début à tout.
Elle a soupiré, levé les yeux au ciel.
– On aura toujours la ressource de se goder en pensant à lui.
Et, du coup, on s’est mises à évoquer notre saga du joujou qu’elle m’avait offert.
– Il en aura vu des choses, celui-là, mine de rien. Et quand je dis des choses…
– Sans compter que c’est peut-être pas fini.
Dans la foulée, elle a voulu que je lui lise les dernières pages de mon journal à fantasmes.
Et elle s’est caressée en m’écoutant.
– J’aime trop ça, la façon dont tu racontes… Et puis alors cette histoire de la Cour de Catherine II ! Comment j’aurais aimé vivre ça, moi ! C’est trop… C’est vraiment trop… Faut vraiment que tu la continues.
Ses doigts se sont emballés. J’ai eu envie aussi.
Tant et si bien que, quand on s’est enfin couchées, il était quatre heures du matin.

– Lucie ! Oh, Lucie ! Réveille-toi ! On va être en retard.
– Quelle heure il est ?
– Huit heures et demi.
– Oh, putain !
Et j’ai navigué, au radar, jusqu’à sa salle de bains, les seins à l’air, vêtue, en tout et pour tout, d’une minuscule petite culotte rose.
J’y suis entrée en trombe et me suis trouvée nez à nez avec un type en bleu de travail.
Je l’ai fixé, stupéfaite.
– Oh, pardon !
Et je me suis rapatriée, aussi vite que possible, dans la chambre de Cordelia.
– Il y a un bonhomme !
– Un bonhomme ?
L’ar faussement innocent, sourcils froncés.
– Ah, oui ! Oui. C’est le plombier. Il a la clef. Je l’avais complètement oublié, celui-là !
– Tu parles que tu l’avais oublié ! Fiche-toi bien de moi. En plus !
– Si ! Si ! Je t’assure…
En riant sous cape. Et en constatant.
– En douce qu’il a bien dû se rincer l’œil, n’empêche…
– Ah, oui ? Eh bien maintenant, c’est les oreilles qu’il va se rincer.
– Qu’est-ce tu fais ?
– Comme tu vois, j’ouvre la porte. Pour qu’il entende mieux.
– Qu’il entende mieux quoi ?
– La fessée que je vais te flanquer.
– Tu peux pas faire ça !
– Je vais me gêner…
– Tu sais bien que les fessées, moi, je braille tant et plus. Et que si ça dure…
– Tu jouis. Raison de plus… Allez, en position.

jeudi 7 février 2019

Les fessées de Blanche (14)


– Alors, Sylvain, alors ?
– Je lui ai donné la lettre.
– Il l’a lue ?
– Sur-le-champ. Et il l’a tout aussitôt détruite.
– Qu’est-ce qu’il a dit ?
– Rien. Il s’est contenté de sourire.
– Mais il viendra ?
– Il viendra.
– Oh, merci, Sylvain, merci.

Et elle est dans les bras de Gontran.
– Toi ! Toi ! Comme tu m’as manqué ! Si tu savais…
Elle le couvre de baisers. Il la couvre de baisers.
Et il passe sa main sous sa robe.
– Il y a rien aujourd’hui.
– C’est parce que… T’es pas venu… Tu venais pas…
Il sourit.
– Et c’était pour toi. Si, c’est vrai, tu sais. C’était pour toi. Que pour toi.
Il sourit toujours. Il n’arrête pas de sourire.
– Je sais pas.
– Tu sais pas quoi ?
– Si c’est vraiment ce Sylvain qui te le met dans cet état.
– Ah, si, si ! Je t’assure.
Il fait la moue.
– À moins que…
Elle appelle. Elle hurle.
– Sylvain ! Sylvain !
Qui fait presque aussitôt son apparition dans l’encadrement de la porte.
– Mademoiselle ?
– Cravachez-moi, Sylvain ! Il veut pas me croire. Montrez-lui ! Allez, montrez-lui !
Et elle s’agenouille. Elle relève sa robe au-dessus de ses reins. Elle lui tend sa croupe.
Il prend tout son temps. Il attend. Il la fait attendre.
– S’il vous plaît, Sylvain… S’il vous plaît !
Il cingle. Avec force. Le premier coup lui arrache un gémissement de douleur. D’autres suivent. À intervalles réguliers.
Elle ferme les yeux. Gontran est là, derrière. Il voit. Elle est heureuse.
Le rythme s’accélère. Elle crie. Elle se cabre. Elle ondule. Elle s’ouvre. Elle hurle. Elle n’a plus la moindre pudeur. Plus la moindre honte.

– Là, c’est tout. C’est fini.
Elle se laisse aller contre Gontran. Contre son torse. Elle y pleure. À chaudes larmes. Elle est bien. Si bien. Il la caresse doucement. Il prend la pointe de son sein entre ses lèvres. Il l’agace. Il la mordille. Il est tout dur contre elle. Tout gorgé. Elle le veut.
– Viens, Gontran, viens !
Elle ne lui en laisse pas le temps. Elle s’empare de lui. De sa queue. Elle l’enfouit en elle. Et elle se jette, à grands coups de bassin, éperdument contre lui. Leurs rythmes s’épousent, se confondent.
Et ils clament leur plaisir, ensemble, à pleine voix.

Ils reprennent leurs esprits, tendrement enlacés.
– T’as fait semblant, Gontran, hein !
– De quoi donc ?
– De pas croire que c’était Sylvain…
– Ben, bien sûr.
– Tu es un monstre. Je te parle plus.
Et leurs lèvres se joignent.

lundi 4 février 2019

Entretien d'embauche


Dessin de Georges Topfer.

« Dame de condition recherche servante motivée, compétente, honnête, consciencieuse et d’une docilité à toute épreuve. Appointements généreux. Non conformes s’abstenir. »

Je l’ai lue, relue encore et encore, cette annonce. Je l’ai découpée. « D’une docilité à toute épreuve ». Elle entendait quoi par là ? Oh, c’était clair, non ? Suffisamment explicite. Et l’occasion ou jamais. Est-ce que j’allais me décider enfin à sauter le pas ? Ou continuer à me contenter de rêver mes aspirations les plus secrètes sans chercher à leur donner vraiment consistance ? Tu te défiles toujours, ma pauvre fille. Pour tout. Est-ce que tu vas enfin te décider à regarder les choses en face ? Et, surtout, à te regarder, TOI, en face ?

Et je me suis décidée d’un coup. Ne pas réfléchir. Foncer.
C’était une demeure cossue, entourée d’un grand parc soigneusement entretenu.
J’ai sonné. Deux fois. Trois fois. J’allais renoncer, tout à la fois soulagée et désappointée, quand la porte s’est brusquement ouverte sur une femme d’une cinquantaine d’années, à l’allure imposante, aux larges épaules, au regard inquisiteur.
Elle m’a examinée des pieds à la tête.
– Entrez !
Dans un coquet petit salon. Elle s’est assise. M’a laissée debout. Encore longuement considérée.
Moi, je dansais d’un pied sur l’autre, sans savoir où poser mon regard ni quelle contenance adopter.
– Vous venez pour l’annonce ?
C’était ça, oui. Oui. Pour l’annonce.
– Vous avez bien compris de quoi il s’agit ?
– Il me semble.
–Il vous semble ou vous êtes sûre ?
Sûre, oui. J’étais sûre.
– J’exige de mon personnel une obéissance absolue. Et qu’il accepte de recevoir, sans la moindre protestation, les châtiments que j’estime qu’il a mérités. Me fais-je bien entendre ?
– Oui, Madame.
– Êtes-vous prête à accepter ces conditions ?
– Je…
– C’est oui ou c’est non.
– Oui.
– Fort bien. Avez-vous déjà quelque expérience en la matière ?
– Un peu.
– C’est-à-dire ?
– J’ai été quelque temps au service de…
– Vous mentez… Vous n’avez été au service de personne. Du moins dans ces conditions-là. C’est évident. Il suffit de vous regarder.
J’ai bredouillé. Lamentablement bafouillé.
– Je… Si… Enfin non… C’est plutôt que…
– Vous feriez mieux de reconnaître que vous mentez.
J’ai baissé la tête.
– Eh bien ?
– Je mens, oui.
– Vous commencez fort, vous, on peut pas dire… Ce va nous être l’occasion de tester votre motivation. Parce que je ne laisse jamais passer le moindre mensonge. Là-dessus, je suis absolument intraitable. Alors vous vous déshabillez…
– Que je…
– Oui. Je vais vous punir.
Je n’ai hésité qu’une fraction de seconde. C’était la situation dans laquelle j’avais maintes et maintes fois rêvé que je me trouvais. Une voix autoritaire. Impérieuse. Devant laquelle je me sentais toute petite. Une femme qui décidait. Qui voulait. Qui exigeait de moi. Pour ma plus grande honte. Et ma plus grande volupté.
Elle m’a regardée faire.
– Tout ! Vous enlevez tout.
Le bonheur de l’obéissance. Le bonheur à nul autre pareil de l’obéissance.
Et j’ai été nue.
– Venez ! Ce sera le martinet. Pour le mensonge, c’est toujours le martinet. Vingt coups. Parce que c’est la première fois. Mais si vous récidivez…
Je l’ai suivie.

samedi 2 février 2019

Les fantasmes de Lucie (37)



Militcha se veut compatissante.
– Madame la Duchesse ne souffre pas trop ? (*)
Je reste impassible.
– Non, Militcha, non ! C’est supportable.
En réalité la brûlure est intense. Lancinante. Partout. Du haut du dos jusqu’au bas des cuisses.
Elle m’aide à m’habiller. Je serre les dents. Qu’elle ne se rende pas compte… Qu’elle ne s’aperçoive pas…
– En tout cas, si je puis me permettre, Madame la duchesse a raison.
– Et de quoi donc, Militcha ?
– De faire sa réapparition dès ce soir à la Cour. D’oser aller y affronter les regards. Parce que plus elle laisserait le temps passer et plus ce lui serait difficile.
Elle rectifie ma coiffure.
– De toute façon, Madame la Duchesse n’est pas des plus à plaindre…
Je ne relève pas, mais…
– Parce que c’est Sa Majesté elle-même qui a exécuté la sentence. Or, il est très fréquent qu’elle fasse appel aux servantes de la condamnée et leur demande de se substituer à elle pour lui administrer le fouet.
Il y a comme une pointe d’envie dans sa voix.
Je ne sourcille pas. Je reste impénétrable.
– Ce qui fut le lot, tout récemment, de la Princesse Chelguine. Il faut dire qu’à ce qu’on m’a rapporté, elle a renâclé et s’est efforcée d’échapper à son châtiment. C’est une attitude qui indispose toujours considérablement Sa Majesté.
Elle reste un long moment silencieuse.
– Oh, mais à l’avenir, elle se montrera assurément beaucoup plus accommodante. Ses servantes ne l’ont pas ménagée. Et pour cause ! La façon dont elle se comporte au quotidien avec elles…
Elle se tient debout, derrière moi, avec ma robe.
– En tout cas, Madame la Duchesse, a fait preuve, elle, m’a-t-on dit, d’infiniment de fermeté et de résignation.
Elles parlent entre elles, les servantes. Elles parlent énormément. C’est pourquoi je précise…
– Je suis aux ordres de Sa Majesté. Il ne m’appartient pas de m’élever, de quelque façon que ce soit, contre ses décisions.
Elle m’aide à l’enfiler.
– Sa Majesté vous en a su manifestement gré.
La boutonne.
– D’autant que…
Elle hésite.
– D’autant que le traitement qu’elle a fait subir à Madame la Duchesse l’a à l’évidence enfiévrée, qu’elle est, aussitôt après, allée retrouver son compagnon du moment et que…
Elle n’achève pas. Ce n’est pas nécessaire.
Un sentiment de bien-être et de plénitude m’envahit : Sa Majesté m’a dû, au moins en partie, son plaisir. Je suis aux anges.
Elle réajuste ici… Réajuste là…
– Aussi Madame la Duchesse doit-elle s’attendre à ce que, dans les jours qui viennent, Sa Majesté ait à nouveau quelque reproche à lui faire.
Je croise son regard. Il y danse une petite lueur sur la nature de laquelle il n’est pas possible d’avoir le moindre doute. Je sais très exactement ce qu’elle pense. Et ce qu’elle espère.
Elle vérifie une dernière fois.
– Là ! C’est parfait. Je vais faire avancer le carrosse de Madame.

* *
*

J’entre dans la salle de bal. Tous les visages convergent vers moi.
Et je jouis.

(*) voir l’épisode précédent