lundi 29 octobre 2018

Qui paie ses dettes…


– Le prêt que nous vous avons consenti, ma chère Geneviève…
– Devait être remboursé le premier mars. Je sais, oui, je sais.
– Et nous sommes le premier novembre.
– Je vous paierai… Je vous paierai, je vous le promets. Laissez-moi seulement un peu de temps.
– Nous vous en avons déjà accordé beaucoup. Beaucoup trop.
– Encore un mois. Juste un mois.
– Ce n’est malheureusement pas possible.
– Je vous en conjure.
– Ce ne serait pas vous rendre service. Et nous allons malheureusement devoir prendre des dispositions.
– Comment cela ?
– Nous allons être dans l’obligation de demander à votre mari de bien vouloir honorer les dettes que vous avez contractées.
– Mon mari ? Oh, non, pas mon mari ! Je vous en supplie ! Pas mon mari…
– Sans doute y-a-t-il des choses que vous redoutez qu’il apprenne ? Et notamment que vous éprouvez, pour les jeunes gens, un attrait immodéré.
– Taisez-vous ! S’il vous plaît…
– Et que cette passion vous revient cher.
– Ne le lui dites pas ! Ne lui dites rien ! Je vous le demande à genoux.
– Eu égard au fait que nous avons toujours entretenu d’excellentes relations, que nous sommes fréquemment amenés, vous, lui et nous, à dîner aux mêmes tables, à partager les mêmes parties de bridge, nous voulons bien consentir à faire preuve à votre endroit d’une certaine mansuétude. Et à vous accorder de nouveaux délais.
– Merci. Oh, merci.
– À une condition toutefois…
– Qui est ?
– Que vous acceptiez d’être sanctionnée pour votre inqualifiable comportement et d’offrir, de bonne grâce, la partie la plus charnue de votre individu à une fessée dont vous reconnaîtrez avec nous qu’elle est on ne peut plus méritée.
– Une fessée ! Non, mais vous n’y pensez pas ! C’est hors de question ! Absolument hors de question…
– Dans ces conditions… Nous dînerons tout-à-l’heure, mon frère et moi, avec ce cher Léopold…
– Écoutez !
– On n’écoute rien du tout. Cette conversation n’a qu’assez duré. Et nous ne reviendrons de toute façon pas sur notre décision.
– Mais c’est affreux ! Épouvantable. Non, vous ne pouvez pas me demander ça. Une femme de mon âge… De ma condition…
– Vous avez deux minutes pour vous dévêtir. Pas une de plus…
– Vous êtes…
– Pensez ce que vous voulez, mais dévêtez-vous !

* *
 *

                                                          Dessin de Georges Topfer

– Eh bien voilà ! Vous voyez que vous pouvez vous montrer raisonnable quand vous voulez.
– Finissons-en, je vous en prie…
– Oh, mais rien ne presse. Nous avons tout notre temps. Nous l’avons même d’autant plus que la nature s’est montrée extrêmement généreuse à votre égard. Et c’est un pur délice que de pouvoir contempler vos charmes tout à loisir. Qu’en penses-tu, mon cher Victor ?
– Que ce serait plus délectable encore si notre amie consentait à retirer ses bras de là où ils se trouvent.
– Mais oui ! Allons, un bon mouvement, Geneviève ! Vous n’êtes de toute façon pas en position de nous refuser quoi que ce soit. Là ! Eh bien, voilà ! Parfait ! Absolument parfait ! Vous êtes vraiment bénie des dieux, vous !
– Si vous devez…
– Vous rougir le derrière ? Oh, mais nous y comptons bien. Nous tenons toujours nos promesses. Par contre, je ne sais pas ce que tu en penses, mon cher Victor, mais maintenant que nous avons pu nous faire une idée précise du théâtre des opérations, nous pourrions peut-être laisser une dernière chance à notre amie et différer la sanction de quelques semaines. Qu’elle ait éventuellement le temps de rassembler la somme qu’elle nous doit.
– Je n’y crois guère.
– Moi non plus ! Mais elle pourra toujours mettre ce délai à profit pour songer encore et encore à ce qui l’attend.


(à suivre)




samedi 27 octobre 2018

Les fantasmes de Lucie (23)


Les Morillon – Virginie et Julien – avaient absolument tenu à ce que, cette année, il y ait une fête des voisins.
– Non, parce qu’on se croise. Bonjour-bonsoir. Comme ça. Sans plus. Ce sera l’occasion de faire plus ample connaissance.

Et on s’est retrouvés à une dizaine chez eux, dans leur jardin, autour du sempiternel barbecue d’été chipolatas-merguez-chips-rosé. Quatre couples : outre les Morillon, les Arthaud, qui habitent la maison juste derrière la mienne. On échange parfois quelques mots quand on s’aperçoit. Les Dumontel, eux, occupent un coquet petit pavillon vert presque en haut de la rue. Je ne les connaissais, jusque là, que de vue. Quant aux Martier, ils sont d’installation récente, dans la petite impasse à gauche. J’ignorais jusqu’à leur existence. Quatre couples donc. Et deux célibataires : mon fameux voisin et moi. Lui, il était manifestement bien décidé – ça se voyait comme le nez au milieu de la figure – à profiter de la situation pour me prendre enfin dans ses filets. Il sortait le grand jeu. Il ne me lâchait pas d’une semelle. Il remplissait tant et plus mon verre. Il se voulait drôle. Il l’était, mais pas comme il pensait l’être. Ce qui m’amusait, c’était de le voir se démener en tous sens pour me conquérir alors qu’il n’avait pas la moindre chance de parvenir à ses fins. Il a certes sa place dans mes fantasmes. Et une place de choix. Mais pas question que ça aille plus loin. Comme je l’ai déjà dit, je ne veux pas avoir de comptes à rendre, de quelque façon que ce soit, à quelqu’un qui habite à côté de chez moi. Ce serait, très vite, parfaitement invivable.
Je ne laissais pas non plus, je le voyais bien, les autres indifférents. Une femme jeune, seule, pas trop mal foutue, souriante, ça crée forcément des remous chez la plupart des mâles. Sauf que ceux-là, avec leur légitime par les pieds, ils n’avaient pas vraiment les coudées franches. Ils en étaient donc réduits à s’aventurer à regards mouchetés. Dans le registre : « Tu me plais bien. Tu me plais vraiment beaucoup. Seulement, là, pour le moment, c’est pas possible, tu vois bien que c’est pas possible. Mais si jamais un jour… » Un jour. Tout, dans leur comportement, proclamait, même si c’était aussi discrètement que possible, que je ne perdais rien pour attendre. Qu’ils sauraient saisir la moindre opportunité, voire même la susciter.

Il s’était apporté beaucoup de vin. Il faisait chaud. Il s’en est bu. De la bière aussi. Énormément. Trop. Ça s’est lâché. De plus en plus au fil des heures. Les propos se sont faits égrillards, voire carrément obscènes. Félicien Dumontel et Xavier Martier, complètement désinhibés, se sont montrés pressants à mon égard – de plus en plus pressants – malgré les regards courroucés que leur lançaient leurs épouses respectives. Et les efforts obstinés que je faisais pour les décourager. Poliment, mais fermement.
Sue le coup de onze heures, Laura Martier s’est brusquement levée, furibonde.
– Je rentre…
– Attends, Poupoule, il y a pas le feu. On est bien ici. On n’est pas bien ?
– Je te dis que je rentre. J’en ai assez vu – et entendu – comme ça.
Et elle a filé vers le portail.
– Oh, mais c’est pas vrai ! Qu’est-ce qu’elle peut être chiante quand elle s’y met…
Et il a navigué à sa suite en titubant.
Rachel Dumontel s’est à son tour levée.
– Nous aussi, on va y aller. Il est tard. Et puis ça vaudra mieux. Pour tout le monde.
Les Arthaud leur ont emboîté le pas. Mon voisin aussi.
Les Morillon se sont regardés, consternés.
– Je suis désolée.
– Désolée de quoi ? Vous n’y êtes pour rien. Quand on tient pas l’alcool, on s’abstient de boire.
Et je suis, à mon tour, rentrée chez moi.

Chez moi. Où, allongée sur mon lit, je revois la scène. Je la revis. Et je la prolonge.
– Je suis désolée.
– Ah, vous pouvez ! C’est de votre faute, tout ça…
– De ma faute !
– De votre faute, oui ! Si vous étiez comme tout le monde, si vous étiez en couple, ils seraient pas allés se mettre tout un tas d’idées en tête.
– Non, mais alors là, c’est la meilleure !
Et elle, Virginie, qui en rajoute une couche.
– Ça vous plaisait bien, avouez, de les avoir tous là, à baver devant vous. Votre plus proche voisin. Les deux autres…
– Mais jamais de la vie, enfin !
– Oh, si, si ! Ça se voyait. Et pas qu’un peu !
– Je vous jure que…
– Que rien du tout… C’est quand même fou ce besoin de nier en permanence l’évidence. Rien que pour ça, vous mériteriez d’être punie. Vous allez l’être d’ailleurs…
Et ils m’entraînent, tous les deux, dans leur chambre. Ils me poussent sur leur lit. Des mains me déshabillent, me mettent à nu.
Je proteste, pour la forme.
– Non, mais ça va pas !
Me tombent simultanément sur le derrière. En haut. En bas. À droite. À gauche. On dirait qu’elles sont mille. Dix mille. Ça s’abat tant et plus. Ça pique. Ça brûle. Mais c’est bon. C’est si bon. C’est trop bon. Je… Non, c’est pas vrai ! Je vais pas jouir ! Pas devant eux ! Si ! Ça vient. Si ! C’est là. Je peux pas empêcher. Je peux pas retenir. Ça éclate en incontrôlables soubresauts. En gémissements éperdus.
– Non, mais alors là, cette fois, on aura tout vu ! On va t’en faire passer l’envie, nous, tu vas voir !
Et ça reprend de plus belle.

jeudi 25 octobre 2018

Quinze ans après (29)


Andrea m’a sauté au cou.
– Il m’arrive plein de trucs.
– Quels trucs ?
– Oh là là, attends ! Je vais te raconter tout ça. En détail. C’est rapport à Martial.
– J’en étais sûre… Eh bien, vas-y ! Je suis tout ouïe.
– J’ai eu envie de le voir. À cause des mails de fou qu’il envoie à Coxan à mon sujet. Mais toute seule. Que lui et moi. Et je me suis dit que, si ça tombe, il y était tout le temps fourré, maintenant, au café où on s’était rencontrés tous les quatre. Que c’était là qu’il venait penser à moi. Et lui écrire à Coxan. Je m’y suis pointée. Eh, ben bingo ! Il était là. Oh, mais alors sa tête quand j’ai passé la porte ! Sa tête !
– J’imagine…
– Il s’est précipité à ma rencontre. « Vous me reconnaissez pas ? Martial ! De l’autre jour, vous savez… » J’ai fait mine de chercher, sourcils froncés. « Ah, oui, oui… Bonjour ! Vous allez bien ? »
– Et, évidemment, il a voulu t’offrir un verre.
– Ah, ben ça ! Près de deux heures on a discuté du coup. Comment ça me faisait trop drôle de me retrouver là, en face de lui, et de me dire que tous les soirs il me regardait, en boucle, me prendre ma fessée. Et qu’il savait pas que je savais. Que tous les mails qu’il adressait à Coxan, je les lisais. Que, quelquefois, c’était même moi qui les dictais, les réponses.
– Et vous allez vous revoir, je suppose…
– C’est déjà fait, ça. Le lendemain. Et encore hier. Et puis ce matin. Mais qu’est-ce qu’il est intéressant à parler en attendant.
– Seulement à parler ?
– Oui. Non. Tu te doutes bien qu’à force de passer du temps ensemble comme ça…
– Vous ne vous êtes pas contentés de vous regarder dans le blanc des yeux.
– Voilà, oui. Comment il est doux ! Et câlin. C’est la première fois, moi, un type avec qui je me sens aussi bien. Je lui ai dit alors, du coup.
– Tu lui as dit quoi ?
– Ben, pour les fessées, tout ça ! Je me sentais vraiment trop mal. Fausse.
– Il l’était autant que toi, si tu vas par là.
– Oui, enfin bref, il valait mieux repartir sur de bonnes bases.
– Et il a réagi comment ?
– Il s’est senti soulagé parce que lui aussi, de son côté, ça commençait à lui peser tous ces mensonges. Et du coup, dans la foulée, je lui ai montré la vidéo de la fessée où, en même temps, je me regarde en train de la recevoir.
– Il a dû apprécier…
– Tu parles ! Il m’a carrément sauté dessus, oui ! Jamais j’avais vu un mec dans un état pareil. Quatre fois on a remis ça. Quatre fois ! Dont deux avec la vidéo qui tournait. Le bruit des cinglées du martinet en arrière-fond. Mes gémissements. Tout, quoi ! Il m’a mise complètement sur les rotules.
– Et maintenant ?
– Ce qu’il aimerait, c’est te voir me donner une fessée en vrai.
– Oui, oh ben ça, c’est pas bien compliqué. Non, mais ce que je voulais dire, c’est : ça va aller où, vous deux ?
– C’est bien là toute la question. Si je l’écoute, il est fou amoureux de moi. Il me promet monts et merveilles. Mais ça…
– T’as peur qu’il soit pas sincère ?
– Oh, non ! Non. Il l’est sincère. J’ai pas le moindre doute là-dessus. Non. Mais le jour où il va me désirer moins, ce qui va forcément arriver, il va se passer quoi ?
– Est-ce qu’il est absolument nécessaire de se poser ce genre de questions à l’avance ? Profite ! Tu verras bien…
– Oui. Je suis idiote. Tu as raison.
– Évidemment que j’ai raison.

lundi 22 octobre 2018

Au bord de la route


– Vous avez l’air surprise de me trouver ici, chère amie…
– Pas du tout, non.
– Oh, si ! Surprise et dépitée. Serait-ce que vous attendiez quelqu’un d’autre ? Mon mari, par exemple ?
– Votre mari ?
– Mon mari, oui. Avec qui vous aviez rendez-vous. Et qui ne viendra pas.
– Je vais tout vous expliquer.
– M’expliquer quoi ? Que c’est ici que vous vous donnez du bon temps tous les deux ? Dans cette voiture ? Ce qui ne doit pas être très confortable, avouez ! Mais enfin, quand ça vous tient d’écarter les cuisses, ça vous tient ! Et tout est bon. Vous y trouvez votre compte au moins ? Oh, sûrement, oui. Parce qu’il sait y faire, Rodolphe, quand il veut. Je suis bien placée pour le savoir. Ce qui ne doit pas être le cas de votre Gontran puisque vous éprouvez l’impérieux besoin d’aller voir ailleurs. Bon, mais si vous me racontiez ? Il s’y prend comment, mon mari, avec vous ? Ça m’intéresse. Allez, je vous écoute. Ou plutôt, non ! Laissez-moi deviner. Il vous gicle entre les seins, oui, hein ? Il adore. Surtout que… vous êtes bien lotie de ce côté-là. Ah, comment il doit bien se la coincer entre eux. Et se la couvrir avec. Un vrai régal pour lui ! Et quoi d’autre ? Oui, je sais ! Il vous prend à quatre pattes. C’est sa grande spécialité, ça. Sauf que, dans la voiture, ça ne doit pas être très facile. Pour ne pas dire impossible. Et donc, vous en sortez. Ben oui, forcément. Vous vous installez où pour faire vos cochonneries ? Faites-moi voir ! Là ? Non ? Là, plutôt, alors ! Oui, là. C’est pas très prudent, dites donc ! Au bord de la route comme ça ! Quoique… il y passe pas grand monde. Et puis on les entend arriver de loin, les voitures. On a le temps de réagir. Bon, mais assez causé. Surtout que vous n’êtes pas un interlocutrice très bavarde. Alors passons aux choses sérieuses. Il va prendre ça comment, votre mari ?
– Mon mari ?
– Votre mari, oui. Il va bien falloir le mettre au courant, le pauvre homme !
– Vous n’allez pas faire ça !
– Ben si, si ! Il est quand même en droit de savoir que, dès qu’il a le dos tourné, vous n’avez rien de plus pressé que de courir vous envoyer en l’air. Avec mon mari. Et sans doute avec d’autres.
– Jamais il ne me le pardonnera. Jamais.
– Il fallait y réfléchir avant.
– Je vous en supplie, ne le lui dites pas. Ne lui dites rien. Parce que ce qu’il adviendrait alors de moi…
– Quelle sorte d’accommodements proposez-vous ? Parce que vous conviendrez avec moi que votre comportement est inqualifiable et qu’il ne peut pas rester sans conséquences.
– Je ne sais pas. Je…
– Vraiment ? Pas la moindre petite idée ? C’est moi qui vais devoir décider alors ! Et ce qui me paraît le plus approprié, dans votre cas, c’est une bonne correction qui vous ôte à tout jamais l’envie de recommencer.
– Vous ne pouvez pas me demander une chose pareille !
– Bien sûr que si ! C’est même ce que je suis en train de faire. Et c’est non négociable. Ou bien vous m’offrez gentiment votre petit derrière pour une mémorable fouettée ou bien, dès ce soir, votre mari est au courant. Preuves à l’appui.
– C’est un odieux chantage.
– Appelez ça comme vous voudrez, mais mettez votre croupe à l’air. Elle en a de toute façon l’habitude.
– Vous êtes…
– Monstrueuse. Odieuse. Abjecte. Et pire encore. Peu m’importe ce que vous pensez. La seule chose que j’attends de vous, c’est que vous mettiez votre cul à ma disposition pour qu’il soit traité comme il le mérite. Vous avez cinq secondes. Passé ce délai… Ah, ben voilà ! Vous voyez que vous pouvez vous comportez comme une grande fille quand vous voulez. Tenez, mettez-vous là ! À quatre pattes. Comme quand vous êtes avec mon mari. Exactement au même endroit. Et serrez les dents ! Je ne vais pas vous ménager.

samedi 20 octobre 2018

Les fantasmes de Lucie (22)


Pierre-Antoine Baudoin La lecture (1760)

Il y avait, sur mon bureau, un petit paquet oblong, orné d’une jolie faveur rose.
– Qu’est-ce que c’est ? C’est pour moi ?
Cordelia a souri.
– Ben oui, c’est pour toi. C’est pas ton anniversaire aujourd’hui ?
– Si ! Mais…
– Eh bien, ouvre !
Ce que je me suis empressée de faire.
À l’intérieur, un gode. D’une belle taille. D’une épaisseur prometteuse. En ivoire. Avec tous les attributs.
– C’est bien les doigts, mais il y a pas que ça dans la vie. Non ?
– Tu l’as trouvé où ?
– C’est vieux. Je sais pas au juste de quand ça date, mais c'est vieux.
– Il a servi ?
– Sûrement que c’était pas juste pour décorer la cheminée du salon…
J’en ai suivi les contours. J’ai refermé la main dessus.
Sa main est venue rejoindre la mienne.
– Par contre, ça doit quand même manquer un peu de flexibilité.
Elle l’a précipitamment retirée.
– Fais gaffe ! Fais gaffe !
Un pas dans le couloir.
Juste le temps de le faire disparaître dans mon sac. Avec l’emballage. Et la faveur rose.
Séverine, la chef.
– Tu peux venir, Cordelia ? Le technicien est là pour les imprimantes. Et comme c’est toi qui t’es occupée du dossier…
Je suis restée seule.

Je suis seule et je suis là-bas. Noble dame d’alors. Je suis dans mon boudoir. Confortablement installée dans mon grand fauteuil bleu, la tête et les épaules bien calées par un confortable oreiller, je lis. C’est l’histoire d’un irrésistible et robuste seigneur dans les bras duquel gentes dames et accortes servantes viennent tour à tour se pâmer. Je repose mon livre. Je ferme les yeux. Ça me ruisselle en abondance entre les cuisses. Je sors de sa cachette mon indéfectible ami. Je l’enfouis sous ma robe. Je lui offre une petite promenade dans les environs immédiats de son point de chute avant de le mettre en place, de bien le caler, de me refermer sur lui. Et je sonne.
– Madame désire ?
– T’entretenir quelques instants, Jeanne. Parle-moi donc de ton galant.
– Madame sait bien.
– Il est toujours amoureux ?
– Oh, pour ça, oui ! Plus que jamais. Il ne me laisse point de repos.
– Tu ne vas pas t’en plaindre !
– Certes, non ! Même qu’il voudrait encore davantage que je ne le repousserais pas. D’autant que…
– Que ?
– Qu’il a été particulièrement gâté par la nature.
Un frisson me parcourt toute. Puis un bref spasme de plaisir.
– Et tu y trouves ton compte…
– Sûr !
Un autre. Plus intense. Plus profond.
– Tant et si bien que, deux lieues à la ronde, plus personne ne peut fermer l’œil.
Elle prend un air désolé.
– Que Madame me pardonne…
Ça vient. Ça va venir.
– Du tout, Jeanne, du tout ! Profitez de votre jeunesse. Profitez de votre Guillaume. Et tant pis pour les esprits chagrins.
C’est presque là.
– Laisse-moi maintenant, Jeanne ! Laisse-moi !
– Madame ne se sent pas bien ?
– Très bien, si ! Laisse-moi, te dis-je !
Elle s’en va.
Ça me transperce toute.

– Quelle purge ce technicien ! Deux heures pour régler une imprimante. Non, mais, franchement ! Et toi pendant ce temps-là… Ah, ben si, si ! Vu la tête que t’as ! Et comment ils brillent tes yeux. T’aurais pu m’attendre quand même, avoue ! Que je te voie faire. C’était mon cadeau, merde, après tout.
– Il y aura d’autres occasions.
– Oui, oh, ben alors là, t’as intérêt ! Et sans tarder…

jeudi 18 octobre 2018

Quinze ans après (28)


Elle nous a docilement suivis.
– Entre ! Et mets-toi à l’aise !
Elle m’a regardée sans comprendre.
– Ben, oui ! Désape-toi !
Ce qu’elle s’est empressée de faire.
Une fois en sous-vêtements, elle s’est arrêtée. A hésité.
– T’attends quoi ?
– Non. Rien.
Toute nue. À poil.
– Tourne-toi ! Fais voir s’il reste des traces. Oui… Si ! Un peu quand même… Là, c’est tout noirâtre. Et puis là, au milieu. Ça te fait mal quand j’appuie ?
– Un peu.
– Et là ?
– Aïe ! Oui.

On l’a fait s’installer entre nous deux, sur le canapé, et Coxan a lancé la vidéo. Une vidéo d’excellente qualité.
– Elle a les moyens, dis donc, ta patronne…
On s’est concentrés sur les images.
– Elle est pas trop à l’aise, en attendant, sur ce coup-là, la Camille !
– Oui. Comment elle se dandine d’un pied sur l’autre…
– Et toi qui la fais attendre tant et plus. Exprès, je suis sûre.
– Ben, tiens ! C’est le meilleur moment, là, juste avant que ça commence.
Je me suis tournée vers elle.
– Et toi, ma chérie, ça te plaît ?
– Oui.
– T’as pas l’air vraiment convaincue.
– J’aime que ça vous plaise.
– Ah, ça y est ! Madame Gorsalier entre en scène.
– Comment elle fait ça bien, n’empêche !
– Oui, préparation du terrain d’abord… À petites claques bien sèches et pas trop fortes. Que ça le rende sensible. Et après, on peut y aller carrément.
– Ce qu’elle fait manifestement de très bon cœur.
– Ah, ça ! Et Aglaé ! Regarde Aglaé, là, sur le côté. Elle en perd pas une miette. Non, mais cet air ravi qu’elle a !
– Et voilà… Ça a pris sa vitesse de croisière. J’adore. J’adore comment tu le trémousses ton petit popotin chaque fois que ça tombe. Pas toi, jeune fille ?
– Si !
– Ah, tu vois ! Bon, mais on approche du bouquet final, là ! Comment tu piaules ! Un véritable enchantement… Oh, fini, déjà ! Quel dommage ! Ah, oui, c’est vrai, faut encore que tu te frottes les fesses. Ça fait du bien, ça, hein ! Ça soulage…
L’écran est redevenu noir.
– En tout cas, merci, hein ! C’est un riche cadeau que tu m’as fait là… Je sens que je vais en faire un usage immodéré.
– Oh, mais elle t’en fera d’autres des cadeaux, va ! Parce que tu crois qu’une petite leçon comme ça va lui avoir suffi ? Penses-tu ! Alors là, je suis bien tranquille. Retourne faire tes achats là-bas…
– J’y compte bien.
– Et tu verras qu’il y aura rien de changé. Son comportement sera toujours aussi déplorable. Ah, il va falloir qu’elle lui en mette encore et encore des fessées, Madame Gorsalier, pour arriver enfin à un résultat. Et des bien plus sévères que celle-là… Qu’on pourrait d’ailleurs se repasser, en attendant, non ? Qu’est-ce t’en penses, Camille ?
– Je veux bien, oui.

lundi 15 octobre 2018

Un remède efficace



– Alors ?
– Attendez ! Laissez-moi le temps…
– Vous voyez quelque chose ?
– Oh, beaucoup de choses.
– Approchez-vous, si vous voulez !
– Ce n’est pas de refus, oui. Ce sera plus commode.
– C’est grave ?
– Difficile de se prononcer avec certitude. Il y a de fortes probabilités pour que ce le soit. Ou, à terme, le devienne. Parce que toutes les humeurs corporelles de Madame la duchesse sont venues se concentrer là, dans les parties charnues.
– Mais c’est affreux ! Existe-t-il un remède ?
– Laissez-moi examiner encore…
– Faites ! Faites !
– Il est indispensable de chasser ces humeurs au plus tôt.
– Comment cela ?
– La seule méthode réellement éprouvée consiste à fustiger la région concernée.
– Vous voulez dire…
– Qu’il va falloir fouetter Madame la duchesse, oui.
– N’y a-t-il point d’autre méthode ?
– Aucune qui soit réellement efficace.
– Il va donc être nécessaire…
– Qu’elle se résolve à en passer par là, oui. Si elle s’y refuse, je ne réponds plus de rien.
– Elle s’y résoudra. Avec quoi faudra-t-il opérer ?
– La cravache me semble, pour toutes sortes de raisons, l’instrument le plus approprié. Et de loin. Même si un fouet, à condition qu’il soit d’excellente qualité et manié avec dextérité, peut éventuellement faire également l’affaire.
– Je me procurerai cet ustensile. Combien faudra-t-il administrer de coups ?
– Une dizaine. Pour commencer. Mais sans doute sera-t-il indispensable de renouveler à plusieurs reprises le traitement.
– Longtemps ?
– Tout dépendra de l’évolution de la maladie. Il importe, en tout cas, si l’on veut que la guérison survienne dans les meilleurs délais, de cibler avec une extrême précision la zone concernée.
– La cibler… avec beaucoup de force ?
– Ni trop ni pas assez. Tout est question de savant dosage. Et seules l’habitude, l’expérience… Aussi serait-il sans doute infiniment préférable, dans l’intérêt même de la santé de Madame la duchesse, que je me charge moi-même de lui administrer cette indispensable médecine.
– C’est trop de bonté de votre part, mais votre temps est précieux et…
– Il n’importe… Il n’importe… Je m’en voudrais éternellement si, faute d’avoir moi-même officié, je voyais la santé de Madame la duchesse se dégrader encore et si une issue fatale…
– Une issue fatale ? Mon Dieu !
– Loin de moi l’intention de vous alarmer, mais plus tôt je commencerai le traitement et meilleures seront les chances de guérison.
– J’y vais. Je vais derechef vous quérir une cravache.

samedi 13 octobre 2018

Les fantasmes de Lucie (21)

Dessin de G. Topfer


Il ne paye pas de mine, ce gentilhomme. Bien mis. Sachant parler. Et de ces yeux ! Ils feraient fondre n’importe qui, ses yeux.
Il m’aborde, tout sourire, à la porte de la diligence.
– Vous allez à Angoulême ?
J’y vais, oui.
– J’ai des lettres à faire acheminer de toute urgence là-bas. Vous verriez un inconvénient à vous en charger ?
– Faudrait que je les remette à qui ?
– Un ami à moi. Il vous attendra à l’arrivée. Il sera vêtu d’un pourpoint rouge et vous demandera si le roi est bien à Saint-Germain. Vous vous souviendrez ?
Et il me tend une bourse pleine d’or.
Comment refuser dans ces conditions ? Et je passe la plus grande partie du voyage à imaginer avec délectation tout ce qu’une pareille somme va me permettre de m’offrir. Déjà, pour commencer, je vais renouveler en totalité ma garde-robe. Et puis j’achèterai des bijoux. Des monceaux de bijoux. Ensuite, s’il me reste suffisamment, le si joli coffre en bois vu chez l’ébéniste. Après… Eh bien après…

À l’arrivée, il n’y a pas de pourpoint rouge. Et je reste plantée là, perplexe. Quoi faire ? Attendre ? Je ne me pose pas longtemps la question. Trois types surgissent brusquement de nulle part. Me tombent dessus.
– C’est elle ! C’est sûrement elle.
Ils m’entraînent sous une porte cochère.
– Tu viens par là ! Et tu fais pas d’histoires.
Il y en a un qui fourrage dans mon corsage. Qui en extirpe les lettres. Qui y jette un coup d’œil.
– C’est bien ça !
Un autre s’empare de la bourse. Que j’essaie en vain de lui disputer. Il me donne une petite tape sur le bras.
– Allons, allons, sage !
Et me la subtilise.
Le plus grand me pose une main sur l’épaule.
– Bon, alors maintenant tu vas nous dire… Qui t’a confié ces lettres ?
– Un gentilhomme.
– Son nom ?
– J’en sais rien, moi !
– Tu comptes vraiment nous faire gober ça ?
– Mais c’est vrai !
– Ben, voyons ! Bon… Assez perdu de temps. Tu viens avec nous. On va te délier la langue, tu vas voir !

Elles sont quatre. Quatre femmes. Entre les mains desquelles ils me remettent.
– Vous nous la faites causer ?
– Avec plaisir.
Celle assise dans le fauteuil me contemple d’un petit air gourmand.
– Alors, comme ça, on veut faire sa mauvaise tête…
– Je sais pas. Je vous assure que je sais pas.
– Mais si, tu sais, tu vas voir ! Bon, les filles, vous nous la mettez en position ?
Elles ne se le font pas répéter deux fois. Elles m’empoignent. Malgré mes protestations. Il y en a deux qui me forcent à m’allonger sur un banc. Sur le ventre. Qui m’y maintiennent solidement tandis qu’une troisième me lie les jambes. Au niveau des chevilles et des genoux. Je résiste. Je me débats. Mais elles sont plus fortes. Et elles sont trois.
– Alors ? On t’écoute…
Elles m’écoutent… Mais qu’est-ce qu’elles veulent que je leur dise ? J’ai rien à leur dire, moi…
– Commencez-la aux orties…
Elles me troussent. Ça s’abat sur mes fesses en milliers d’aiguilles portées à incandescence. En haut. En bas. Au milieu. Partout. Ça recouvre petit à petit toute la surface. Ça s’y éparpille. Et puis ça revient. Aux mêmes endroits. Ça s’y incruste. Ça s’y installe. Douloureux. Tellement.
On me dit quelque chose. De loin. De si loin. Je n’écoute pas. Je n’entends pas.
Ça fait mal. Comme ça fait mal ! De plus en plus mal. Mais en même temps… Oh, oui ! Oh, oui ! Comment j’ai bien fait d’aller cueillir cette brassée d’orties finalement…

jeudi 11 octobre 2018

Quinze ans après (27)


On était, Coxan et moi, tranquillement installés à une terrasse de café.
– Tiens, regarde qui c’est qu’arrive ! Ben alors, Camille, on dit plus bonjour !
Elle s’est arrêtée net.
– Je vous avais pas vus.
– Fais la bise à Coxan au moins.
– Ah, oui, pardon…
Elle s’est penchée. Lui a tendu la joue.
– Qu’est-ce tu fais dans le coin ? Tu travailles pas aujourd’hui ?
– C’est mon jour de repos.
– Ben, assieds-toi ! T’as bien deux minutes.
Elle l’a fait. Du bout des fesses.
– C’est pas vrai que ça te cuit encore !
– Ça me cuit plus, non. Mais c’est sensible.
– Beaucoup ?
– Pas mal.
– Tant mieux. Parce que t’avais mérité, avoue !
– Oui.
– Et s’il n’avait tenu qu’à moi, je peux te dire que tu t’en serais pas tirée à si bon compte. Traiter les clients avec une telle désinvolture ! Non, mais cette fois, on aura tout vu.
Elle a baissé la tête.
Je la lui ai fait relever. Du bout du doigt.
– D’ailleurs, moi, je crois bien que tu lui dois encore une petite compensation à Coxan. Vu la façon inqualifiable dont tu t’es comportée avec lui. Non ? T’es pas de cet avis ?
– Si !
– Et quoi comme compensation ?
– Je sais pas.
– Eh bien moi, je sais ! Il y a une caméra de surveillance dans le bureau de Madame Gorsalier. Une caméra qui a tout filmé l’autre jour quand t’as reçu ta fessée. Alors ce que tu vas faire… Tu vas aller lui demander la bande à ta patronne. Et tu vas bien gentiment venir l’offrir à Coxan.
– Oui.
– Eh bien, vas-y ! Qu’est-ce t’attends ?
Elle s’est levée.
– Et n’oublie pas de faire faire un paquet cadeau.

Elle le lui a tendu. À bout de bras.
– Ah, non, pas comme ça, non ! À genoux tu vas te mettre.
Elle a jeté un rapide coup d’œil autour d’elle.
– Ben oui, il y a du monde, oui ! Mais ça fait rien ! Qu’est-ce ça peut faire ?
Elle s’est agenouillée.
Coxan n’a pas pris tout de suite le paquet. Il l’a d’abord longuement sermonnée. Il lui a fait promettre de faire des efforts – tous les efforts qu’elle pourrait – pour mieux se comporter à l’avenir.
– C’est dans ton intérêt à toi. Tu en as bien conscience, j’espère ?
Oui. Oui. De la tête.
Des gens passaient. Ralentissaient. Arboraient parfois de petits sourires moqueurs. Certains s’arrêtaient. Commentaient.
Il s’est bien écoulé une bonne dizaine de minutes avant qu’il consente enfin à accepter son présent.
– C’est quoi ?
– Vous savez bien.
– Pas du tout, non.
– Ma fessée.
– Ah, oui ? C’est gentil. Ça me touche beaucoup. Ben, tu sais pas ? On va aller regarder ça ensemble alors. Tous les trois. Ah, si, si, j’y tiens…

lundi 8 octobre 2018

Initiation


Dessin de P.Silex

– Oh, mais on se fait toute belle ! C’est bon signe, ça, non ?
– Tu parles si c’est bon signe ! Je te vis un de ces trucs, moi, là !
– C’est l’homme de ta vie, quoi !
– Dis pas ça ! Dis pas ça ! Ça porte malheur. Il n’empêche. Je suis sur un petit nuage.
– Eh bien, raconte !
– Il y a rien à raconter. Qu’est-ce tu veux que je raconte ? Je suis bien avec lui. Je suis bien dans ses bras. Et puis voilà ! Ah, si, quand même il y a un truc. Tu devineras jamais. Tu sais pas ce qu’il m’a demandé ? De me donner une fessée.
– C’est pas vrai !
– Si ! Enfin pas vraiment dans ces termes-là. Disons qu’il a mis le sujet sur le tapis. Qu’il a fait à plusieurs reprises des allusions. Qu’il pose des jalons. Mais tu vois gros comme une maison où il veut en venir.
– Et alors ?
– Et alors quoi ?
– Tu vas donner suite ?
– Ben, évidemment ! Tu me connais.
– Oh, ça, oui ! Je suis bien placée pour.
– Sauf que je vais le faire attendre un bon petit moment. Je suis pas idiote. Je vais avoir des tas de réticences. De toute sorte. Qu’il aille pas s’imaginer…
– Que t’en as déjà reçu.
– Voilà, oui.
– Et que t’aimes ça. Ce que tu peux être retorse quand tu t’y mets.
– Mais non ! Je suis très généreuse au contraire. Regarde ! Je vais lui laisser le plaisir de m’initier, de me faire découvrir, petit à petit, les arcanes d’un univers dont je suis censée ignorer absolument tout.
– Ben, voyons !
– Ils adorent ça, les hommes, être les premiers. Nous déflorer notre innocence. Dans quelque domaine que ce soit. Ce qui est d’ailleurs le meilleur moyen de se les attacher.
– Si je me retenais pas…
– Tu m’en flanquerais une.
– Et carabinée.
– Oui ben alors ça, pas question. Pas pour le moment en tout cas. Pas question que j’arrive là-bas tout à l’heure les fesses rouges. Ça flanquerait tout par terre.

samedi 6 octobre 2018

Les fantasmes de Lucie (20)


Dessin de Pierre Carrier-Belleuse

J’ai vu Julien. Vendredi. Ça faisait quatre mois. Pas loin. Est-ce que j’en avais vraiment envie ? Oui et non. Il est gentil, Julien. Il est tout ce qu’on veut. Mais bon, on est d’accord sur rien. Alors on évite de discuter. On se prendrait la tête. Reste quoi ? Ben, la baise. C’est ni bien ni mal avec lui. C’est de la baise, un point c’est tout. C’est pas qu’il sache pas s’y prendre, non. Il serait même plutôt doué dans son genre, mais c’est moi qui suis pas très réceptive. Parce que les mecs, faut bien reconnaître qu’on prend nettement moins son pied avec que quand on se fait ça toute seule. Avec ses images. Ses fantasmes. À son rythme. Moi, en tout cas, c’est comme ça que je fonctionne. Et les types, du coup, il y a belle lurette que je cours plus après. Pour ce que ça apporte ! Et c’est des complications à n’en plus finir. En plus ! Bon, mais enfin là, c’était Julien. Et avec Julien, ça fait près de dix ans qu’on se connaît. Et qu’on le fait. Épisodiquement. Plus par habitude qu’autre chose. Alors que je lui refuse, il comprendrait pas. Faudrait que j’entre dans des explications à la mords-moi-le-nœud. Et ça, j’ai pas envie. J’ai vraiment pas envie. Donc, on s’est vus. À l’hôtel. On a fait notre petite affaire. Il m’a un peu parlé de sa copine. Qu’il se demande s’il va rester avec. Il sait pas. Il sait vraiment pas. On a encore refait notre petite affaire. Et on s’est endormis. Au matin, il est descendu chercher son journal. Depuis que je le connais, il est toujours descendu chercher son journal le matin. C’est une habitude à laquelle il ne dérogerait pour rien au monde.
Je me suis étirée. Nue sur le lit, j’ai laissé les premiers rayons du soleil me caresser langoureusement la peau. Dans les chambres voisines, on a commencé à remuer. Des conversations étouffées. Des ruissellements d’eau. Des rideaux se sont tirés. Des fenêtres se sont ouvertes.
On a frappé. J’ai cru que c’était Julien.
– Ben, entre ! Qu’est-ce tu fous ? T’as pas besoin de frapper.
Ce n’était pas Julien. C’était un jeune serveur, d’une vingtaine d’années, qui apportait le petit déjeuner.
Il n’a pas cillé.
– Je vous mets le plateau où ?
Impossible de précipitamment ramener draps et couverture. J’étais allongée de tout mon long dessus.
Je me suis tournée sur le ventre.
– Désolée… Je pensais… Mon ami… Il est descendu… Le journal…
Il a eu un petit sourire. Il n’en croyait manifestement pas un mot.
– Je vous mets le plateau où ?
– Là-bas… Sur la petite table… Près de la fenêtre… Merci.
Je l’ai entendu le poser derrière moi. Il s’est passé du temps. Beaucoup de temps. Beaucoup trop de temps. Il me matait les fesses. J’en étais sûre. Je le sentais.
Il s’est enfin décidé à quitter la chambre. En passant à ma hauteur, il m’a jeté un petit regard complice en coin.
– Bon appétit !
– Merci.

Je n’arrête pas, depuis, de le convoquer dans mes rêveries. Je revois la scène. Son sourire au début. Son regard à la fin. Cet interminable temps de latence entre les deux. Et j’imagine. J’imagine qu’il n’a rien de plus pressé, au sortir de la chambre, que d’aller s’isoler pour se donner du plaisir. Frénétiquement. Sauvagement. À cause de moi. Grâce à moi. Pour moi. Et je l’accompagne. Je me pianote, les yeux fermés, en le regardant faire.
Il y a aussi des fois où je me figure que, la veille, je me suis offert une vigoureuse et retentissante fessée. Il entre. Avec son plateau. Me retourner ? Impossible. Pour qu’il voie mes fesses cramoisies ? Ah, non ! Non ! Merci bien. Je préfère encore lui abandonner le spectacle de ma nudité de devant qu’il ne se prive pas, dès lors, de contempler avec gourmandise. Avec tant de gourmandise et d’avidité que je finis, d’instinct, par faire ce que j’étais décidée à ne pas faire. Je me retourne sur le ventre. Il pousse un long sifflement stupéfait.
– Eh, ben dis donc ! Comment on vous a arrangée !
Et il reste là, derrière moi, à examiner tranquillement l’étendue des dégâts. À s’en repaître. Longtemps. Son souffle s’accélère. Il y a comme un bruit de succion. Il le fait. Il se le fait. Et ça m’excite. Non, mais comment ça m’excite. Je glisse par en-dessous ma main entre mes cuisses. Mes lèvres. Mon bouton. Que je brandille. Que je tortionne. Que je tourbillonne tant et plus. Que c’est bon ! Mais que c’est bon ! C’est quand je sens sa semence se répandre toute chaude sur mes fesses que mon plaisir me crucifie dans un grand râle.

jeudi 4 octobre 2018

Quinze ans après (26)


Andrea a passé la tête par la fenêtre ouverte.
– Coucou ! C’est moi !
– Ben, entre !
– Je l’ai !
Le martinet. Qu’elle a déposé, avec un grand sourire, sur la petite table de la salle de séjour, devant la télé.
– Ah, alors ça y est ! Tu t’es enfin décidée !
– Je l’ai toujours été. Depuis le début.
– Seulement c’est tellement bon d’attendre. D’imaginer encore et encore les choses avant qu’elles n’arrivent. D’en profiter à l’avance. C’est pas ça ?
– Si ! Bien sûr que si !
– Bon, ben reste plus qu’à passer à l’acte. J’appelle Coxan.
– Il est peut-être pas libre.
– Oui, oh, ben alors, pour ça, pas besoin de t’en faire qu’il va l’être. Il va accourir toutes affaires cessantes.

– Et voilà… Ça y est ! On est opérationnels.
– Si tu nous expliquais un peu ? C’est quoi tout ce fourbi ?
– Alors cette caméra, là, c’est le direct. Grâce à elle, Andrea va pouvoir suivre, comme si elle y était, si j’ose dire, le déroulé des opérations. Elle verra tomber les cinglées au moment même où elles la mordront. Et où elle les sentira passer.
– Et celle-là ?
– Celle-là, elle va nous offrir un joli petit plan d’ensemble. On l’y verra tout à la fois en train de se faire travailler le derrière et en train de suivre tout ça, les yeux rivés à l’écran, de très très près.
– Il y en a une troisième…
– Oui, oh, alors celle-là… Ce que j’aimerais, si tu en es d’accord, bien sûr, Andrea… Celle-là, ce serait pour un gros plan sur ta petite frimousse. Pour voir s’y inscrire… tout ce qui va s’y inscrire au cours de cette séance. Étant bien entendu que, comme je m’y suis formellement engagé, ça restera à usage strictement personnel.
Elle a esquissé un petit sourire mutin.
– Je pourrai quand même en avoir une copie ?
– Douze, si tu veux.
J’ai constaté.
– Bon, ben il y a plus qu’à, alors…
Il y avait plus qu’à, oui…
– Tu te déshabilles ?
Il l’a filmée en train de le faire. De replier soigneusement ses vêtements et de les déposer sur la chaise, près de la cheminée, l’un après l’autre, au fur et à mesure qu’elle les retirait.
Elle est restée nue, quelques secondes, à regarder intensément la caméra et puis elle est allée s’allonger de tout son long sur le canapé, a fixé l’écran de l’ordinateur droit dans les yeux.
– Je suis prête.
J’ai levé le martinet, fait mine de l’abattre. À deux reprises. À trois reprises. Elle s’est, chaque fois, crispée des fesses.
Je l’ai vraiment abattu. Pour de bon. À pleine croupe.
– Aïe ! Hou, la vache !
Un second coup. Plus énergique. J’ai pris tout mon temps. Un troisième. Un quatrième que je lui ai fait interminablement attendre.
– Plus vite ! Plus vite !
Plus vite. En rafale.
Elle ne quittait pas l’écran des yeux.
– Et plus fort ! Plus fort !
Ça s’est enfoncé, au cœur des fesses, en longues traînées boursouflantes. Ça a débordé sur les cuisses.
Elle s’est légèrement hissée sur les genoux. Avec un grand râle.
– Je vais jouir ! Je vais jouir ! Je jouis…

lundi 1 octobre 2018

Chez Madame la Directrice


Dessin de Georges Topfer

– Vous m’avez fait appeler, Madame la Directrice ?
– Oui. Approchez ! Plus près ! Vous avez encore fait des vôtres, à ce qu’il paraît. Eh bien ? Répondez !
– Je suis désolée.
– Vous êtes désolée… C’est tout ce que vous trouvez à dire ?
– Je me suis emportée.
– C’est le moins qu’on puisse dire. Vous vous êtes comportée d’une façon absolument inqualifiable. Au point que Madame Dutertre a dû sévir à votre égard et vous infliger une correction des plus sévères. Non ?
– Si !
– Venez me montrer !
– Madame la Directrice…
– Venez, j’ai dit ! Ah, oui ! Oui ! Elle ne vous a pas ménagée. Et elle a eu raison. C’est, de toute façon, la seule chose que vous compreniez. Je vous rappellerai toutefois, à toutes fins utiles, que les malversations dont vous vous êtes rendue coupable l’an dernier étaient passibles de la prison et qu’elle ne vous a été évitée que parce que nous avons eu la bonté de vous accueillir ici.
– Je vous en suis infiniment reconnaissante.
– Ce ne sont là que des mots. Avec lesquels il faudrait que vous songiez, de temps à autre, à mettre vos actes en accord.
– Je vous en donne ma parole.
– Et vous avez tout intérêt à la tenir. Parce qu’il suffirait que j’adresse un rapport circonstancié à monsieur le juge pour que vous soyez aussitôt tenue d’aller purger votre peine.
– N’en faites rien, je vous en conjure, n’en faites rien !
– Il ne tient qu’à vous.
– Vous n’aurez plus à vous plaindre de moi. Je vous le promets.
– Nous mettrons en tout cas, de notre côté, tout en œuvre pour que vous y parveniez.
– Merci, Madame la Directrice. Merci. Puis-je ?
– Quoi donc ?
– Me relever.
– Certainement pas, non. Je n’en ai pas terminé avec vous.
– Mais…
– Votre petite pudeur en souffre ? Tant mieux ! Tant mieux ! Cela ne peut que vous inciter à vous amender. D’ailleurs, si vous mettez à nouveau Madame Dutertre dans l’obligation de vous corriger, c’est au su et au vu de toutes vos petites camarades que cela aura lieu. Et même, pour faire bonne mesure, vous resterez les fesses exposées devant elles pendant toute la durée du repas qui s’ensuivra. Est-ce compris ?
– Oui.
– Parfait. À vous alors de faire en sorte que cela n’ait pas lieu d’être.