samedi 13 octobre 2018

Les fantasmes de Lucie (21)

Dessin de G. Topfer


Il ne paye pas de mine, ce gentilhomme. Bien mis. Sachant parler. Et de ces yeux ! Ils feraient fondre n’importe qui, ses yeux.
Il m’aborde, tout sourire, à la porte de la diligence.
– Vous allez à Angoulême ?
J’y vais, oui.
– J’ai des lettres à faire acheminer de toute urgence là-bas. Vous verriez un inconvénient à vous en charger ?
– Faudrait que je les remette à qui ?
– Un ami à moi. Il vous attendra à l’arrivée. Il sera vêtu d’un pourpoint rouge et vous demandera si le roi est bien à Saint-Germain. Vous vous souviendrez ?
Et il me tend une bourse pleine d’or.
Comment refuser dans ces conditions ? Et je passe la plus grande partie du voyage à imaginer avec délectation tout ce qu’une pareille somme va me permettre de m’offrir. Déjà, pour commencer, je vais renouveler en totalité ma garde-robe. Et puis j’achèterai des bijoux. Des monceaux de bijoux. Ensuite, s’il me reste suffisamment, le si joli coffre en bois vu chez l’ébéniste. Après… Eh bien après…

À l’arrivée, il n’y a pas de pourpoint rouge. Et je reste plantée là, perplexe. Quoi faire ? Attendre ? Je ne me pose pas longtemps la question. Trois types surgissent brusquement de nulle part. Me tombent dessus.
– C’est elle ! C’est sûrement elle.
Ils m’entraînent sous une porte cochère.
– Tu viens par là ! Et tu fais pas d’histoires.
Il y en a un qui fourrage dans mon corsage. Qui en extirpe les lettres. Qui y jette un coup d’œil.
– C’est bien ça !
Un autre s’empare de la bourse. Que j’essaie en vain de lui disputer. Il me donne une petite tape sur le bras.
– Allons, allons, sage !
Et me la subtilise.
Le plus grand me pose une main sur l’épaule.
– Bon, alors maintenant tu vas nous dire… Qui t’a confié ces lettres ?
– Un gentilhomme.
– Son nom ?
– J’en sais rien, moi !
– Tu comptes vraiment nous faire gober ça ?
– Mais c’est vrai !
– Ben, voyons ! Bon… Assez perdu de temps. Tu viens avec nous. On va te délier la langue, tu vas voir !

Elles sont quatre. Quatre femmes. Entre les mains desquelles ils me remettent.
– Vous nous la faites causer ?
– Avec plaisir.
Celle assise dans le fauteuil me contemple d’un petit air gourmand.
– Alors, comme ça, on veut faire sa mauvaise tête…
– Je sais pas. Je vous assure que je sais pas.
– Mais si, tu sais, tu vas voir ! Bon, les filles, vous nous la mettez en position ?
Elles ne se le font pas répéter deux fois. Elles m’empoignent. Malgré mes protestations. Il y en a deux qui me forcent à m’allonger sur un banc. Sur le ventre. Qui m’y maintiennent solidement tandis qu’une troisième me lie les jambes. Au niveau des chevilles et des genoux. Je résiste. Je me débats. Mais elles sont plus fortes. Et elles sont trois.
– Alors ? On t’écoute…
Elles m’écoutent… Mais qu’est-ce qu’elles veulent que je leur dise ? J’ai rien à leur dire, moi…
– Commencez-la aux orties…
Elles me troussent. Ça s’abat sur mes fesses en milliers d’aiguilles portées à incandescence. En haut. En bas. Au milieu. Partout. Ça recouvre petit à petit toute la surface. Ça s’y éparpille. Et puis ça revient. Aux mêmes endroits. Ça s’y incruste. Ça s’y installe. Douloureux. Tellement.
On me dit quelque chose. De loin. De si loin. Je n’écoute pas. Je n’entends pas.
Ça fait mal. Comme ça fait mal ! De plus en plus mal. Mais en même temps… Oh, oui ! Oh, oui ! Comment j’ai bien fait d’aller cueillir cette brassée d’orties finalement…

2 commentaires:

  1. Sacrée Lucie. Espérons qu'un jour elle réalise au moins l'un de ses fantasmes.

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  2. C'est le genre de choses qui finit presque forcément par arriver quand on en a vraiment très très envie…

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