lundi 30 juillet 2018

Le fantôme


Dessin de Louis Malteste.

– Un fantôme ? Mais ça n’existe pas, les fantômes, ma pauvre Amélie !
– Ah, si ça existe, si ! Même que ça fait trois nuits qu’il me rend visite, celui-là.
– Ben, voyons !
– Oh, mais il est pas méchant, hein ! Il a juste besoin de parler. De vider son sac.
– Et il te raconte quoi, on peut savoir ?
– Qu’il a été assassiné, ici, dans cette maison, il y a près de deux siècles et demi et que, depuis, il est condamné à y errer sans pouvoir trouver le repos. À moins qu’une âme charitable ne consente à lui porter assistance.
– Et comment donc ?
– Il m’a pas dit. Mais il me dira, il m’a promis. D’autant… qu’il aimerait bien que ce soit moi qui lui rende ce menu service.

– Alors ?
– Alors quoi ?
– Ben, ton fantôme ! Tu l’as revu ? Il t’a dit ?
– Oui. Il veut me fouetter.
– Te fouetter ! Qu’est-ce que c’est que cette histoire ?
– Une femme aurait pu empêcher qu’il soit tué. Elle ne l’a pas fait. Par lâcheté. Une autre doit expier, à sa place, de son plein gré. Faute de quoi, il ne retrouvera jamais sa tranquillité.
– Et donc, tu vas gentiment lui offrir ton petit derrière à claquer.
– Il me fait pitié. Il est si malheureux.
– La tête te joue vraiment des tours, toi, hein !
– Tu me crois pas ?
– Ce que je crois surtout, c’est que t’as beaucoup d’imagination et que les histoires que t’inventes, tu finis par y croire toi-même. Et que t’aurais besoin de repos. De beaucoup de repos. Ou d’une cure d’ellébore.

– Et ça ? Je l’ai imaginé, peut-être ?
– Oh, là ! T’as les fesses dans un état !
– Elles peuvent. Parce que comment il a tapé fort ! Et longtemps. C’était interminable. J’en pouvais plus à la fin.
– Mouais… Je voudrais pas te décevoir, mais, à mon avis, ton fantôme, il n’a de fantôme que le drap. Il est bien vivant. En chair et en os. Je crois même pouvoir te dire qui c’est.
– Le dis pas ! Je t’en supplie, le dis pas !
– T’as pas reconnu la voix ?
– Non. C’est quelqu’un qui la déguise. Elle est toute caverneuse.
– Tu veux vraiment pas savoir ?
– Non. Ça peut être qui j’ai envie que ce soit comme ça.
– Juste une chose alors… Continue à ne pas fermer ta porte à clef la nuit. Des fois qu’il faille plusieurs séances pour qu’il puisse jouir enfin d’un repos bien mérité.

samedi 28 juillet 2018

Les fantasmes de Lucie (10)



Cette estampe d’époque, je l’ai agrandie et accrochée dans ma chambre, juste en face de mon lit. Elle me fascine littéralement. Je n’ai pas cherché à savoir dans quelles conditions précises cette femme « de condition » avait été fouettée pour avoir craché sur le portrait de M. Necker. Ni qui elle était. Je suppose, sans en avoir l’absolue certitude, que cette scène a eu lieu le 19 mai 1781, quand la foule, brandissant des portraits du ministre déchu, est venue lui manifester son soutien devant le château de Saint-Ouen. Une irréductible opposante a voulu, elle, par ce geste, manifester tout le mépris qu’elle éprouvait pour le grand homme. Ce n’était ni le moment ni le l’endroit. Elle l’a aussitôt appris. À ses dépens.

Cette femme, c’est moi. Souvent. Je n’éteins pas. Je me concentre sur le tableau. J’y entre. Je suis dans mon carrosse. En route pour Versailles. Sur les bas-côtés, des groupes d’hommes et de femmes discutent avec animation.
Je fais arrêter. Je mets la tête à la portière.
– Que se passe-t-il ?
– C’est monsieur Necker, Madame. Le roi l’a démissionné.
Et il me brandit sous le nez le portrait de ce ministre que j’abhorre. Qui s’en est pris à la ferme générale. À cause duquel nos revenus, à mon mari et à moi, se sont brusquement effondrés.
Et je lui crache tout mon mépris au visage.
– Oh, la saleté ! Elle a craché dessus ! Elle a craché sur monsieur Necker !
On hurle. On crie vengeance. On m’extirpe de mon carrosse. Mon cocher, mes laquais essaient mollement de me porter assistance. On les repousse. On les maintient à distance. On m’entraîne manu militari sur une petite place, tout près.
Des femmes hurlent.
– Qu’on la corrige !
– Oui ! Oui ! Qu’on la corrige !
Trois solides gaillards m’empoignent. Il y en a un qui me maintient. Un autre me relève la robe. Jusqu’au dessus de la taille. Et ils tapent. Tous les trois. En chœur. Deux sur le haut du joufflu, une fesse chacun. Et le troisième plus bas, à cheval sur mes deux hémisphères. Ils tapent. Ils tapent tout ce qu’ils savent. Devant moi, il y a quelques groupes qui ont d’abord considéré la scène avec curiosité, puis avec amusement. Certains rient maintenant de bon cœur. Manifestement le spectacle les amuse follement. Mais c’est derrière surtout. Ils sont là plus d’une centaine. Je ne les vois pas, mais je les imagine, les yeux rivés à mon dolent. Et je les entends. Ils applaudissent. Ils encouragent. Ils vocifèrent.
– Mettez-le lui bien rouge à cette drôlesse !
– Qu’elle puisse pas s’asseoir d’un moment…
– Et faites-la danser !
Pour danser, ça, je danse. D’un pied sur l’autre. D’une jambe sur l’autre. Et je chante. J’ai beau m’efforcer de prendre sur moi, de rester digne. Je ne peux pas. Ça fait trop mal. Ça cuit trop. Ma croupe n’est plus qu’un gigantesque brasier. Et ça continue à tomber. Ça n’arrête pas de tomber. Alors je gigote. Je me trémousse. Je me dandine. Je leur offre, bien malgré moi, ce plaisir. Et je pousse la chanson. À pleine voix. À pleins poumons. En hurlements haut perchés. On m’imite. On me singe. Dans de grands éclats de rire.
Ça s’arrête d’un coup.
– Monsieur Necker !
– C’est lui !
– Monsieur Necker !
Des courses folles. À la poursuite d’un carrosse là-bas.
En un rien de temps la place se vide. J’y reste seule. Toute seule. À masser d’abord longuement mon arrière-train endolori. Et puis… je ferme les yeux. Je laisse mes mains aller vagabonder où bon leur semble. Elles connaissent le chemin. Elles l’empruntent. Elles s’y font savantes. Précises. Elles m’emportent.
Quand je reviens à moi, mes laquais sont là, à mes côtés. Ils attendent mes ordres.

jeudi 26 juillet 2018

Quinze ans après (16)


Andrea avait l’air un peu déçue.
– T’es toute seule ? Il est pas avec toi, Coxan.
– Ben, non, il est au boulot. Pourquoi ?
– Oh, comme ça. Pour rien.
– On le verra ce soir.
– Tu sais ce que je me demande ? C’est si la vidéo qu’on a faite, l’autre jour, il se la regarde.
– Ah, ben ça, forcément. Mets-toi à sa place !
– Il t’en a parlé ?
– Un peu.
– Il en dit quoi ?
– Que c’est un spectacle très émouvant. Dont on ne se lasse pas.
– Il aime quand je crie ?
– Il adore. Mais ce qu’il apprécie surtout, c’est ce que tu montres. Et comment tu le montres. Faut reconnaître que, de ce côté-là, tu as fait fort. Vraiment très très fort.
– Je sais, oui.
– Parce que tu la regardes, toi aussi, hein ?
– Quelquefois.
– Quelquefois ou souvent ?
– J’essaie de deviner ce qu’il pense, ce qu’il sent, ce qu’il se dit en me voyant.
– Ce que beaucoup d’hommes penseraient, sentiraient ou se diraient à sa place.
– Et justement. Des fois, j’imagine qu’il y en a d’autres qui regardent avec lui. Que ça les excite. Qu’ils font des tas de commentaires. Ça se pourrait, hein !
– Quoi donc ? Qu’il la montre ? Ah, non, non ! Il s’est engagé à ne pas le faire. Et, le connaissant, je suis absolument certaine qu’il tient sa promesse.
– Oui, mais bon… Ce serait pas un drame non plus. On voit pas ma tête. Juste mes cheveux. Qu’est-ce tu veux reconnaître quelqu’un à ses cheveux ?
– Oh, toi, je te vois venir. Ça te tente bien, hein ?
– Ben…

On est arrivées les premières. On s’est installées dans l’arrière-salle du café. Tout au fond. Il n’y avait presque personne. Juste un jeune type, pas très près, plongé dans ses cours, et puis, encore plus loin, deux filles lancées dans une conversation animée à voix basse. On s’est commandé un café et on a attendu. Un petit quart d’heure.
Il nous a superbement ignorées et il est allé s’asseoir en compagnie d’un petit brun frisé à l’air sympathique à la table juste en face de la nôtre. Ils ont parlé de choses et d’autres. Du match du PSG. Des travaux de la voie sur berge. Des frelons asiatiques.
Et puis le brun s’est impatienté.
– Bon, mais c’est pas tout ça. Tu montres ?
La main d’Andrea s’est crispée sur mon genou.
Coxan a sorti son smartphone, tendu des écouteurs au type, lancé la vidéo. Ils sont restés un long moment silencieux, les yeux rivés à l’écran. Et puis le type a constaté…
– Oh, la vache ! Qu’est-ce qu’elle se prend, la fille !
– Je te l’avais dit…
– Une sacrée dérouillée ! C’était quoi la raison ?
– Je sais pas. Elles ont jamais voulu me dire. Un truc entre elles. Peut-être une histoire de mec. C’est souvent ça avec les nanas.
– Comment elle braille ! Et puis alors… Oh, putain ! T’as de ces aperçus.
– Et t’as encore rien vu.
– Oh, putain ! Oh, putain ! Oh, putain !
Andrea m’a enfoncé ses ongles dans la cuisse.

lundi 23 juillet 2018

Entre collègues


Dessin de Louis Malteste

Dès le matin ça commence. Elle se gare à ma place sur le parking du boulot. Je laisse pas passer. Ah, non, alors ! Manquerait plus que ça…
– Tu peux pas mettre ton tas de ferraille ailleurs ?
– Il y a pas de places attitrées, que je sache !
– Places attitrées ou pas, je me suis toujours mise là. Depuis la nuit des temps.
Et on se fait la gueule.

Après, c’est mon tour. Je profite de ce qu’elle soit descendue à la machine à café pour mettre un code d’accès bien tordu sur son ordinateur. Et je l’éteins.
– Qui c’est qu’est venu à ma place ?
– J’sais pas. Pas moi, en tout cas !
– Tu parles !
Elle râle. Elle cherche. Elle tempête.
– Et merde ! Tu vas le dire à la fin ?
Je la fais attendre. Tant et plus. Et puis je le lui lâche.
– Tu me paieras ça. Je te jure que tu me paieras ça.
J’éclate de rire.
– Mais bien sûr !

On saisit toutes les occasions. À longueur de journée. On se provoque. On s’engueule. On se menace. Pour la plus grande joie, plus ou moins affichée, des collègues. Qui en font des gorges chaudes. Et pour la nôtre. Parce qu’en réalité, c’est du flan tout ça. On est les meilleures amies du monde. On s’entend comme larronnes en foire pour leur donner le change.
– Leurs têtes ! Non, mais leurs têtes ! J’adore.
– Ah, pour ça, oui ! Moi aussi !

Le soir, on part chacune de notre côté. Et puis on se retrouve. Chez l’une. Ou chez l’autre.
– N’empêche que t’as été infernale aujourd’hui !
– Tu peux parler, toi !
On se donne de petites tapes. Pour rire. Pour jouer. De plus en plus fortes. Qui finissent par faire mal.
– Oh, mais alors là, tu vas voir !
– T’as que de la gueule.
On se lève et on lutte, enlacées. Toujours par jeu. On est de force à peu près égale. Alors parfois c’est elle qui prend le dessus et parfois c’est moi. Mais ça se termine toujours de la même façon. Il y en a une qui trousse l’autre, qui lui met les fesses à l’air et qui lui flanque une bonne claquée. Quand on en arrive là, je me laisse faire. Ou elle se laisse faire. C’est selon.
– Alors là, je peux te dire que tu vas t’en souvenir, ma petite !
Pour s’en souvenir, on s’en souvient. Parce qu’on ne se ménage pas. De vraies fessées on se donne. Bien rougissantes et bien cuisantes.
– Plus fort ! Plus fort ! Tu caresses, là !
On ne se fait pas prier. On se déchaîne.
Cris. Gémissements. Supplications. Rien n’y fait. On se montre intraitables. Jusqu’à ce que la main fatigue.
– J’en peux plus.
On reprend nos esprits.
– En attendant, qu’est-ce que ça fait du bien !
– Oui, mais le prochain coup, c’est mon tour.
– Promis, juré.
On se passe de la crème. On contemple et on commente l’étendue des dégâts.
– Tu t’imagines demain, là-bas, au boulot, le cul en feu ?
– Et personne qui sait. Et personne qui se doute. J’adore…

samedi 21 juillet 2018

Les fantasmes de Lucie (9)



Il m’est arrivé un truc, là, mais un truc ! Qui me pendait au nez à force de faire. J’étais sous la douche. Sans intention particulière au départ. Et puis bon… Mon corps nu, l’eau qui coule dessus, le beau temps dehors. Il a commencé à me venir des images. Pas trop insistantes au début. Elles flottaient, repartaient, étaient remplacées par d’autres qui disparaissaient à leur tour. Il s’est doucement instauré un climat. Et l’envie. Je me suis agenouillée. Je les ai laissées se faire plus précises les images, plus envoûtantes. Elles m’ont habitée. Elles m’ont envahie. J’ai réglé le jet, je l’ai dirigé, par derrière, vers mes lèvres, vers mon petit bouton. Je me suis pleinement offerte à moi-même. Et c’est venu. Par vagues successives. En remous, en houles, en rouleaux, en déferlances qui m’ont arraché, à chaque retour, des feulements de bonheur de plus en plus éperdus. Et de véritables rugissements à la fin.

Tout est retombé. J’étais bien. Détendue. Heureuse. Quand… un toussotement. Là, dehors, tout près. Un toussotement. Je me suis figée. Il y avait quelqu’un. C’est pas vrai qu’il y avait quelqu’un, là, sous la fenêtre. Je m’étais bien rendu compte, pendant mon petit périple sensuel, qu’elle était restée ouverte. Je n’en avais pas vraiment fait cas : elle donnait sur le jardin du voisin. Et le voisin, à cette heure-ci, il y avait belle lurette qu’il était parti au boulot. Sauf que… je n’avais pas rêvé. Quelqu’un avait toussé. Alors qui ? Il fallait que j’en aie le cœur net. Je suis allée, le plus discrètement possible, jeter un petit coup d’œil au-dehors. Et… il était là, le voisin, juste en-dessous, en train de bichonner ses rosiers. Depuis un bon moment déjà, sûrement. Depuis le début. Et il avait tout entendu. Il avait forcément tout entendu.

En fin d’après-midi, il m’a appelée par dessus la haie.
– Hou… Hou… Vous êtes là ?
Et m’a tendu une salade.
– Merci. C’est gentil.
– Oh, de rien ! Comme vous faites pas le jardin…
– J’ai pas trop le temps.
– Ben oui. Vous avez d’autres occupations.
Et toc ! Prends ça par les dents !
– Non, et puis faut se rendre service entre voisins. D’ailleurs je voulais vous dire… Si vous avez besoin de quoi que ce soit, vous hésitez pas, hein, surtout ! Parce qu’une femme seule, pour tout un tas de petits travaux, c’est pas toujours facile. Et moi, j’ai les outils appropriés. Alors si je peux vous dépanner, ce sera avec plaisir.
Il avait les outils appropriés. Ben, voyons !
Je l’ai remercié et je me suis enfuie avec ma salade.

À l’évidence, ma petite prestation sonore de ce matin lui avait fait naître des idées. Et, comme l’immense majorité des hommes, il est convaincu que, si une femme se donne du plaisir, c’est qu’elle est en manque. Sauf que, de ce côté-là, moi, ça va très bien, merci. J’ai Julien. Que je vois quand j’en ai envie. Ou besoin. Une liaison avec lui, mon voisin ? Ah, non alors ! Ce serait l’enfer. Il faudrait être constamment à disposition. Vivre sous surveillance permanente. Ne pas pouvoir recevoir qui je veux. Quand je veux. Ah, non, non ! De l’air ! De l’espace ! Lui, il se contentera de continuer à prendre place dans mes rêveries voluptueuses. Au moment que j’aurai choisi. Et de la façon dont je l’aurai décidé.

Ce qui n’a pas tardé. Le soir même. En y repensant. En le revoyant, de l’autre côté de la haie, avec sa salade. En l’imaginant, sous ma fenêtre, en train d’écouter mon plaisir prendre son essor, déferler encore et encore. Il bandait. Je suis sûre qu’il bandait. Peut-être même qu’il se l’est fait, lui aussi. Là. En même temps que moi. Je me suis relevée. Je suis retournée à la salle de bains. La même position. Le jet. Mon plaisir. Mais, cette fois, il était là. Je l'imaginais là. Avec moi. Il m’a regardée faire. Jusqu’au bout. Et il m’a giclé sur les fesses.

jeudi 19 juillet 2018

Quinze ans après (15)


Madame Gonsalier n’était pas mécontente de Camille.
– C’est vrai qu’elle est docile. Extrêmement docile. On peut pas dire le contraire.
Mais elle n’en était pas vraiment satisfaite non plus.
– Non, parce que, sur le plan professionnel, on peut pas dire que ce soit ça qu’est ça. Elle ne sent pas les clientes. Pas du tout. C’est pourtant le b-a ba du métier. Et puis alors elle te vous a une de ces visions de la mode ! Quatre ou cinq ans de retard. Au moins. Mais bon, elle n’est là que depuis trois jours. Je peux pas lui demander l’impossible non plus.

Sur le trottoir, on a marché toutes les deux en silence.
– Eh bien, raconte ! Ça se passe comment ?
– Faudrait que vous me posiez-moi des questions. Je sais pas dire, sinon.
– Elle est très sévère avec toi, Madame Gonsalier ?
– Encore assez. Et puis elle me parle toujours dur.
– C’est pour ton bien. C’est ce qu’il te faut.
– Je sais, oui.
– Tu t’es pris des fessées ?
– Une.
– Devant du monde ?
– Mes deux collègues. Perrine et Aglaé.
– Qui ont réagi comment ?
– Elles ont pas arrêté de rire, et, après, de se moquer. Tout le temps maintenant elles m’en parlent. « Range les fringues, Camille ! Sinon tu vas encore avoir panpan cucul. »
– Tu t’entends bien avec elles ?
– Ça va. Elles aussi, elles me commandent. Et elles me parlent sévère.
– Tu dois être ravie. C’est bien ce que tu voulais, non ? Obéir, obéir et encore obéir. Te voilà comblée.
– Oui.
– Ça a pas vraiment l’air. Tu dis ça sur un ton !
– Non. Si ! Mais ce que j’aimerais, c’est que ce soit plus. C’est que ce soit tout le temps. Nuit et jour.
– Ça viendra. T’habites où ?
– Un foyer de jeunes travailleurs, par là. Pour le moment, j’ai trouvé que ça.
– Il y a des horaires, là-dedans, non ?
– Si…
– Alors va vite…

Coxan était un peu déçu que je l’aie pas ramenée.
– Tu deviens bien gourmand…
– Mais non, mais…
– Psychote pas ! Tu l’auras ton film. On en fait ce qu’on veut de cette fille. Il y a que comme ça qu’elle prend son pied. En se mettant totalement à disposition.
– Ça, j’avais compris, merci.
– C’est d’ailleurs pour ça que j’ai pas voulu la ramener Parce que je me méfie.
– Tu te méfies ! Et de quoi donc, grands dieux ?
– De moi. Parce que je me connais. C’est trop tentant une nana comme ça. Je l’aurais laissée passer la nuit ici. Et puis celle d’après. J’aurais joué tant et plus avec. Ce serait rentré comme dans du beurre. Ça m’aurait amusée. Je l’aurais laissée quitter son foyer, s’installer ici. Et quinze jours après, j’en aurais eu assez. Trop facile. Trop prévisible. Terriblement ennuyeux finalement… Je sais comment ça se passe, j’ai déjà donné. Et j’en aurais été encombrée. Alors non. Non. Que quelqu’un d’autre la prenne sous sa coupe. Madame Gonsalier, par exemple. Qu’elle l’héberge. Ou l’une des deux vendeuses. D’ailleurs je vais pousser à la roue dans ce sens.
– Et sa fessée, du coup, on la filmera devant sa propriétaire…
– Voilà ! T’as tout compris.

lundi 16 juillet 2018

Entrez, facteur!


Dessin de Martin Van Maele

– Eh bien, facteur, faut pas se gêner !
– Mais j’ai frappé ! C’est vous qui…
– Qui t’ai dit d’entrer. Je sais, oui ! Ferme donc la porte, idiot ! Ça fait courant d’air. Et profite de l’occasion au lieu de discourir ! C’est pas tous les jours qu’on doit t’offrir, sur ta tournée, des spectacles comme celui-là. Si ?
– Oh, pour ça, non !
– Ah, tu vois ! Tu sais que t’es pas mal du tout de ta personne ? Ça change de celui qu’il y avait avant. Tu dois sacrément plaire aux filles, je suis sûre. Non ? Je me trompe ?
– On se défend.
– Et modeste avec ça ! Mais c’est que t’as toutes les qualités, toi ! Si, en plus, là-dessous, t’es monté comme un taureau, alors là ! Là ! C’est le cas ?
– Je…
– Non ! Non ! Dis rien ! Je préfère imaginer. N’empêche que tu sais que c’est tous les jours que je t’attends ? Que je te regarde, derrière mes volets clos, glisser le courrier dans ma boîte aux lettres ? Et d’ailleurs, tiens, tu veux un aveu ? Neuf fois sur dix, les lettres que je reçois, c’est moi qui me les suis envoyées. Pour avoir le plaisir de t’avoir là, à disposition, quelques instants, sous ma fenêtre. Et pour, après, laisser courir mes doigts, en pensant à toi, là où ils ont envie d’aller. C’est pour ça : je me suis bien juré que le jour où tu m’apporterais enfin un colis, je ferais en sorte que tu saches à quoi t’en tenir. C’est plus honnête, non, tu trouves pas ? Surtout que t’es le premier concerné. Et voilà qu’il est enfin arrivé, ce jour béni. Et que je suis dans tous mes états. Ça te choque pas trop au moins tout ça ? Si, hein ! Un peu quand même. J’m’en fous ! J’m’en fous complètement. Parce que si tu savais comment c’est excitant de le faire comme ça, là, devant toi. Depuis le temps que j’en rêvais ! Et tiens, faut que je te dise quelque chose. T’es le seul maintenant. Et ça, depuis des mois. Parce qu’avant il y en avait aussi d’autres. Le fils du boulanger. Celui du premier adjoint au maire. Mais ils me satisfaisaient pas autant que toi. Tant s’en faut. Alors je n’ai gardé que toi. Je te suis fidèle. Ça te fait plaisir au moins ? Oui ? On dirait pas. Tu manques sérieusement d’enthousiasme, mon garçon. Oh, mais je sais ce que tu penses. Que je suis une dépravée. Une perverse. Une vilaine cochonne lubrique qui mériterait une bonne fessée pour lui apprendre à se conduire d’une façon aussi éhontée. C’est pas vrai peut-être ?
– Ben…
– Oh, mais tu as raison. Tu as entièrement raison. Je me comporte là, avec toi, devant toi, d’une manière absolument scandaleuse. Je mérite d’être punie pour ça. Et c’est toi qui vas le faire. C’est toi qui vas me rendre ce menu service. Hein ? Tu veux bien ? Merci. T’es un amour. Attends ! Attends ! Laisse-moi me mettre en position. Là ! Voilà ! Bon, mais tu tapes, hein ! Tu fais pas semblant. Et même si je crie, même si je te demande d’arrêter, tu m’écoutes surtout pas. Au contraire. Tu tapes encore plus fort. Aussi fort que tu peux. Allez, vas-y, je suis prête. Fais-moi jouir !

samedi 14 juillet 2018

Les fantasmes de Lucie (8)

Louis Malteste


Il vient s’asseoir juste en face de moi. Un monsieur, la cinquantaine, bien de sa personne. Un cadre ou quelque chose comme ça, sûrement. Peut-être un directeur qui n’a pas du tout envie de commencer sa journée dans les embouteillages. Comme moi. Il s’absorbe dans la contemplation de sa tablette. Et moi, je plonge le nez dans mon cahier. Ce cahier-ci, confident de mes plaisirs. S’il savait ! S’il savait que la petite jeune femme qui lui fait face, à l’air bien sage, aux genoux chastement serrés, a des fantasmes plein la tête, qu’elle leur donne libre cours et qu’elle y prend un pied pas possible. S’il savait qu’elle est en train de les caresser du bout des yeux, de se délecter des mots qu’elle a mis dessus et que ça l’émoustille prodigieusement de faire ça, là, devant lui.

Dans le noir, nue sur mon lit, les yeux clos, je le fais revenir. Dans un train. Un autre train. Un train d’avant avec des compartiments. Et de moelleux appuie-tête. On est tous les deux. Que tous les deux. On ne se connaît pas. Il a déployé son journal et moi, j’ai ouvert mon cahier. Je me lis. Je me relis. Je me trouble. Ça se creuse entre mes cuisses. Ça perle. Ça m’inonde. Il faut. Tout de suite. Là. Maintenant. Je pose mon cahier sur la banquette, je jette mon châle par-dessus et je me précipite aux toilettes.

Quand j’en reviens, il est tranquillement en train de lire mon cahier. Il ne relève même pas la tête.
– Non, mais faut pas se gêner !
Il ne répond pas.
Je veux le lui reprendre. Il me repousse fermement, de la main, sans un mot et poursuit sa lecture. Complètement désarçonnée, je me rassieds dans mon coin et le regarde tourner les pages. Il a, de temps à autre, un petit hochement de tête ou un imperceptible sourire.
– Mouais !
Il me tend le cahier, me fixe dans les yeux. Je baisse aussitôt les miens.
– Mouais ! Et maintenant ?
Je m’agite sur mon siège. Quoi « et maintenant » ? Qu’est-ce qu’il veut dire « et maintenant » ?
– Parce que vous ne comptez pas vous en tirer comme ça, j’imagine ?
Si ! Non. Je ne sais pas.
– Ce ramassis d’horreurs qu’il y a là-dedans ! Vous n’avez pas honte ?
Et il parle. Il me sermonne. Je n’entends pas. Je n’écoute pas. Ça fait comme un coulis de reproches qui me parvient de très loin. Dont je ne saisis pas vraiment le sens. Je sais juste qu’il me gronde. Et que c’est tout à la fois humiliant et très agréable.
– Eh bien ? Qu’est-ce que vous attendez ?
– Hein ? Quoi ?
– Venez ici !
Je lui obéis. Je me lève. Je m’approche.
– Fermez le rideau !
Le rideau de la porte qui donne sur le couloir.
J’obéis encore.
Il me fait sèchement basculer sur ses genoux, me retrousse tout aussi sèchement ma robe, maintient fermement ma main qui essaie de la rabattre.
– Et elle a pas de culotte. En plus ! Ah, ben bravo ! Bravo !
Ses claques sont sèches, déterminées. À rythme lent. Une fesse après l’autre. Imperturbablement. Ça dure. C’est interminable. Ça dure. Ça me cuit. Ça me brûle. Mais c’est tellement bon…
Brusquement la porte s’ouvre.
– Contrôle des billets, Messieurs Dames, s’il vous plaît !

C’est toujours à ce moment-là que mon plaisir surgit…

jeudi 12 juillet 2018

Quinze ans après (14)


J’ai fait durer le repas. Aussi longtemps que possible. J’ai encore voulu qu’on aille boire un verre, quelque part, avant de rentrer. Je pouvais sentir physiquement leur attente. D’une impatience extrême chez Coxan. Mêlée d’une pointe d’appréhension chez Andrea.
Par contre, aussitôt la porte refermée sur nous…
– Viens voir là, Andrea !
Elle s’est docilement approchée.
– Tu n’as pas honte ?
Elle a baissé la tête. Elle n’a pas répondu.
– Hein ? Tu n’as pas honte ? Accepter de te faire fesser, comme ça. devant quelqu’un que tu connais à peine. Ta conduite est inqualifiable. Tu en as bien conscience, j’espère ?
– Oui.
Un tout petit oui.
– Tu vas être punie pour ça… Déshabille-toi !
Elle a levé les yeux sur Coxan. Les a aussitôt détournés.
– Devant lui, oui. Ça fait partie de la punition. Allez !
Et elle l’a fait. Le pull, passé par-dessus la tête. Le pantalon dont elle est sortie, une jambe après l’autre. Elle s’est arrêtée.
– Tout ! T’enlèves tout.
Le soutien-gorge qu’elle a jeté sur le fauteuil, derrière elle. Le string. Qui a suivi le même chemin. Et elle restée là, à attendre, tandis que Coxan lui dévorait les fesses des yeux.
– Tu sais que c’est pas poli du tout ce que tu fais ? On ne tourne pas le dos aux gens comme ça. C’est d’une incorrection ! Eh bien ? Tu entends ce que je te dis ?
Elle s’est lentement retournée. A esquissé un geste pour se dissimuler les seins avec ses bras, l’encoche avec ses mains. A finalement renoncé.
Je les ai laissés, face à face, profiter longuement l’un de l’autre.

– Bon, mais allez ! Action !
Elle est venue se coucher docilement en travers de mes genoux. A paru vouloir dire quelque chose.
– Oui, Andrea ? Qu’est-ce qu’il y a ?
– On enregistre pas ?
J’ai eu un petit rire.
– T’en crèves d’envie, hein ? Ben, tu sais pas ? On va faire encore mieux. Coxan va filmer.
Elle a eu comme un frémissement de plaisir.
– Ah, ça te plaît, ça, hein, comme idée ! Eh ben, Il y a plus qu’à assurer le spectacle.
Ce que je me suis employée à faire. À grandes claques bondissantes qui s’imprimaient sur son derrière. Qui, très vite, lui ont arraché de plaintifs gémissements.
– Comédienne, va !
Et j’ai tapé plus fort. Plus vite. De plus en plus fort. De plus en plus vite.
Elle a crié. À pleins poumons. A battu des jambes. Trépigné. S’est soulevée du derrière. Haut. Très haut.
– Ça va, Coxan ? Tu te régales ?
Il s’est contenté de me gratifier d’un large sourire.
J’ai poursuivi, à plein régime, durant encore trois ou quatre minutes pendant lesquelles elle a rugi. S’est agitée comme une perdue. Trémoussée tant et plus.
– Là ! Et tiens-le-toi pour dit !
Elle s’est relevée en se frottant les fesses.
– Hou là là là !
A fait trois fois le tour de la pièce en sautillant.
– Mais hou là là là !
A fini par s’emparer, au passage, de son string qu’elle a entrepris d’enfiler.
– Qu’est-ce tu fais ? Non, non. Reste comme ça. T’es très bien comme ça. Viens regarder le film plutôt…
Elle s’est précipitée.

lundi 9 juillet 2018

La fessée de Madame


– Madame a l’air bien fatiguée.
– Oh là là, oui. Elle a une mine de déterrée.
– C’est l’absence de Monsieur qui chagrine Madame ?
– Absence qui ne l’empêche pas de passer ses journées par monts et par vaux.
– On se demande bien à quoi faire, d’ailleurs.
– Oh, non, on se le demande pas. On sait.
– Madame les prend vraiment très jeunes.
– C’est que c’est plein de sève à cet âge-là…
– Et que ça n’hésite pas à remettre le couvert autant de fois que nécessaire.
– Madame ne dit rien ?
– Qu’est-ce que tu veux qu’elle dise ?
– À part nous supplier de lui garder le secret.
– Et elle est bien trop fière pour ça.
– Quand Monsieur va apprendre…
– Et il apprendra…
– Oui. Il faut qu’il sache.
– Quand Monsieur apprendra, alors là Madame va vraiment passer un très très mauvais quart d’heure.
– À moins que…
– On règle ça entre nous ?
– Ce peut-être une solution. On administre à Madame une bonne fessée de derrière les fagots. Bien cuisante, à la fois pour son fondement et pour son amour-propre.
– Ce qui est, à tout le moins, amplement mérité.
– Et on ne dit rien. À personne. Même pas à Monsieur.
– Surtout pas à Monsieur.
– Muettes. De vraies tombes.
– Que pense Madame de tout ça ?
– Rien. Qu’est-ce tu veux qu’elle en pense ? Elle s’en veut. Elle s’en veut énormément. Pas d’avoir écarté les jambes, non. C’était trop bon. Mais d’avoir manqué de prudence. Parce qu’on sait toutes les deux. Elle se demande bien comment, mais on sait. Le fait est là. Et, du coup, elle est entièrement à notre merci. Obligée d’en passer, si elle ne veut pas aller au-devant de très très gros ennuis, par tout ce qu’on veut. Elle n’a pas le choix. Et ce qu’on veut maintenant, c’est qu’elle aille bien docilement s’agenouiller au bord de son lit.
– Oh, là ! Ce regard ! Elle n’aime pas, mais alors là, pas du tout cette perspective.
– Ce dont on se fiche éperdûment.
– Tu crois qu’elle va le faire ?
– Et comment qu’elle va le faire ! Elle a trois secondes pour ça. Sinon… Eh ben, voilà ! Tu vois, suffit de demander. Elle est docile finalement notre maîtresse, hein ?
– Très. Ce qui est, ma foi, fort agréable.
– N’est-ce pas ? Et elle va l’être davantage encore. Parce qu’elle va se laisser bien gentiment mettre le cul à l’air. Là ! Voilà… Et maintenant, on va s’en donner à cœur-joie. Tu commences ou je commence ?
– Oh, ensemble ! Ensemble ! Ça portera plus.– Eh bien, allez, alors ! Feu !

samedi 7 juillet 2018

Les fantasmes de Lucie (7)


Dessin de Georges Topfer.

J’ai passé le week-end à la plage. En petit avant-goût des vacances. Un week-end de rêve. Il faisait un temps magnifique. Et les maîtres nageurs sauveteurs étaient de sortie. Beaux comme des dieux. Et en nombre. Une douzaine. Au moins. Un vrai régal des yeux. Torses de rêve, biscoteaux à foison, fesses musclées, bronzages généreux. Je ne savais plus où donner de la tête. Je volais de l’un à l’autre. Je m’attardais ici. Je repartais là. Je revenais au premier. J’en essayais un troisième. Un quatrième. Sans parvenir à arrêter mon choix. Mais, après tout, picorer à droite et à gauche pouvait aussi avoir son charme.
Une flopée de petites dindes évaporées voletait autour d’eux en jacassant à qui mieux mieux et en ricanant bêtement. Non, mais attends que j’allais te l’éparpiller leur basse-cour, moi ! Je me suis lentement levée. J’ai posément rajusté mon maillot, l’ai fait claquer contre ma cuisse et je me suis majestueusement laissée dériver jusqu’au bord de l’eau. Mains sur les hanches, j’ai longuement contemplé la mer. Qui m’a léché les pieds. Les chevilles. Les mollets. Qui m’a appelée. Je m’y suis aventurée. Jusqu’aux hanches. Jusqu’aux seins. Là-bas, sur la plage, un sauveteur avait ses jumelles braquées sur moi. C’était bon. C’était le moment. J’ai perdu pied. Fait semblant. En réalité, je nage comme un gardon. J’ai battu désespérément des bras. Lancé de pathétiques appels au secours. Ça n’a pas boité : ils se sont précipités. À trois. M’ont extirpée de l’eau. Il y en a un – un grand, fort, avec des yeux, mais des yeux ! – qui m’a prise dans ses bras. Serrée contre lui. Déposée sur la plage.
– Ça va ?
Penché sur moi.
Ça allait, oui. À peu près.
Il a pris un air sévère.
– Quand on sait pas nager, on reste près du bord.
Le deuxième a renchéri.
– Ou on met des brassards.
Quant au troisième, il m’a donné le coup de grâce.
– Non, mais franchement vous avez quel âge ?
Et ils m’ont plantée là.
Oh, mais ils n'allaient pas s’en tirer comme ça.

Ah, non, alors ! Ils s’en tirent pas comme ça. Parce qu’à l’hôtel, dans ma chambre, je reste étendue quelques instants sur le sable, et puis je retourne à l’eau. Au même endroit. Aussi loin. Encore plus loin. Et je reperds pied. Il revient. Tout seul cette fois. Il est furieux, ça se voit. Ses gestes, pour s’emparer de moi, pour me ramener, sont plus brusques, plus énergiques.
– Vous croyez qu’on n'a que ça à faire ?
Il s’arrête. On est encore dans l’eau. J’en ai jusqu’aux genoux. À peine.
– Vous vous comportez en gamine écervelée. Eh bien, on va vous traiter en gamine écervelée.
Et, avant même que j’aie eu le temps de réaliser, de dire quoi que ce soit, de protester, il me renverse sur son genou, il me met le cul à l’air, là, devant tout le monde et il me flanque une fessée. Une de ces fessées ! À pleine main. À pleines fesses. À toute volée.
– Non, mais ça va pas ! Arrêtez ! Mais arrêtez enfin !
Il n’écoute pas. Il s’en moque. Au contraire : il tape plus fort. Beaucoup plus fort. Ça fait mal. Ça pique. Ça brûle. Je crie. Je voudrais m’empêcher, mais je peux pas. Je crie. Et ça attire l’attention des gens. Qui regardent. Tout le monde regarde. Les autres baigneurs autour. Les gens sur la plage. Les autres sauveteurs, là-haut. Les petites dindes. Que ça amuse beaucoup. Qui rigolent tout ce qu’elles savent. 
Et c’est là, devant elles, devant eux, que mon plaisir me surprend. M’envahit. Me submerge. Pour ma plus grande honte. Mais c’est si bon ! 
J’étouffe mon ravissement dans l’oreiller.

jeudi 5 juillet 2018

Quinze ans après (13)


Coxan était estomaqué.
– Comment tu m’as bluffé, là, avec cette madame Gonsalier. Tu l’as sortie d’où ?
– D’Internet. J’ai fouillé, j’ai fouiné. Et puis voilà…
– T’obtiens tout ce que tu veux, toi, en fait. Et tu manques vraiment pas d’imagination.
– Disons que je me défends.
– Faudra pas en oublier pour autant notre idée de départ.
– Non. Bien sûr que non. Ça viendra. À son heure. Tu l’auras ton film. Laisse-moi faire. Pour le moment, c’est d’Andrea qu’il s’agit de s’occuper.

Andrea qui avait d’abord voulu voir, avant de le rencontrer en ma compagnie, des photos de Coxan.
– Il fait rassurant. Et puis, ce qui ne gâte rien, il est beau mec. En plus !
Qui avait aussi voulu l’approcher, incognito, de plus près. Qui s’était rendue pour ce faire, sous un prétexte bidon, à la banque où il travaille.
– Ça me faisait drôle, mais drôle, tu peux pas savoir, de me dire que ce type, il m’avait entendue me prendre une fessée et qu’il savait pas que c’était moi !
– Bon ! Et alors ? Conclusion de ta petite enquête ?
– A priori je suis pas contre qu’il assiste…
– T’es pas contre ou t’en as envie ?
– J’en ai plutôt envie.

Et on s’est retrouvés, tous les trois, dans ce même restaurant gastronomique où on avait fait connaissance, lui et moi.
Il l’a tout de suite reconnue. Et menacée du doigt.
– Alors, comme ça, on est venue m’espionner ?
Elle a rougi, s’est troublée.
– Mais non, mais…
– Mais si ! Ça faisait vraiment téléphoné cette histoire de bons de caisse de votre grand-père. Bon, mais l’essentiel, c’est que j’aie passé l’examen avec succès. Ce qui semble être le cas.
Elle n’a pas répondu. On s’est assis.
– Bon. On va pas tourner dix mille ans autour du pot.
Et je leur ai tendu, à l’un comme à l’autre, une paire d’écouteurs.
– Mettez ça !
Et j’ai lancé l’enregistrement de la fessée d’Andrea.
Leurs regards se sont d’abord évités, puis furtivement croisés. De plus en plus souvent rencontrés. Finalement gardés.
Ça s’est achevé. J’ai relancé. Depuis le début. Leurs yeux ne se sont pas quittés. Jusqu’à la fin.
Ils ont retiré les écouteurs. Comme à regret.
Coxan a paru revenir de très loin.
– Je ne m’en lasse pas. C’est toujours aussi émouvant de t’écouter piauler. Avec le bruit des claques en arrière-fond. Et t’écouter en t’ayant là, en face de moi, en train de faire la même chose, c’est un véritable bonheur.
J’ai cru bon d’intervenir.
– Qu’est-ce que ce sera quand tu verras alors !
– D’autant que, d’après ce que tu m’as dit…
J’ai posé un doigt sur mes lèvres.
– Chuuut !
– Et il viendra quand, ce moment béni ?
– Quand Andrea voudra. C’est elle qui décide…
Elle nous a regardés, l’un après l’autre.
– Maintenant. Tout-à-l’heure. Quand on aura fini de manger.

lundi 2 juillet 2018

Derrière les arbres

Carman. Trente ans.


– Il est là ?
– Bien sûr qu’il est là…
– Où ça ?
– Te retourne pas surtout ! Dans le bouquet d’arbres juste derrière. Il y a que là qu’on peut vraiment se cacher.
– C’est loin !
– Pas tant que ça. Et puis il aura pris sa longue-vue.
– Tu lui as dit quoi au juste ?
– Que t’avais mérité une bonne fessée. Et que je viendrais te la flanquer ici. Parce que là-bas, avec les voisins, c’était pas possible. On nous aurait entendues.
– Et alors ?
– Il m’a baisé la main. Et il m’a souri. « Je ne sais rien. Vous ne m’avez rien dit. »
– On le fait un peu attendre ?
– Oh, si tu veux…
Et on s’est allongées, côte à côte, un brin d’herbe entre les dents.

– Combien de temps ça fait ?
– Pas loin d’une heure. Il doit commencer à s’impatienter.
– Et si on reportait à demain ?
– Le pauvre ! Il serait horriblement déçu.
– Il n’en aurait que plus envie encore.
– À moins qu’il ne se décourage…
– Oui. Non, mais n’importe comment ça me démange trop que tu me la donnes.
– On y va alors ?
– On y va.
Et je me suis tournée sur le ventre.
Elle m’a lentement, très lentement, dénudé les fesses. Et elle a tapé. En prenant bien soin de rester sur le côté. Qu’il puisse jouir pleinement du spectacle. J’ai battu des jambes. J’ai enfoui ma tête dans l’herbe pour étouffer mes cris. Elle, elle tapait de plus en plus fort. De plus en plus vite. De plus en plus cuisant.
– Elles sont rouges ?
– Assez… Mais pas tant que ça quand même…
– Alors continue…
Elle ne s’est pas fait prier. À grandes claquées qui m’ont fait bondir du derrière, crier comme une perdue.
– Là ! Tu as ton compte, non ?
Je l’avais. Je me suis relevée. Reculottée.
– Il a dû se régaler, l’autre, là-bas, derrière.
– Et pas qu’un peu !
– Tu me raconteras ce qu’il t’a dit, hein ?
– Évidemment !

On a pris le chemin du retour.
– Et demain, c’est toi qui ramasses. Il y a pas de raison…
– Si tu veux.
– Peut-être qu’un jour il y aura pour de bon quelqu’un à nous regarder, là-bas, dans les arbres. Qu’on aura pas besoin de l’inventer.
– Ou beaucoup plus près. Un passant qu’on n’aura pas entendu arriver.
– Qu’est-ce qu’on fera ?
– Semblant de pas l’avoir vu.
Et on s’est prises en riant par la taille.