lundi 29 avril 2019

Défilé militaire (2)



Auguste Renoir : Le bal du moulin de la galette.

Les festivités se sont poursuivies tout au long de la journée, dans la liesse générale, ponctuées, le soir, par un grand bal populaire donné sur la place de la Victoire, tout en haut de l’avenue.
C’est là que j’ai fini, après l’avoir longtemps cherchée, par découvrir, mon inconnue du matin. Assise, seule, sur un banc, elle regardait les danseurs tournoyer.
Je me suis approché.
– Décidément, nos routes n’arrêtent pas de se croiser aujourd’hui…
Elle m’a jeté un rapide coup d’œil.
– Vous faites erreur. Je ne vous connais pas.
Et elle a détourné la tête.
J’ai insisté.
– Mais si ! Rappelez-vous ! Le défilé militaire. On l’a regardé ensemble.
– Certainement pas, non. Je n’y suis pas allée.
– Non, mais vous l’avez suivi depuis votre fenêtre. Et moi, depuis la mienne.
Elle m’a jeté un bref regard terrifié, s’est très vite reprise.
– Je ne vois absolument pas de quoi vous voulez parler.
Je n’ai tenu aucun compte de l’interruption.
– Pour ma part, j’avoue ne pas en avoir vu grand-chose. J’étais beaucoup plus fasciné par le spectacle que vous m’offriez. Vous étiez absolument ravissante dans ces plis de rideau qui, il faut bien l’avouer, ne vous dissimulaient guère. Vous dissimulaient de moins en moins.
– Vous vous trompez, Monsieur ! Ce n’était pas moi.
– Oh, mais n’ayez crainte ! Je saurai tenir ma langue. Parce que s’il allait se dire, dans tout votre immeuble, que la jeune femme du cinquième, côté boulevard…
Elle s’est faite brusquement suppliante.
– Taisez-vous, je vous en conjure ! Taisez-vous ! Voici ma tante qui revient.
Je me suis incliné.
– Madame…
– Monsieur…
– J’étais en train de prier Mademoiselle votre nièce de bien vouloir m’accorder la faveur d’une danse. Ce à quoi elle se refusait tant qu’elle n’aurait pas obtenu votre autorisation.
– Faites, Monsieur, faites ! Je vous en prie…

On a dansé quelques instants. En silence.
Et puis timidement, du bout des lèvres, sans oser me regarder vraiment.
– Vous ne direz rien, hein… Vous me promettez ?
– Vous avez ma parole. Vous seriez perdue de réputation. Surtout s’il se savait, de surcroît, qu’une grande demoiselle de votre âge reçoit encore la fessée.
Elle est devenue écarlate, a fui mon regard.
– Qui vous l’a donnée ?
Elle n’a pas répondu.
– Une fessée méritée en tout cas, j’imagine !
Elle n’a pas protesté.
J’ai enfoncé le clou.
– Reconnaissez, en toute honnêteté, que vous en mériteriez une autre. Parce que vous exposer ainsi, à la fenêtre, dans le plus simple appareil… Vous vous êtes montrée fort imprudente.
– Je ne pensais pas… Je ne croyais pas…
J’ai esquissé une petite moue dubitative.
– Quant au plaisir que vous preniez, à l’évidence, à laisser goulûment traîner vos regards sur tous ces soldats sanglés dans leurs beaux uniformes…
– Mais non, mais…
– Mais si ! Vous avez largement mérité d’être punie, convenez-en !
– Oui.
D’une toute petite voix.
– Ah, vous voyez ! Et vous le serez. Je puis vous assurer que vous le serez. Et de cette main…
Que je lui ai brandie sous le nez.
Elle a baissé la tête.
Je l’ai ramenée à sa tante.
Je les ai saluées.
– Madame ! Mademoiselle !
Et je me suis éloigné.

samedi 27 avril 2019

Les fantasmes de Lucie (49)



Dessin de Jim Black (Luc Lafnet)

Elle m’étonnera toujours, Cordelia. Elle connaît tout un tas de gens. Tout un tas de trucs.
– Ah, faut que t’ailles à Lyon ce week-end ? Il y a une copine à moi qu’a un hôtel là-bas. Vas-y de ma part, si tu veux. D’ailleurs…
Elle a eu un petit sourire.
– D’ailleurs quoi ? Ben, dis !
– J’y ai passé de sacrés bons moments, moi, dans cet hôtel. Parce qu’il y a une des chambres, elle a un miroir sans tain. Le mec, de l’autre côté, il est persuadé que t’es pas au courant. Que tu sais pas qu’il te mate. Ça l’excite comme un fou. Et toi, ce qui t’excite devant ta glace, là, c’est de savoir qu’en réalité, c’est toi qui diriges les opérations. Tu montres un peu. Beaucoup. Ou pas du tout. À ta guise. Comme ça te chante.
– Eh, mais c’est que…
– Ça te tenterait bien.
– T’as tout compris.
– Je m’en occupe. Je vais lui parler de toi. Et te réserver la chambre. Mais c’est top secret, hein, tu me promets ? Qu’elle ait pas d’histoires.
– Évidemment ! Ça coule de source.

C’était un coquet petit hôtel, dans un quartier un peu excentré.
– Je viens de la part de Cordelia.
La patronne m’a souri, complice.
– Ah, vous êtes Lucie ? Pauline va vous montrer la chambre.
Ce que ladite Pauline s’est empressée de faire.
– Elle est là, la glace.
Avant de m’entraîner dans celle d’à côté.
– On voit tout, hein ! Comme si on y était. Vous allez bien vous amuser.
Avec un petit clin d’œil.
– Et lui aussi d’ailleurs !
En refermant la porte.
C’était qui, ce lui ? Je pouvais savoir ?
Elle m’a ramenée dans ma chambre.
– On vous a pas dit ? C’est monsieur Albert. Souvent, c’est monsieur Albert. Il est complètement accro. Dès qu’elle l’appelle, Madame Fontanges, il se précipite.
– Il est vieux ?
– Oh, non, non ! Dans les trente-cinq. Par là. Et il est beau mec. Oh, mais vous le verrez tout-à-l’heure, au restaurant. Pas très loin de lui on vous a mise. Que vous puissiez vous rendre compte à quoi il ressemble. Et qu’il puisse, lui, vous savourer un peu à l’avance. Et penser, pendant tout le repas, qu’il va vous voler toute nue sans que vous le sachiez. Bon, mais en attendant, je vais vous laisser. Si vous avez besoin de quoi que ce soit, vous hésitez pas…

Il était effectivement bel homme. Un brun, élancé, dont le regard velouté m’a effleurée, à plusieurs reprises, sans vraiment s’attarder sur moi. Dont il n’allait pas être désagréable du tout d’éveiller le désir. Comment au juste ? Je n’avais que l’embarras du choix. Je pouvais très bien ne rien lui montrer du tout. Chou blanc. Il en serait quitte pour caresser ses espoirs déçus. Ou bien alors lui montrer un peu. Juste un peu. Le rendre fou de l’envie d’en voir davantage. En vain. Une autre fois peut-être. Un autre jour. Je reviendrais. Ou bien encore lui offrir plus. Beaucoup plus. Mais pas tout. Qu’il lui reste quelque chose à espérer. La dernière solution enfin…

Quand il s’est levé, qu’il a pris la direction de sa chambre, je ne m’étais pas encore décidée. Je ne suis pas montée tout de suite. Je suis allée, plus d’une demi-heure durant, profiter au-dehors de la douceur du soir.
Et puis, après, une fois en haut, j’ai encore longtemps tourné, viré, virevolté avant de m’engouffrer dans la salle de bains où j’ai passé un temps infini.
Je me suis décidée d’un coup. Et c’est nue que j’en suis sortie. Entièrement nue que je suis venue m’asseoir devant le miroir. Que j’ai jeté un châle sur mes épaules. Que je lui ai laissé mes seins. Je les ai enduits de crème, doucement massés. Longtemps. En me fixant droit dans les yeux.
Et puis je me suis levée, lentement. Je lui ai tourné le dos. Et je lui ai offert le spectacle de mes fesses cramoisies.

jeudi 25 avril 2019

Les fessées de Blanche (25)


Il a attendu qu’ils se soient engagés dans l’allée forestière, juste après le carrefour du tremble.
– C’est fait, Mademoiselle.
– Qu’est-ce qui est fait, Sylvain ?
Elle le sait. Évidemment qu’elle le sait. Mais elle demande malgré tout.
– Qu’est-ce qui est fait ?
– Edmond, le vétérinaire, il ne devrait plus revenir. Il ne reviendra plus.
– Merci, Sylvain.
Ils s’enfoncent sous les hêtres.
– Madame ne regrette pas trop ?
Elle fait signe que non. De la tête. Non.
– Et maintenant ?
Elle lève sur lui un long regard interrogateur.
– Monsieur Pierre ne satisfait pas Madame. Il s’en faut de beaucoup.
Elle baisse les yeux, fixe quelque chose au loin, très loin, devant elle.
– Et Madame a des besoins. De gros besoins. Qu’il lui faut impérativement satisfaire.
Elle ne proteste pas. Elle continue à contempler les lointains.
– Avec, de préférence, de fringants jeunes gens, pleins de sève et de vigueur.
Une branche basse lui cingle le visage. Des gouttes lui ruissellent dans le cou.
– Seulement, que Madame songe à l’épouvantable situation dans laquelle elle se trouverait si, d’aventure, il revenait aux oreilles de monsieur Pierre qu’elle a un amant ou, pire, qu’elle les collectionne.
Elle frissonne. C’est une éventualité à laquelle elle ne veut pas songer. Qu’elle ne veut même pas envisager.
Il poursuit, imperturbable.
– Ce n’est malheureusement pas exclu. Parce que les gens parlent. Parce qu’ils se surveillent les uns les autres. Parce qu’ils se délectent du moindre ragot. De la moindre rumeur. Et parce qu’ils se réjouissent de voir leur prochain traîné dans la boue. Surtout si ce prochain est une femme.
Il saisit les rênes de Flamboyant. La force à s’arrêter.
– Je conjure Mademoiselle de ne pas se mettre en danger.
Il cherche ses yeux. Elle finit par les lui donner.
– Si je puis me permettre…
Il hésite. Se décide.
– J’ai fouetté Mademoiselle.
Un tremblement la parcourt toute.
– Et, pour autant que j’aie pu en juger, elle y a pris du plaisir. Beaucoup de plaisir. Presque autant que dans les bras de Gontran. Ou ceux d’Edmond.
– Non. Davantage.
Cela lui échappe. Cela lui a échappé. Elle rougit.
Il la prend dans son regard. Il l’y garde.
– Je sais.
Il lâche ses rênes. Ils font demi-tour.

Ils sont dans la grange. Il ne dit rien. Elle ne dit rien.
Elle se déshabille. Tout. Elle enlève tout.
Elle s’agenouille. Et elle attend. La cravache siffle, s’abat. Sur son dos. Sur ses fesses. Sur ses cuisses. La zèbre, la mord, la brûle.
Elle se tend vers elle. Elle s’offre à elle. Elle lui ouvre ses jambes. Qu’elle puisse s’y engouffrer.
Et son plaisir monte. Son plaisir surgit, la submerge.
Elle le proclame. Sans la moindre pudeur.

Elle se relève.
– Merci, Sylvain.
Elle n’aura plus besoin de Gontran, d’Edmond ou de qui que ce soit d’autre.

FIN


lundi 22 avril 2019

Défilé militaire



Tableau d’Horace de Callias

Il avait fière allure, ce défilé sur lequel je braquais mes jumelles. Il avait vraiment fière allure. Musique. Chevaux. Soldats marchant au pas dans des uniformes impeccables auxquels ne manquait pas le moindre bouton de guêtres. Et Dieu sait s’il y en avait des soldats ! Parce que quantité de régiments avaient envoyé une délégation. Les hussards. Le génie. La légion. Les chasseurs alpins. D’autres encore. Tant d’autres…

Je l’ai débusquée par hasard. En relevant machinalement mes jumelles sur la façade d’en face, de l’autre côté de la rue. Une femme. Au cinquième étage. Une femme, dissimulée, entièrement nue, dans les replis de ses rideaux de mousseline dont elle relevait légèrement le bord, d’une main, pour ne rien perdre du spectacle. L’autre était refermée sur une éponge de bain. Sans doute s’était-elle précipitée, toutes affaires cessantes, hors de sa salle d’eau, lorsqu’elle les avait entendus approcher. Elle était, à l’évidence, tout entière absorbée dans sa contemplation. Plus rien d’autre ne revêtait pour elle d’importance. Tellement peu d’importance que plus les minutes s’égrenaient et plus le rideau se soulevait. Et plus elle m’offrait, sans en avoir vraisemblablement conscience, une vue imprenable sur ses charmes. Sur son regard embrumé. Sur ses seins menus. Sur son encoche joliment ombrée.

Elle a lâché l’éponge. Qui est tombée. Qu’elle n’a pas ramassée. Elle s’est effleurée de sa main en bas. A renoncé. Manifestement à regret. Elle s’est passé, à plusieurs reprises, la langue sur les lèvres. A nerveusement rejeté la tête en arrière. Et puis sa main est revenue en bas, sur son encoche, s’y est un peu attardée, y a esquissé deux ou trois mouvements, s’est précipitamment retirée.

Les derniers soldats. Elle s’est penchée pour les voir. Jusqu’au bout. Elle a laissé retomber le rideau, s’est retournée. Dans le même mouvement. Et j’ai vu. J’ai eu le temps de voir. D’apercevoir brièvement, trop brièvement, deux fesses incandescentes qui venaient manifestement d’être récemment gratifiées d’une fessée pour le moins énergique.

Voilà. C’était fini. Pour elle comme pour moi. Fini ? Je me suis bien juré que non.

(à suivre)

samedi 20 avril 2019

Les fantasmes de Lucie (48)


Tableaux de Heinrich Lossow

J’adore le récit que fait, dans ses Mémoires, S.G. Longchamp, le serviteur de Madame du Châtelet, du bain de sa maîtresse auquel il lui a été donné de contribuer.
« Quelques jours après, au moment où elle était dans son bain, elle sonna ; je m’empressai d’accourir dans sa chambre ; ma sœur, occupée ailleurs, ne s’y trouvait point alors. Mme de Châtelet me dit de prendre une bouilloire qui était devant le feu, et de lui verser de l’eau dans son bain, parce qu’il se refroidissait. En m’approchant, je vis qu’elle était nue, et qu’on n’avait point mis d’essence dans le bain, car l’eau en était parfaitement claire et limpide. Madame écartait les jambes afin que je versasse plus commodément et sans lui faire mal l’eau bouillante que j’apportais. En commençant cette besogne, ma vue tomba sur ce que je ne cherchais pas à voir ; honteux et détournant la tête autant qu’il m’était possible, ma main vacillait et versait l’eau au hasard : « Prenez donc garde, me dit-elle brusquement d’une voix forte, vous allez me brûler. » Force me fut d’avoir l’œil à mon ouvrage, et de l’y tenir, malgré moi, plus longtemps que je voulais. »

Moi aussi, dans mes rêveries érotiques, j’ai un serviteur fidèle, zélé et dévoué. Justin. Qui se mettrait en quatre pour moi. Qui m’obéit au doigt et à l’œil. Quoi que j’exige de lui. Et j’exige beaucoup. Sans me soucier le moins du monde du jugement qu’il peut porter sur mes faits et gestes. Il n’a pas à juger. Il n’a pas à penser. Il a à accourir, empressé et disponible, quand je le sonne. Dès que je le sonne.

Je suis dans ma chambre. À la sieste. J’ai un peu dormi. Je ne me réveille pas tout-à-fait. Je laisse mes images m’investir. Images d’hommes disponibles, admirablement bien montés, dont le désir se dresse vers moi. Pour qui rien d’autre n’a d’importance que de me posséder. Ils me supplient. Ils implorent. Ils me veulent. Tellement ! Je leur résiste. Je me refuse. Avec volupté.
J’ouvre mon livre. Je les y retrouve. Qui me veulent. Qui se traînent à mes genoux. Qui me jurent de n’être que moi. À tout jamais. De n’exister plus que pour moi.
Et je pars, devant leurs queues gorgées de sève ardente, à la conquête de moi-même. Je pétris mon bouton. Je les fais durcir. Je le torture avec délice. Je me parcours. Je me fouille. Je me pénètre.
Et je sonne.
– Madame m’a appelé ?
– Oui, Justin. Ouvrez la fenêtre !
– À vos ordres, Madame !
Il est derrière moi. Il prend tout son temps. Il revient à regret. S’arrête à ma hauteur.
– Y-a-t-il autre chose pour le service de Madame ?


Je me retourne. Je lui fais face. Nue, ouverte, une jambe repliée. Obscène, disponible, je lui fixe l’entre-jambes. Il bande. Il bande comme un perdu.
– Que signifie, Justin ?
– Que Madame me pardonne…
– Vous n’avez pas honte ?
Il baisse les yeux. Il baisse la tête. Contrit. Rougissant. Muet. Immobile.
– Sortez ! Sortez immédiatement ou je vous fais fouetter.
Son pas s’éloigne dans le couloir.
Et mon plaisir surgit.


jeudi 18 avril 2019

Les fessées de Blanche (24)


Trois jours qu’elle ne monte plus. Qu’elle fait faux bond à Sylvain. Trois jours qu’il selle Flamboyant pour rien. Qu’il l’attend en vain.
Et il attendra encore. Elle n’ira plus. Elle ne veut plus le voir. Plus croiser son regard. Il a été odieux avec elle. Il a utilisé des mots, mais des mots ! Il s’est comporté d’une façon absolument inqualifiable…
Et pas toi peut-être ?
Non ! Si ! Oui, mais moi…
Toi, tu as joui comme une forcenée sous ses coups. Tu l’as hurlé à tue-tête, ton plaisir. Il n’a pas été dupe, qu’est-ce que tu t’imagines ? Et tu voudrais que…
Ce n’est pas une raison.
Ah, non ?
Tu m’agaces, tiens ! Qu’est-ce que tu peux m’agacer !

– Sylvain…
– Oui, Mademoiselle ?
– Il est venu ces jours-ci quand je n’étais pas là ?
– Qui donc ?
Elle s’impatiente.
– Mais Edmond ! Le vétérinaire.
– Non, Mademoiselle.
– Ah…
Sa gorge se noue.
Elle se tait. Il se tait. Ils chevauchent. Longtemps.
Elle soupire. Soupire encore.
– Je voudrais dire à Madame…
– Oui, Sylvain ?
– Il reviendra sans doute.
Elle serre les rênes plus fort. Il reviendra.
– Mais il ne serait pas forcément dans l’intérêt de Madame de donner suite.
Elle fronce les sourcils.
– J’ai pris mes renseignements. Ce monsieur multiplie les conquêtes. Et se vante un peu partout d’avoir un tableau de chasse étoffé. Tant en qualité qu’en quantité.
– Ce ne sont peut-être que ragots. Il s’en dit tant ici.
– Je puis assurer à Madame que non. Et que si elle ne veut pas que revienne aux oreilles de monsieur…
Elle coupe court.
Merci, Sylvain. J’en prends bonne note.
Et éperonne Flamboyant.

Il la laisse chevaucher quelques instants devant lui. À bonne distance.
Et puis il la rattrape.
– S’il revient…
– Je lui signifierai qu’il n’ait plus à le faire.
– Il sait se montrer extrêmement persuasif quand il veut…
Il hésite.
– Et Mademoiselle est d’une nature ardente. Alors sans doute vaudrait-il mieux…
Elle le foudroie du regard.
– Que quoi ?
– Je ne veux que le bien de Mademoiselle.
Elle se radoucit.
– Je sais, Sylvain, je sais.
Il la connaît si bien.
– S’il revient, vous le renverrez. Vous ne le laisserez pas m’approcher. Sous aucun prétexte.
Il sourit. Il est satisfait.
– Comme Mademoiselle voudra…

lundi 15 avril 2019

La honte



Tableau de Jean Béraud (Café Gloppe)

Je ne sais jamais à l’avance quand ce sera. Il peut ne s’écouler que deux jours. Ou une semaine. Ou un mois. Ou davantage. C’est totalement imprévisible.
Mais ça finit toujours par arriver.
– Une petite fessée, ça te dirait ?
Si ça me dit !
Et je me précipite. Je parcours au plus vite les cinq cents kilomètres qui me séparent d’elle.

Le temps de m’installer et…
– Viens !
On sort. On erre par les rues. Longtemps. On longe des cafés. Devant chacun d’eux un délicieux sentiment d’appréhension m’étreint. Qui grandit au fur et à mesure que se prolonge notre promenade. Qui se fait, peu à peu, grisante angoisse.
Elle se décide d’un coup.
– Ici !
On entre. On s’installe à une petite table à l’écart. Pas trop. Et on parle. De choses et d’autres. Tout en passant discrètement les autres consommateurs en revue.
Elle hausse la voix. D’un coup. Sans que rien le laisse présager.
– Je t’avais prévenue, Alice. Je t’avais pas prévenue ?
Les conversations, autour de nous, s’arrêtent.
– Mais si, mais…
Tous les regards convergent dans notre direction.
– Eh bien alors !
Je rougis. Je baisse la tête.
Elle est furieuse. Hors d’elle.
– J’en ai assez. Plus qu’assez. Par-dessus la tête. Comment faut te le dire ? Hein ? Comment ? Oh, mais cette fois, ça suffit. Ça suffit vraiment. Je vais t’en mettre du plomb dans la cervelle, moi, ma petite ! Je vais t’en mettre, tu vas voir ! Une gamine… Une vraie gamine… Une bonne fessée… C’est tout ce que tu mérites. Et tu vas l’avoir ! Je peux te dire que tu vas l’avoir… Et que tu vas t’en souvenir…
Elle se lève.
– T’as compris ? Eh bien alors ! Qu’est-ce que t’attends ? Viens ! Dépêche-toi !
Je me dépêche, oui. Je la suis. Laminée par la honte. Le visage en feu. Peu s’en faut que, dans ma précipitation, je ne fasse tomber ma chaise. Derrière nous, on s’esclaffe bruyamment. Quelqu’un un homme, demande : « Tu crois qu’elle va vraiment s’en prendre une ? » « Ça m’en a tout l’air, oui. Elle plaisantait pas, la bonne femme, on aurait dit. » Il y a encore des rires. Des mots que je ne comprends pas. Et des rires. Tant de rires.

– Tu as aimé ?
Sans me regarder.
– Beaucoup, oui.
– Tu mouilles ? Eh bien, réponds !
– Je mouille.
– Tu vas être punie pour ça !

Je suis punie. Aussitôt. À peine rentrées.
– Déshabille-toi ! À poil !
J’obéis. Elle me regarde faire, un petit sourire aux lèvres.
– Et à genoux !
Elle cingle, méthodiquement, au martinet, en espaçant ses coups de façon totalement aléatoire. Je me crispe en les attendant. En les appréhendant. En les espérant. C’est long. C’est interminable. Mais c’est bon. C’est tellement bon.
Je tombe sur les avant-bras, croupe tendue, offerte. Elle sait que, quand c’est comme ça, je ne suis plus loin. Elle précipite le rythme des coups. Elle les rend plus durs, plus incisifs. Et je jouis. Je déferle. Intensément.
– Merci. Oh, merci.

– Tu te rhabilles ? Qu’on y aille…
– Qu’on aille où ?
– Ben, au café de tout-à-l’heure…
– Tu vas pas…
– Y faire allusion à la punition que je viens de te donner ? Bien sûr que si !
– Mais…
– Tu vas avoir honte ? Évidemment que tu vas avoir honte. Je vais tout faire pour. Et tu vas adorer. Non ?
Je baisse la tête.
– Si !

samedi 13 avril 2019

Les fantasmes de Lucie (47)



Dessin de Georges Topfer

Ce couvent de la femme masquée* qui, soit dit en passant, n’est toujours pas vendu, me fascine littéralement. Je m’y rends souvent. J’en fais le tour. Je m’imprègne d’un climat. D’une atmosphère. C’est paisible. C’est serein. C’est encore habité par les générations de pensionnaires et de religieuses qui s’y sont succédé. On en ressent encore physiquement la présence.

Je suis avec elles. Parmi elles. J’ai mené, deux ans durant, une vie tellement tapageuse, collectionnant allègrement les amants, provoquant scandale sur scandale, duel sur duel, que mon mari a fini, en désespoir de cause, par m’expédier au couvent.
– Pour vous y faire oublier, Madame, et y calmer quelque peu vos ardeurs.

Calmer mes ardeurs ? Oui, ben ça, c’est pas gagné. Il me faut ma dose. Quotidienne. Et, à défaut de mâles fougueux et bien montés, je me débrouille avec les moyens du bord. Mes doigts. Le manche de ma brosse à cheveux. Et un morceau de pied de chaise bien arrondi, bien poli avec lequel j’ai fini par me lier d’une profonde amitié.
La Mère Supérieure m’avait pourtant mise, dès mon arrivée, en garde.
– Vous êtes ici pour expier vos fautes, ma fille, et pour vous guérir de vos très mauvaises habitudes.
S’en était suivi tout un discours sur la sensualité qui, si on ne l’étouffe dans l’œuf, vous conduit tout droit en enfer.
Son baratin lénifiant, je m’en fiche et contrefiche. J’ai des besoins. Je les satisfais. Et j’y vais de bon cœur. Point barre.
Tellement de bon de cœur que je laisse systématiquement échapper plaintes et gémissements. Je les étouffe de mon mieux dans l’oreiller.
Pas suffisamment sans doute. Parce qu’un matin elles surgissent dans ma cellule. Elles sont deux. Elles la retournent de fond en comble. Et finissent par découvrir, dissimulé sous mon matelas, le fidèle compagnon de mes nuits solitaires.
– Et ça ? Qu’est-ce que c’est que ça ?
Ça ? Ben…
– On va t’en faire passer l’envie, ma petite !
Elles m’empoignent. Elles me dénudent.
J’ai beau protester, supplier, jurer mes grands dieux que je ne recommencerai pas, elles n’en tiennent aucun compte. Elles m’obligent à me pencher en avant. Il y en a une qui me maintient. Solidement. Tandis que l’autre me cingle. À tout va. Ça mord. Ça brûle. Mais c’est bon. C’est tellement bon ! Je crie grâce. Elle n’en tient aucun compte. Les coups redoublent. Elle tape plus vite. Plus fort. J’en étais sûre.
Elle cesse.
– On te laisse réfléchir.
La porte de ma cellule claque. Elles m’y enferment à double tour.
Et je me donne un plaisir fou. Aussitôt. À même le sol de terre battue.

jeudi 11 avril 2019

Les fessées de Blanche (23)


Mais qu’il parle à la fin ! Qu’il parle ! N’importe quoi. Qu’il la traîne dans la boue ! Qu’il la mette plus bas que terre. Mais qu’il dise quelque chose. Tout plutôt que cet insupportable silence réprobateur.
Mais non ! Il chevauche à ses côtés. Sans un mot. Sans jamais se tourner vers elle.
– Sylvain…
– Mademoiselle ?
Il ne la regarde toujours pas.
Elle explose.
– Mais dites quelque chose enfin !
Il hausse les épaules.
– Je n’ai pas à juger des faits et gestes de Mademoiselle.
Il marque un long temps d’arrêt.
– Si elle estime devoir, en toute conscience, s’offrir au premier venu…
– Ce n’est pas le premier venu…
– Madame joue sur les mots.
– Mais pas du tout enfin !
– Que Madame me pardonne, mais il a suffi à ce vétérinaire de claquer des doigts pour qu’elle s’allonge aussitôt dans le foin et qu’elle lui ouvre ses cuisses.
Elle rougit sous l’affront. Mais elle fait profil bas.
– Je sais, Sylvain. Je sais. Je m’en veux tellement. Si vous saviez !
Il se montre intraitable.
– Ce qui n’empêchera pas Madame de recommencer.
– Mais non, Sylvain, je vous assure…
D’un ton mal convaincu.
Il esquisse un imperceptible sourire.
– Non, la seule chose que Madame comprenne…
Son cœur s’accélère.
Il les fait attendre, les mots. Il les fait venir de très loin. De très très loin.
– C’est une bonne fouettée.
Il se tourne vers elle. Il la regarde cette fois. Il la fixe. Droit dans les yeux.
Elle baisse les siens.
– Sans doute suis-je, moi aussi, quelque peu fautif. De ne pas m’être montré suffisamment sévère à son égard. De l’avoir ménagée. J’aurais dû cingler plus longtemps. Et plus fort.
Elle frémit.
– J’aurais dû trouver les mots. Ceux qui font mouchent. Qui mortifient. Qui font passer à tout jamais l’envie de recommencer.
Elle frissonne de tout son être.
Les mots, oui. Les mots. Oh, oui !
Son regard se fait dur. Rapace.
– Mais il n’est pas trop tard. Il n’est jamais trop tard.
Et c’est, soudain, humide entre ses cuisses.

Il ramène les chevaux à l’écurie.
– Attendez-moi là !
Dans la grange.
D’un ton qui ne souffre pas de réplique.
Elle l’entend à côté. Il prend tout son temps.
Il revient enfin.
– Dévêtez-vous ! Et tout ! Vous enlevez tout.
Elle se détourne pour le faire.
Il exige.
– Face à moi.
Elle obéit. Elle est nue devant lui. Entièrement nue. Bras ballants. Immobile.
Et elle a honte. Tellement honte…

lundi 8 avril 2019

Un défi

Tableau de Charles-Lucien Léandre

– Pas chiche !
– Oh, alors là !
– On le fait ?
– On le fait.

* *
*

– Depuis le temps…
– Oh, pas tant que ça quand même…
On a pris l’apéro, tous les six, sur la terrasse. On est passés à table. Où on a parlé de tout. De rien. De sport. De nuisances sonores. Des huiles essentielles.
Vers la fin du repas, j’ai amené, l’air de rien, la conversation sur les vacances naturistes.
Ils en pensaient quoi, eux ?
Oui, ben Clotilde, elle, un truc pareil, c’était complètement hors de question.
– Te foutre à poil comme ça, devant des gens que tu connais ni d’Ève ni d’Adam. Ah, non alors ! Merci bien.
Kevin était de son avis.
– Oui. Et puis en plus, j’aurais bien trop peur de bander moi là-dedans.
Jérémy n’était pas d’accord avec lui.
– Mais alors là, pas du tout ! Parce que j’y suis allé, moi, une fois. Ça n’a absolument rien d’érotique. Tout le monde est à poil. Oui, bon, ben voilà !
Léa, elle ne savait pas trop.
– Parce qu’en théorie, dans la tête, comme ça, oui, pourquoi pas ? Mais si je devais vraiment le faire, je sais pas si j’en serais capable.
Ils ont voulu savoir…
– Et toi, Pauline, tu dis rien ?
– Oh, moi, c’est vraiment pas le genre de truc qui me poserait problème.
– Tu dis ça, mais…
Elle s’est faite péremptoire.
– La nudité ne m’a jamais posé le moindre problème. Quel que soit le contexte…
Ils se sont récriés.
– Ben, voyons !
– Non, mais à qui t’espères faire croire ça ?
– Traitez-moi de menteuse tant que vous y êtes…
– Mais non, mais…
Et ça a argumenté tant et plus. Elle, à soutenir mordicus qu’elle en avait strictement rien à foutre qu’on la voie à poil. N’importe où. N’importe quand. Et eux, qu’elle leur en poussait une grosse.
Finalement, de guerre lasse, Kevin l’a mise au défi.
– Eh ben, vas-y !
– Quoi ?
– Mets-toi à poil…
– Ici ? Maintenant ?
– Ben oui ! Puisque, soi-disant, ça te pose pas de problème.
– Parce que tu crois que j’en suis pas capable ?
– Prouve-le !
Elle n’a fait ni une ni deux. Elle s’est désapée. Complètement. Elle leur a fait face.
– Et là ? Pas calmés ?

* *
*

– Leurs têtes ! Non, mais leurs têtes ! T’as vu ça ?
– Ah, t’as aimé, hein !
– Un peu que j’ai aimé ! Et je suis pas la seule. Comment il me dévorait des yeux, Jérémie ! Je suis sûr qu’il devait bander d’une force !
– Même Léa, c’était loin de lui déplaire… Ça se voyait comme le nez au milieu de la figure.
– J’en connais deux qui vont y attraper tout-à-l’heure. Et en beauté !
– Il y a pas qu’elles qui vont y attraper…
– J’espère bien…
– Et ça va même être pas plus tard que tout de suite.
– Tu sais ce qu’il faudrait un jour ? C’est qu’on recommence, avec d’autres ce coup-là, pas les mêmes. Et juste avant tu m’auras mis la fessée. Comme on fait des fois.
– Tu es démoniaque…
– Et t’as encore rien vu… Fais-moi jouir en attendant 

samedi 6 avril 2019

Les fantasmes de Lucie (46)


Dessin de Georges Reinhardt Weguelin

Nos troupes ont résisté. Tant qu’elles ont pu. En vain. Mais les Romains étaient dix fois plus nombreux. Cent fois mieux entraînés. Mille fois mieux équipés. Ils nous ont vaincus
Ils nous ont rassemblés, nous, les survivants, dans la grande salle de réception du palais.
Le centurion veut savoir.
– Laquelle d’entre vous est la reine ?
Je ne réponds pas. Personne ne répond.
Il hurle.
– Qui ?
On reste muets.
– Très bien. Vous allez tous être mis à mort.
Je m’avance.
– C’est moi.
– Tu as en effet le port bien altier. À genoux, Ta Majesté !
Je m’exécute, la mort dans l’âme.
Il s’esclaffe.
– C’est une position qui te va à ravir.
M’oblige, du bout du doigt, à relever la tête. Plonge ses yeux dans les miens.
– Tu seras mon esclave. Quant à tes compatriotes, qui nous ont si insolemment résisté, ils vont être châtiés comme il se doit. Et exécutés.
Je me prosterne à ses pieds. Je lui entoure les genoux de mes bras.
– Grâce, romain ! Pitié ! Épargne-les ! Prends ma vie, mais épargne-les !
Il fait longuement attendre sa réponse.
– À une condition…
Tout ce qu’il voudra.
Il fait un signe. On lui tend un fouet. Il m’en passe l’extrémité autour du cou. Et il tire, m’obligeant à incliner la tête devant lui.
– Tu vas être fouettée, Ta Majesté. Devant eux. Par dix d’entre eux. Que j’aurai préalablement désignés. Et qui, eux, seront épargnés. Si j’estime qu’ils ont mis suffisamment de cœur à l’ouvrage.
Il me fait relever.
– Dévêts-toi, esclave !
Leur vie est entre mes mains. Je ne proteste pas. J’obéis.
– Tout !
Et je suis nue devant lui.
– Tourne-toi ! Allez !
Et je suis nue devant mes sujets.
Dont tous les regards sont fixés sur moi. Qu’il m’oblige à regarder.
– Mains sur la tête !
Il fait durer. Un temps infini.
Et puis il les choisit. Un à un. Lentement. En prenant tout son temps. Huit hommes. Deux femmes. Sur lesquels j’ai régné. Et qui vont me fouetter. À tour de bras. Parce que leur vie en dépend.
Je suis à nouveau à genoux.
Le premier coup m’arrache un cri.
Je ferme les yeux.

jeudi 4 avril 2019

Les fessées de Blanche (22)


Elle est folle.
Une dévoyée. Une dépravée.
Il la couvre de baisers. Il se fait pressant. Sa main se faufile dans son corsage.
Il ne faut pas. Non, il ne faut pas.
Elle le laisse pourtant faire. Sans se défendre. Parce que…
Parce que c’est toi qui l’as amené ici. C’est toi !
Il s’empare de l’un de ses seins. Il le fait surgir. Il en agace la pointe. Il la fait se dresser.
Il ne faut pas. Qu’est-ce qu’il va penser d’elle ?
– Edmond…
L’autre sein. Ils sont nus tous les deux sous ses doigts. Il les redessine. Il les apprend. Son membre est dur contre sa cuisse. Son souffle est tiède dans son cou.
– Blanche…
Ses mains sont sur ses épaules. Sous la robe. Qu’elle font glisser. Qui tombe à terre. Ses mains sur ses fesses. Contre ses fesses. À même la peau. Entre ses fesses. Dont elles suivent le sillon.
Il ne faut pas…
Son membre à nu palpite contre son ventre.
Il ne faut pas.
Ils basculent dans le foin.
Ses lèvres. Sur ses yeux. Sur sa bouche. Sur ses seins.
Et il est en elle. Et elle referme ses bras sur lui. Autour de lui. Elle lance son bassin à la rencontre du sien. Vite. De plus en plus vite.
Son plaisir surgit. Se déploie. Et elle le clame à pleins poumons.

Elle repose contre lui, sa tête nichée au creux de son épaule. Elle lui caresse le torse, du bout du pouce.
– Tu vas partir, toi ?
Il ne partira pas, non. Il est soutien de famille.
– Et puis un vétérinaire… On a besoin de moi ici. À l’arrière.
Ils se taisent. De l’autre côté de la paroi, un cheval s’ébroue.
Elle ramène sa robe sur elle.
– J’ai un peu froid.
Il se lève.
– Je dois y aller.
– Tu reviendras ?
Il se rhabille.
– Bien sûr que je reviendrai… Bien sûr…
– Quand ?
– Bientôt. Demain. Après-demain. Dès que je pourrai…
Un dernier baiser, rapide, sur ses lèvres.

Elle le raccompagne jusqu’à son attelage.
Il fouette. Il s’éloigne. Elle le suit des yeux. Jusqu’à ce qu’il ait disparu, là-bas, au bout du chemin.
Il reviendra. Bien sûr qu’il reviendra. Il l’a dit.

Là où ils se sont aimés, il y a un grand creux dans le foin. Elle s’y laisse tomber, les mains sous la nuque.
Sa semence chemine en elle. Redescend. Elle serre les cuisses, de toutes ses forces, pour la garder.
À côté, dans l’écurie, elle entend Sylvain s’activer.

lundi 1 avril 2019

Amélie (2)



Il en a reparlé, ma cousine. Il en a reparlé ! Et pas seulement… Il me l’a fait. D’hier soir ça date. C’est encore tout chaud. Si j’ose dire… C’est même brûlant. Bon, mais reprenons ! Dans l’ordre. Donc, il est revenu sur le sujet. Mercredi, tandis qu’on s’octroyait une petite pause. Sur un ton détaché. Sans avoir l’air d’y toucher.
– Et pour ce qu’on disait l’autre jour ?
 J’ai joué les innocentes.
– Ce qu’on disait l’autre jour ?
– Oui ? Ça vous pose un problème ?
J’ai fait mine de brusquement réaliser.
Ah ! Oh, non ! Je savais pas en fait. J’y avais pas vraiment réfléchi.
– Si ce qui vous inquiète, c’est qu’on puisse vous reconnaître dans cette situation un peu… particulière, je vous rassure tout de suite : on ne vous verra que de dos.
De dos. Oui. Bien sûr. Évidemment. De dos.
– Alors?
Il attendait une réponse.
– J’aurai mal ?
Je ne pouvais pas ne pas poser la question. Au moins pour la forme.
– Un peu. Faut être honnête. Mais ce sera tout-à-fait supportable.
Et le tableau ? Il représenterait quoi exactement le tableau ? Il s’est brusquement animé. Le tableau ? Il s’est mis à marcher de long en large. Le tableau ? J’y serais nue, les fesses rougies, devant une toile posée sur un chevalet. Une toile qui représenterait une femme allongée, nue elle aussi. L’œuvre serait presque terminée. Il s’en faudrait de peu. De très très peu. Dans ma main, il y aurait un pinceau. Un pinceau dont j’avais l’intention de me servir pour me venger en sabotant l’œuvre en cours.
– Me venger ? Mais de quoi ?
 – Ah, ça ! Du peintre ? Du modèle ? Des deux ? À chacun de se faire sa petite idée. Et d’imaginer les raisons pour lesquelles vous aurez été gratifiée auparavant d’une aussi jolie fessée.
J’ai voulu y aller de ma petite interprétation.
– C’est parce que…
Il m’a tout de suite arrêtée.
– Ah, non ! Non ! Ne m’influencez pas ! Ni dans un sens ni dans un autre. Tout doit rester ouvert.
En tout cas, elle me plaisait bien son idée. Beaucoup.
Il s’est jeté sur l’occasion.
– Eh bien, allez alors ! Il faut battre le fer tant qu’il est chaud.

Et, dans la minute qui a suivi, je me suis retrouvée couchée en travers de ses genoux, les fesses à l'air. Il s’est montré un peu hésitant au début. Juste quelques tapes, du bout des doigts.
– Ça va ?
Mais oui, ça allait, oui. Il a tapé un peu plus fort.
– Et là ?
– Aussi. Je suis pas en sucre, vous savez !
Et alors c’est tombé. Tout son cœur il y a mis. En grandes claques qui me rebondissaient tant et plus sur le derrière. C’était douloureux. De plus en plus douloureux. D’abord, parce qu’il y prenait goût, je le sentais bien et que, du coup, il tapait de plus en plus fort, mais aussi parce qu’à force de retomber là où c’était déjà tombé, où c’était déjà tout rouge, tout tuméfié et tout brûlant, c’était complètement insupportable. Insupportable, mais, en même temps, extraordinairement agréable. C'était fabuleux ce que je ressentais. Je hurlais, je pleurais, je me débattais et pourtant je priais, au-dedans de moi-même, pour qu’il continue, pour qu’il s’arrête pas. Ce qu’il a malheureusement pourtant fini par faire. Il a longuement contemplé son œuvre.
– Génial ! C’est exactement le rouge incandescent que je voulais obtenir.
Il m’a lancé une dernière petite claque sur la fesse droite.
– En tout cas, vous avez été très courageuse.

Il a passé la journée à me peindre comme un forcené. Et moi, j’étais aux anges. Parce que ce que tu éprouves, après, c’est presque encore mieux que ce que tu ressens pendant. T’as toute une chaleur qui se répand partout, qui irradie dans tous les sens. C’est comme si elle était rentrée tout au-dedans de toi, ta fessée. Tu es bien, tellement bien. Et pleine de gratitude pour celui à qui tu dois cet état de béatitude.

Le soir venu, il a fait la moue. Je me suis inquiétée.
– Quelque chose qui ne va pas ?
– Si ! Si ! Seulement demain matin déjà votre peau aura travaillé. Les couleurs n’y seront plus les mêmes.
– Et il faudra recommencer ?
Je l’ai dit sur un tel ton enthousiaste qu’il a éclaté de rire.
– L’expérience ne vous a pas déplu, on dirait.
J’ai soutenu son regard, mais un peu rougi quand même.

Et donc, ma cousine, je vais te laisser là. Parce que je l’entends bouger à côté. Et qu’il va m’en remettre une. Par-dessus celle d’hier. J’ai hâte. Non, mais si tu savais comment j’ai hâte !

Je t’embrasse.

AMÉLIE