samedi 30 juin 2018

Les fantasmes de Lucie (6)

A spanking good time


Mon voisin a une copine. Ça m’en a du moins tout l’air. Une brune, maquillée à outrance, la trentaine largement sonnée. Une fois ou deux par semaine, elle passe l’après-midi avec lui. Chez lui. Elle ne reste jamais la nuit. Parce qu’elle est mariée ? Qu’est-ce qu’il y a au juste entre eux ? Il faut que j’en aie le cœur net. Parce que c’est mon voisin. Ça me donne des droits sur lui. Il est à moi avant d’être à qui que ce soit d’autre.

Elle est là avec lui. Je l’ai vue entrer. Sans sonner. Comme chez elle. Je ferme les yeux. Je les imagine. Il la pousse vers le lit. Leurs lèvres se joignent. Je ferme les yeux. Je les vois. Et c’est insupportable. Il faut que j’arrête. Il faut que j’empêche. À n’importe quel prix. Et je suis là-bas. Je m’approche de la chambre. À pas de loup. Je colle mon oreille à la porte. Des chuchotements. Des murmures. Je m’accroupis pour être à hauteur du trou de la serrure. Et patatras ! Je fais dégringoler, en me penchant, dans un bruit d’enfer, une potiche en étain posée en équilibre sur un guéridon.
La porte s’est brusquement ouverte.
– Encore vous ! Non, mais c’est pas vrai, ça ! Sophie, je te présente Lucie, ma voisine.
– Ah, oui ! Celle que t’as trouvée, un jour, couchée dans ton lit.
– Elle-même.
– Et à qui t’as flanqué une retentissante fessée. Ce qui n’a pas suffi apparemment. Moi, je serais de toi…
– Oui ?
– Je lui ferais une petite piqûre de rappel.
– Ça semble indispensable en effet.
Il m’attrape par le coude, fermement.
– Venez par là…
– Non, attendez…
– Que quoi ?
– Non, rien.
– Vous avez mérité, avouez !
Je baisse les yeux. Je ne réponds pas.
Il m’entraîne jusqu’au milieu de la chambre. Il déboutonne ma robe. Dans le dos, un bouton après l’autre. Il la fait glisser. Elle me tombe sur les chevilles.
– Venez là !
Il s’assied. Il me fait basculer en travers de ses genoux. Il me plaque une main dans le dos et, de l’autre, il tape. Par-dessus la culotte. Pas très fort au début. Elle, elle a passé ses deux bras autour de son torse. Elle se serre fort contre lui. Et elle regarde.
– Plus fort, mon chéri. Tu la caresses, là…
Alors ça tombe. Ça tombe à plein régime. Et elle, elle sourit. Elle ne cesse pas de sourire.
– Qu’est-ce qu’elle gigote !
Il accélère encore la cadence. Elle a sa tempe posée contre la sienne. Dans son pantalon, sa queue est dure, dressée toute droite contre ma hanche.
– Tu devrais la déculotter, mon chéri ! Qu’elle ait bien honte…
Il le fait. Résolument.
– Mets-lui bien rouge, hein ! Écarlate.
Il tape. Il tape. Il tape encore. Sans se soucier le moins du monde de mes gémissements et de mes plaintes. Sa queue palpite contre moi. Il va jouir. Il jouit. Elle se rend compte.
– Oh, ben non ! Non.
Elle se détache de lui. Elle est furieuse.
C’est le moment que je préfère. Le moment où, dans mon lit, je déferle, noyée de plaisir, les yeux plongés dans ses yeux à elle.

jeudi 28 juin 2018

Quinze ans après (12)


Camille était là, devant la fontaine.
– J’ai pris le train d’avant. Pour être sûre d’être à l’heure.
– Tu sais quoi ? Ben, j’en ai rien à foutre. Du moment que j’ai pas à t’attendre…
Elle s’est tue. A trottiné silencieusement à mes côtés.
– C’est quoi le programme aujourd’hui ? À ton avis ?
– Je sais pas.
– Mais si, tu sais ! Tu sais même très bien. C’est quoi ?
– Une fessée.
– Bien sûr, une fessée. Une bonne fessée cul nu, bien claquante, que je vais te flanquer devant un ami à moi.
– Ah, mais…
– Ça te pose un problème ?
Elle s’est aussitôt reprise.
– Oh, non, non ! Pas du tout, non.
– J’aime mieux ça… C’est quelqu’un de très sympathique, tu verras. Et un fin connaisseur. Il va beaucoup apprécier.

– Déshabille-toi ! Ben, oui, qu’il te trouve à poil en arrivant. On gagnera du temps.
Elle n’a pas protesté. Elle l’a fait.
– Mais c’est que t’es pas mal foutue du tout !
J’ai avancé la main. Effleuré un sein. Je me suis emparée du téton. Qui a aussitôt gonflé sous mes doigts.
– Et tu es très réactive. En plus !
On a frappé.
– Ah, c’est lui ! Eh, ben, entre !
Je lui ai laissé tout le temps de se régaler les yeux. Et puis…
Bon, allez ! Action… On lui fait à quoi ? Qu’est-ce tu préfères ? Martinet ? Ceinture ? Paddle ?
– Oh, à la main ! Pour la première fois, à la main, c’est mieux !
Je me suis assise. Je lui ai fait signe. Elle est venue docilement s’allonger en travers de mes genoux.
Une main qui traîne un peu au hasard de la fesse. Qui se l’approprie. La pinçote. La fait se crisper. Et qui s’abat d’un coup, sans crier gare.

Je l’ai aidée à se relever.
– Attends ! Fais voir ! Oui. Oui. Je suis pas mécontente. J’ai bien travaillé. Toute la surface est prise. Et le rouge que j’ai obtenu est absolument délicieux. Qu’est-ce t’en penses, toi, Coxan ?
– C’est très réussi, oui. Et puis la jeune fille a si joliment donné de la voix pendant le déroulement des opérations. C’était très émouvant.
– Bon, mais allez ! Tu te rhabilles, toi ! Et vous venez. Il y a une surprise. Pour tous les deux.

– Allez-y ! Entrez !
– Mais c’est…
– Un magasin de fringues, oui. Tu seras pas dépaysée comme ça.
Une femme d’une soixantaine d’années s’est avancée à notre rencontre.
– Madame Gonsalier ?
– Elle-même…
– Voici la jeune fille dont je vous ai parlé au téléphone.
– Ah ! Très bien. Venez dans mon bureau. On sera plus tranquilles.
Elle en a soigneusement refermé la porte.
– C’est donc elle !
– Oui. Elle a de l’expérience dans le secteur du vêtement. À Angoulême. Mais, surtout, elle est extrêmement docile. Montre à la dame, Camille ! Allez ! Baisse ta culotte ! Et tourne-toi !
– Madame Gonsalier lui a posé sur les fesses un long regard gourmand.
– Et… elle est disponible ?
– Elle le sera très vite. Lundi matin, elle donne son préavis.

lundi 25 juin 2018

La kermesse



– Ça s’est sûrement passé quand ce pauvre abbé Demichel a fait son malaise, que tout le monde s’est précipité autour de lui. Sûrement.
– Jamais il aurait fallu laisser la caisse sans surveillance.
– En même temps, dans la panique, on peut comprendre…
– J’ai vraiment cru qu’il était mort, moi, ce pauvre curé.
– Moi aussi ! Le voir étendu comme ça, inanimé, en plein soleil.
– N’empêche que s’emparer de la recette d’une kermesse qui devait revenir, dans sa totalité, aux pauvres de la paroisse, faut vraiment n’avoir aucune moralité.
– Ah, ça ! Mais aujourd’hui, on peut s’attendre à tout.
– Qui a bien pu faire une chose pareille ? Qui ?
– Je le sais, moi !
– Toi, Alice ?
– Oui. J’étais un peu à l’écart, là-bas, au pied du grand chêne. J’ai tout vu.
– C’est qui ? Léopold, hein, c’est lui ? Il a déjà si souvent été pris la main dans le sac.
– Non.
– Le type de la ferme des Aussanges, alors ! Il vient d’arriver. Personne le connaît ici. Et puis il a l’air tellement bizarre.
– Non plus, non.
– Ben c’est qui alors, dis ! Nous fais pas languir.
– L’une de nous cinq. Les bénévoles.
– L’une de… Non, mais c’est pas possible.
Mathilde baisse la tête.
– C’est toi ? Non, mais c’est pas vrai que c’est toi !
Tous les regards convergent vers elle.
– Je rendrai tout.
Rose hausse furieusement les épaules.
– Encore heureux… Manquerait plus que ça. Viens là !
Elle obéit.
– Penche-toi !
En travers de ses genoux.
– Trousse-toi !
Elle hésite. Quelques fractions de seconde. Mais elle le fait.
– Plus haut !
Plus haut. Allez, plus haut !
Ses fesses d’albâtre pointent résolument vers nous.
– J’ai honte !
D’une toute petite voix.
– Ah, ça, tu peux ! Il y a de quoi !
Alice me passe un bras par-dessus l’épaule, se serre contre moi.
– Ça te plaît ?
– Chut ! Tais-toi ! Regarde !
Rose brandit le battoir à tapis. Mathilde tourne la tête vers elle.
– Tu vas me…
– Flanquer une bonne fessée, oui ! C’est mérité, avoue, non ?
– Oui. Si !
– J’aime te l’entendre dire.
Et elle l’abat résolument. À pleines fesses.
Mathilde sursaute, pousse un cri.
Rose poursuit sur sa lancée. À grands coups espacés, réguliers. Que Mathilde accompagne, chaque fois, d’une sorte de ahanement essoufflé et d’une poussée en rythme du derrière. Haut. Très haut. De plus en plus haut. Ce qui ne laisse rien ignorer des ciselures rosées de ses replis intimes. Je pose une main sur le genou d’Alice. Qui se serre contre moi.
Rose s’interrompt.
– On s’en tient là ?
On proteste. Toutes les trois. Avec véhémence.
– Oh, non ! Non. Continue !
Et elle reprend de plus belle.

samedi 23 juin 2018

Les fantasmes de Lucie (5)


Anders Zorn: Badande

C’est décidément une véritable mine, ce bouquin. Je ne le quitte plus. Je m’y replonge, aussitôt rentrée. Dix fois, ving fois, je reviens sur mes pas.
Et je retourne « là-bas. »

Les trente coups de fouet nous ont été infligés. On nous fait redescendre de l’estrade, une à une, pantelantes. Et il nous faut à nouveau fendre la foule. Les pagnes sont restés là-haut et nos derrières meurtris, zébrés, sont généreusement offerts aux regards d’hommes et de femmes qui s’attardent complaisamment dessus. Qui s’en repaissent. Qui savourent. Et qui commentent à qui mieux mieux.
– Vous êtes toutes belles comme ça, dites donc !
– Oh, oui, faudrait vous le faire plus souvent…
– En attendant, qu’est-ce qu’elles ont braillé !
– Ah, elles feront moins les fières maintenant…
Le retour est interminable. Entre deux haies de visages rigolards et parfois hargneux. Aussitôt qu’ils nous ont ramenées à notre point de départ, dans la petite salle, les archers nous abandonnent à notre sort.
– Vous pouvez rentrer chez vous.
Certaines se rhabillent en toute hâte. D’autres éclatent en sanglots. D’autres encore se laissent tomber sur les bancs où elles restent longuement prostrées. La salle se vide malgré tout peu à peu. Je ne bouge pas. J’attends. J’attends qu’à l’extérieur la foule se soit dispersée. Margaux aussi. On n’est plus que toutes les deux. On se regarde et on éclate d’un immense fou rire.
– Ah, ça fait du bien !
– Comment ça me brûle n’empêche ! Pas toi ?
– Ah, ben ça !
– Ce qu’il faudrait, maintenant, c’est se le tremper dans un bon baquet d’eau froide.
Aussitôt dit, aussitôt fait.
– On va chez moi ? C’est à deux pas.
Chez elle. C’est moi qui me le plonge la première dedans.
– Houlà ! Ça soulage ! C’est fou ce que ça soulage.
– Tu veux que je te frotte le dos ? Ça te détendra.
Elle n’attend pas la réponse. Sa main est douce. Légère.
– Tu aimes ?
Si j’aime !
– C’est agréable. Très.
– Ça t’a plu de les voir toutes nues les autres ?
Je hausse les épaules.
– Il y en a deux ou trois qui sont vraiment pas mal. Qui gagnent à se déshabiller.
– Oui, hein ! Mais pas autant que toi…
Sa main descend, m’effleure le haut des fesses. Je ne proteste pas. Je la laisse faire.
– En douce qu’on n’est pas près de les revoir d’un moment, nos maris.
– Et ça va te manquer ?
Elle soutient mon regard.
– Franchement, non.
Elle s’enhardit. S’aventure dans le sillon entre les fesses.
Je me relève. Je tends ma croupe vers elle. Elle en longe les zébrures du bout du doigt,y pose ses lèvres. Je m’entrouvre. Elle se fait inquisitrice. Exploratrice.
Je l’arrête.
– Attends ! Tu voudrais pas, avant ?
– Avant ? Quoi donc ?
– M’en remettre une.
Elle sourit.
– S’il y a que ça pour te faire plaisir… Tu la veux comment ? Au fouet ou à la main ?
– Choisis, toi !
– Alors ce sera le fouet. Mais j’y mets une condition. C’est que tu me rendes la pareille aussitôt après.
– Marché conclu.
Et je lui offre mon derrière.

jeudi 21 juin 2018

Quinze ans après (11)


Eugénie a jeté son sac sur la banquette, s’est laissée tomber à côté.
– Alors ? Ton amoureux ? Toujours pas revenu ?
– Il rentre ce soir.
– Ah, oui ? Sûr ?
– Sûr…
Elle a fait la grimace.
– Tant mieux pour toi… Mais on va moins se voir, du coup, toutes les deux.
– Il y a pas de raison.
– Oh, ben si, il y en a une, si ! Les mecs, ça veut qu’on reste avec. Pas qu’on passe le plus clair de son temps avec les copines.
– Lui, il est pas comme ça. Pas du tout.
– Oui, oh, alors ça, je demande à voir.
– Tu dis ça parce que tu le connais pas. Quand tu le connaîtras…
– Tu me le présenteras ?
– Sans problème. Quand tu veux. Demain, si tu veux.

Elle s’était mise sur son trente-et-un. Petite robe légère affriolante à mi-cuisses. Qui laissait voir les bretelles dentelées du soutien-gorge et découvrait la naissance des seins. Et elle sortait, à l’évidence, de chez le coiffeur. Son maquillage était tout particulièrement soigné. Le grand jeu, quoi !
J’ai réprimé un sourire. Et j’ai fait les présentations.
– Eugénie… Coxan…
– Enchanté…
– J’ai beaucoup entendu parler de vous.
Elle lui a tendu la main.
– On se fait la bise plutôt, non ?
– Volontiers.
Elle a tout aussitôt pris la direction des opérations. Et de la conversation.
– Alors ? Comment c’est, le Canada ?
Elle l’a religieusement écouté, le coude appuyé sur la table, le menton dans la main, ses yeux plantés dans les siens.
– C’est passionnant ! Et ça consiste en quoi, au juste, votre boulot ?
Il s’est lancé dans de longues explications.
Qu’elle a trouvées tout aussi exaltantes.
Je me suis brusquement levée.
– Wouah ! Et mon rendez-vous chez le dentiste. Je l’avais complètement oublié, celui-là.
Je me suis penché sur Coxan, lui ai effleuré les lèvres.
– À tout-à-l’heure, amour…

– Bon, ben je viens au rapport… Alors ?
– Elle m’a carrément dragué, oui… En y mettant quand même un peu les formes. Mais c’était vraiment du rentre-dedans.
– Ce qui t’a pas vraiment déplu, avoue !
– Je crois pas que ce soit le genre de choses qui déplaise à grand monde, si ?
– Et donc, tu vas coucher avec ?
– Passage obligé, dans son cas, vers la fessée.
– Et mon rôle à moi, là-dedans, c’est cocue de service ?
– Ça te dérange ?
– Pourquoi veux-tu que ça me dérange ? On n’est pas ensemble, toi et moi. Et donc, la suite du programme, c’est ?
– Je la mets dans mon lit, tu nous surprends et tu lui en colles une…
– Dont je peux te dire qu’elle va se souvenir…

lundi 18 juin 2018

La fessée de Gisèle

Dessine de Louis Malteste


Chaque fois qu’elle descendait à Châteauroux, Gisèle venait me rendre visite. Et, chaque fois, elle s’efforçait de me convaincre.
– Tu vas périr d’ennui dans ce trou perdu. Viens avec moi ! Monte à Paris !
Et elle me dépeignait, sous les couleurs les plus riantes, la vie là-bas. Ce n’était que fêtes perpétuelles, repas pantagruéliques. Quant aux jeunes gens… Ah, les jeunes gens ! Polis, courtois, raffinés, cultivés, ils n’avaient strictement rien à voir avec le tout-venant de Châteauroux.
– C’est le jour et la nuit. Allez, viens ! Qu’est-ce que tu risques ? Elle t’embauchera, Mademoiselle Guibert. Elle me l’a promis.
– Et j’habiterai où ?
– Avec moi. Au-dessus de l’atelier. Ces crises de fou rire qu’on va se prendre !

J’ai fini par me laisser tenter. Et je n’ai pas eu à le regretter. La couture n’avait pas de secrets pour moi et, à l’atelier, je me suis tout de suite sentie dans mon élément. Avec les quatre autres filles, je n’avais pas le moindre problème. Quant à Mademoiselle Guibert, elle se félicitait haut et fort de la qualité de mon travail.
– Et tu avances vite. En plus !

La chambre de Gisèle n’était pas très spacieuse, mais le lit, lui, si ! Et on disposait, juste à côté, d’une sorte de grand débarras dans lequel on pouvait entreposer nos affaires à notre gré. Tant et si bien qu’on ne se sentait pas vraiment à l’étroit.
On s’endormait tard. De plus en plus tard. On avait toujours une foule de choses à se raconter. Et puis il y avait les deux messieurs bien mis. Qui passaient presque tous les jours à l’atelier, sous un prétexte ou sous un autre, pour nous voir et nous parler. Qui voulaient absolument nous inviter à aller au spectacle avec eux. Ils nous faisaient trop rire.
– Ils ont au moins quarante ans, attends !
– Et qu’est-ce qu’ils sont laids ! En plus !

On était justement en train de se moquer d’eux, un soir, quand Mademoiselle Guibert a brusquement fait irruption dans la chambre.
– Non, mais vous savez l’heure qu’il est ? Ça va pas de faire un raffût pareil ! Alors maintenant vous vous couchez ! Et vous me laissez dormir.
Ce qui n’a absolument pas impressionné Gisèle. Elle a continué à rire et à parler fort comme si de rien n’était. Encore plus fort, même.
– Chut ! Elle va revenir…
– Et alors ? On s’en moque. On fait bien ce qu’on veut.
Ce qui a eu pour effet quasi immédiat de la faire réapparaître.
– Alors toi, ma petite, tu cherches… Eh bien, tu vas trouver !
Elle l’a attrapée par un bras, tirée dans le couloir.
– Oh, non, Mam’zelle, s’il vous plaît…
– T’étais prévenue. T’étais pas prévenue ?
– Si, mais…
– Eh bien alors !
Elle s’est assise sur le canapé d’angle, l’a courbée en travers de ses genoux, lui a tout relevé.
– Oh, Mam’zelle !
Et lui a mis une fessée. Cul nu.
J’étais stupéfaite. Et terrifiée. Est-ce qu’après ça allait être mon tour ? J’étais d’autant plus effrayée que ça avait l’air de faire très mal. Elle se contorsionnait dans tous les sens, Gisèle. Elle possait des tas de petits cris. « Hou… hou…hou… » Et ça les lui mettait rouges, les fesses, mais rouges !
– Là ! Et maintenant tu vas te coucher et tu la fermes. Quant à toi, Alice, tâche d’en prendre de la graine. Parce que si j’ai à me plaindre de toi, pour quoi que ce soit, tu subiras le même sort. C’est compris ?
C’étais compris, oui.
On a filé sans demander notre reste.

Dans le lit, Gisèle m’a attrapé la main.
– Elle sont brûlantes. Tiens, touche ! Mais si, touche !
Elle l’étaient.
– Comment elle a tapé fort ! Bien plus que les autres fois. Mais ça, c’est parce que t’étais là.
Elle s’est voluptueusement étirée.
– En attendant, comment ça fait du bien !
– Du bien !
– Enfin, non ! Du mal, oui ! Mais du mal qui fait tellement du bien… T’en as jamais eu, hein ?
– Jamais.
– Tu peux pas comprendre alors ! Mais tu verras ! Tu verras. Quand on en a eu reçu une, après, on peut plus jamais s’en passer.

samedi 16 juin 2018

Les fantasmes de Lucie (4)

Dessin de G.Topfer


Je repose mon livre. Je ferme les yeux. Et je laisse les images de ces temps d’alors, de ces temps d’avant, lentement m’envahir.
Il fait nuit. On frappe. À coups répétés. Insistants.
– Ouvrez !
On ne nous en laisse pas le temps. On enfonce la porte.
Quatre archers surgissent dans notre chambre à coucher.
– Messire, vous êtes en état d’arrestation.
Il y en a deux qui emmènent mon mari. Sans autre forme de procès.
Les deux autres se livrent à une fouille en règle de notre habitation. Ils ouvrent les coffres, retournent les matelas, arrachent, par endroits, les lattes du plancher. Finissent, en désespoir de cause, par renoncer.
– Suivez-nous, Dame Lucie…
J’ai eu le temps, tandis qu’ils procédaient à leur exploration, de revêtir une tenue décente. Je les suis. Au-dehors, le jour commence à poindre.

On est huit. Huit femmes rassemblées dans un petit local attenant au tribunal. Huit femmes qui se connaissent toutes. Huit femmes dont les maris ont tous été arrêtés dans la nuit. Qui s’inquiètent pour eux.
– Ils vont pas leur faire de cadeau, ça, c’est sûr !
Qui imaginent le pire. Sans oser vraiment le formuler.
De temps à autre, il y en a une qui fond en larmes.
Elle s’inquiètent aussi pour elles-mêmes.
– Et nous ? Ils vont nous faire quoi, à nous ?
Laissent également libre cours à leur colère.
– Qu’est-ce que nos bonshommes avaient besoin de nous entraîner dans des histoires pareilles aussi !

Les heures passent. On attend. On attend toujours. L’angoisse est palpable.
Il y en a une qui hurle.
– Qu’on en finisse ! Mais qu’on en finisse ! Une bonne fois pour toutes. J’en peux plus, moi !
L’énervement est à son comble.
– Ferme-la ! Mais ferme-la !
Surgit enfin, aux alentours de midi, un émissaire du prévôt accompagné d’archers. Il nous lit une interminable sentence truffée de termes juridiques, de références à d’innombrables décrets et de toutes sortes de considérations diverses. Il en vient enfin au fait.
– Attendu qu’il est patent que lesdites dames susnommées étaient au courant des activités coupables de leurs maris, qu’elles ont accueilli les réunions séditieuses sous leurs toits respectifs et qu’elles les ont couvertes en ne les dénonçant pas, nous, prêvot, les condamnons, en vertu des pouvoirs qui nous sont conférés, à recevoir nues, en place publique, trente coups de fouet chacune.
Il s’éclipse. Et claque l’ordre des archers.
– Déshabillez-vous !
S’ensuivent plusieurs minutes de totale confusion. Elles parlent toutes à la fois. Elles protestent. Elles supplient. Elles gémissent. Elles se tordent les mains. Elles s’arrachent les cheveux.
Je reste en retrait, silencieuse. Le fouet, je connais. Je me le donne de temps à autre en secret. Pour mon plus grand ravissement. En rêvant parfois qu’on me l’administre publiquement. Alors… alors c’est une véritable aubaine pour moi. Mais personne, absolument personne, ne doit savoir. Il faut que je parvienne à donner le change.
Les archers s’impatientent.
– Assez perdu de temps ! On se déshabille. Et on se dépêche.
Elles se jettent à leurs pieds. Elles leur entourent les genoux de leurs bras. Leur promettent de l’or. Autant d’or qu’ils voudront.
J’explose.
– Un peu de dignité, que diable ! De toute façon, on n’a pas le choix. Il faudra en passer par là. Alors autant faire contre mauvaise fortune bon cœur.
Et j’entreprends de me déshabiller. Tournées vers moi, elles me regardent faire, silencieuses. Marguerite, la femme du boulanger, s’y résout aussi. Et puis Catherine. Et puis Berthe. Et puis les autres. Toutes les autres. On est nues. Toutes nues. Toutes les huit.

Le capitaine des archers nous distribue des fouets. Chacune le sien.
– Vous devrez les garder à la main. Jusque là-bas. Où ils se lieront d’une étroite amitié avec vos gentils petits derrières.
Et des sortes de pagnes faits d’un tissu extrêmement léger.
– Mais ne rêvez pas ! Ils vous seront retirés au moment opportun.
Et il éclate d’un rire gras.
On nous pousse dehors. Dans la rue.
– Allez, en route !
Notre petite troupe s’ébranle cahin caha. L’air est doux. Les pagnes glissent. Il faut les retenir avec la main. Celle qui est libre. Qui ne tient pas le fouet. Des hommes, des femmes sont massés sur notre passage. Ils rient. Ils commentent. Ils se moquent. Ils nous insultent. On s’efforce, tant bien que mal, de ne pas croiser leurs regards. Mais c’est plus fort que moi : je relève parfois la tête.

La grand’place est noire de monde. Un long murmure de réprobation nous accueille. Et puis des cris. Des huées. On nous fait fendre la foule. Grimper sur une estrade. Il y a du monde partout. Devant. Derrière. À droite. À gauche.
– À genoux !
En ligne. Des gardes prennent place à nos côtés.
– Les fouets !
On les leur tend.
– Mains sur la tête !
Nos pagnes tombent. Il se fait un impressionnant silence. Tous les regards sont rivés à nous.
– Exécution !
Les fouets claquent, s’abattent. Tous en chœur. Je me cabre. Je gémis. Mes compagnes aussi. Les coups sont réguliers, méthodiques et de plus en plus appuyés. Elles crient. Elles hurlent. Moi aussi. À pleins poumons. On ne sait pas. On ne peut pas savoir si c’est de douleur. Ou de plaisir. Pour moi, c’est les deux.

Je rouvre les yeux. Je suis bien. Je reprends mes esprits. Et mon livre.

jeudi 14 juin 2018

Quinze ans après (10)

Andrea a voulu savoir. Aussitôt. À peine la porte franchie.
– Tu m’as pas dit. Tu lui as fait écouter à ton ami ?
– C’est tout récent. De cet après-midi ça date.
– Et alors ? Ça lui a plu ?
– Tu parles si ça lui a plu ! Six fois il a fallu que je lui fasse réécouter. « Qu’est-ce qu’elle chante bien ! » il arrêtait pas de répéter. « Non, mais qu’est-ce qu’elle chante bien ! Ah, tu devais y aller de bon cœur ! »
– Ah, pour ça ! Près d’une semaine il m’a brûlé, le joufflu.
– Plains-toi !
– Oh, non ! Non, je me plains pas. Au contraire. Il a rien dit d’autre ?
– Il m’a demandé s’il pourrait pas en avoir une copie. Histoire de t’entendre pousser la chansonnette tout à loisir.
– Oh, si il veut.
– Et il m’a posé des tas de questions sur toi. Ce que tu faisais comme boulot. Comment t’étais physiquement. Si t’en avais déjà reçu avant des fessées. D’où ça t’était venu, cette envie. Et quand je t’en donnais, c’était couchée sur mes genoux ? Ou bien debout, appuyée contre ma cuisse ? Autrement ? Toujours à la main ? Ou bien aussi au martinet ? Ou au paddle ? Ou à la badine ? Et comment tu réagissais ? Tu gigotais ? Tu battais des jambes ? Mais alors je te raconte pas quand je lui ai dit que tu montrais tout. Et plus que tout. Généreusement. Il m’a suppliée. Il pourrait pas voir ? Assister ? Au moins une fois. Juste une fois.
– Et t’as répondu quoi ?
– Que c’était pas à moi de décider. Mais que ça m’étonnerait que t’acceptes.
– Mais c’est qui, ce type, finalement ?
– Je t’ai dit. Un ami à moi.
– Vieux ?
– À peu près mon âge.
– Tu le connais d’où ?
– C’est l’ex d’une copine. Qui lui en a fait voir de toutes les couleurs. Quand elle l’a eu plaqué, on est restés en contact. Et puis voilà.
– Ça se passerait comment ?
– Comme tu voudrais… Il peut rester caché si tu préfères.
– Oh, non, non…
– Ou bien rester derrière toi et faire tout un tas de réflexions sur ce qu’il voit et ce qu’il entend.
– C’est pas que ça me déplairait, mais ça craint quand même…
– Une autre solution encore, ce serait qu’il se mette devant toi. Que tu puisses croiser son regard…
– Oh, la honte !
– T’aimerais pas ?
– Si ! Peut-être. Je sais pas. Ça dépend.
– De quoi ?
– De lui. De comment il est. De comment je le sens.
– Suffirait que tu le rencontres avant…
– Je voudrais pas me sentir obligée…
– Avec lui, il y a pas de risque ! C’est vraiment pas le genre de type à te forcer la main. Bon, alors, qu’est-ce que je fais ? Je nous organise une petite bouffe ?
– Si tu veux, oui. Mais pas chez toi. Au resto. Que je me sente pas coincée si le courant passe vraiment pas…

Coxan était ravi.
– T’es un amour. Un véritable amour. Ce sera quand ?
– Très bientôt. Et j’ai une idée en plus !
– Ah, oui ? Quoi ?
– Surprise ! Mais tu seras pas déçu, tu verras…

lundi 11 juin 2018

Au puits

Guillaume Seignac. By the Well

– Ah, vous êtes là ! Vous auriez vu ça, mes commères ! Non, mais vous auriez vu ça !
– Et quoi donc, mon bon Célestin ? Que tu m’en as l’air tout retourné.
– Non. Oui. C’est-à-dire que j’étais au lavoir…
– Et qu’est-ce tu pouvais bien fabriquer au lavoir ?
– Quand on a vu arriver tranquillement la Goton avec son panier de linge.
– Elle a osé ! C’est pas vrai qu’elle a osé !
– Eh, si ! Comme si de rien n’était. Elle s’est installée, agenouillée, et elle s’est mise derechef à battre furieusement ses frusques. Alors la Guillemette : « Vous voyez à quoi ça ressemble une femme de cocu ? » Et elle : C’est pas à toi que ça risque d’arriver. Ou bien alors faudrait t’enfouir la tête sous une botte de paille. » « Oui, mais moi, au moins, tout le pays me passe pas dessus. » Et les autres de renchérir. « Il peut pas y avoir un homme à l’horizon sans qu’elle se jette à sa tête. » « Et quand on dit la tête… » « Ah, ça, pour avoir le feu au cul, elle a le feu au cul ! » « On pourrait peut-être le lui refroidir ? » Et Guillemette l’a poussée dans le bac, d’une grande bourrade dans le dos. Elle s’y est étalée de tout son long. Et tout le monde a éclaté de rire à la voir suffoquer, cracher et essayer d’escalader le rebord pour en sortir. Sauf qu’avec ses vêtements trempés, elle y arrivait pas. Quatre fois, cinq fois elle est retombée dedans. Et à chaque fois, autour, ça rigolait. De plus en plus fort. Même que personne l’aide, elle a quand même réussi à force et, à peine dehors, toute dégoulinante, elle s’est mise à hurler qu’elle se vengerait, que leurs maris, elle les aurait. Tous. Les uns après les autres. Même ceux de celles qu’en avait pas encore. Et Guillemette : « Ah, ouais, tu crois ça ? » Les autres aussi : « Ben, essaie pour voir ! » « Je vais pas essayer, non, je vais réussir. » « On lui en fait passer l’envie ? » Et elles sont tombées à quatre ou cinq dessus comme des furies. « Une bonne fessée, ça va te remettre les idées en place, tu vas voir » Elles l’ont troussée. Elle, elle s’est mise à hurler comme cochon qu’on égorge. « Lâchez-moi ! Mais lâchez-moi enfin ! » Elles n’en avaient pas du tout l’intention. Au contraire. Elles l’ont complètement dépiautée. Toute nue. Comme au premier jour.
– Et toi, bien sûr, tu t’es copieusement rincé l’œil.
– Moi ? Oh, non, non. Je regardais un loriot qui chantait en haut d’un chêne.
– Tu nous en diras tant !
– N’empêche que des fesses comme ça ! Toutes blanches. Bien en chair. Elles peuvent que te donner envie. Surtout que son petit réduit d’amour…
– Oui, bon, ben ça va !
– Il bâillait tout grand, vu comment elle s’agitait tant et plus dans tous les sens. Tous les replis rosés on lui voyait, bien comme il faut, parce qu’elle en a pas beaucoup du poil et qu’il est tout fin.
– Oui, bon, ben ça va, on te dit !
– Pour finir, elle a eu beau gigoter tout ce qu’elle savait, elles ont quand même réussi à la tourner sur le ventre. Il y en a deux qui lui ont tenu les jambes, deux qui lui ont tenu les bras – qu’elle puisse plus bouger – et deux qui se sont mis à lui tambouriner le joufflu, une fesse chacune. « Et là, maintenant, tu vas encore courir après les hommes qui sont pas à toi ? » Elle a dit que oui. Que personne l’empêcherait. « Ah, tu le prends comme ça ! » Et elles ont attrapé deux battoirs à linge. Elles les lui ont abattus de toutes leurs forces sur le cul. Et alors là comment elle a braillé. Mais, par contre, après, elle a plus eu envie du tout de tourner autour des maris des autres. Elle a promis. Elle a juré. Tout ce qu’elles ont voulu. Alors elles l’ont laissée ! Et elle est partie. À toute allure. Sans se rhabiller. En serrant ses frusques trempées contre sa poitrine. Ce qui laissait voir ses fesses du coup. Elle les avait rouges, mais rouges !
– Tu parles qu’elle devait les avoir rouges !
– En tout cas, moi, je la plains pas. Elle l’a pas volée, cette fessée.
– Peut-être que ça lui servira de leçon !
– Oui, oh, alors là ! Elle, ça la tient ! Dans trois jours elle y aura remis le nez.
– Au risque de s’en reprendre une autre.
– Oh, oui ! Oh, oui !
– Bon, Célestin, faudrait pas que t’ailles t’occuper de tes bêtes, là ?

samedi 9 juin 2018

Les fantasmes de Lucie (3)

Dessin de Gaston Smit


– Comment vous m’avez saboté ce dossier, Lucie ! Vous mériteriez que je vous flanque une bonne fessée, tiens ! Cul nu. Et devant tout le monde.
Elle l’a dit. Elle l’a VRAIMENT dit. Séverine. Ma chef. On était toutes les deux, toutes seules, à la machine à café. Et elle l’a dit. Avec un semi-sourire, mais elle l’a dit. Sur le ton de la plaisanterie, bien sûr, mais plaisante-t-on jamais complètement au hasard ?

J’y pense. J’y repense. J’arrête pas d’y repenser. Son ton. Et puis cet éclair métallique, dans ses yeux, quand elle l’a dit. Je suis sûre. Je suis sûre que, le soir, dans le secret de sa chambre à coucher, elle me convoque dans son bureau. Elle arbore cet air sévère qui te fait baisser les yeux et te sentir coupable. Irrémédiablement et immensément coupable.
– Fermez la porte !
J’obéis.
Elle me laisse un long moment debout, à danser d’un pied sur l’autre. Elle consulte son ordinateur. Elle m’ignore superbement. Et puis elle semble, d’un coup, découvrir ma présence.
– Ah, oui, Lucie !
Elle plisse les lèvres, lève les yeux au ciel.
– Lucie… Ah, vous n’êtes pas vraiment un cadeau, vous, hein !
Soupire.
– Si seulement vous consentiez à faire preuve d’un minimum de bonne volonté.
Je ne réponds pas. Je baisse les yeux.
– Mais non ! Apparemment, c’est beaucoup trop vous demander. Et j’en ai assez, figurez-vous, de devoir être sans arrêt derrière vous. À rectifier vos erreurs. À essayer d’obtenir que vous preniez enfin votre travail à cœur. Alors, puisque vous ne voulez pas comprendre, puisque vous nous y obligez, eh bien on va utiliser les grands moyens. Venez ! Elle me soulève ma robe, me la fait remonter le long du dos. Elle me descend ma culotte qui me tombe sur les chevilles. Et elle tape. Elle cingle. Méthodiquement. Consciencieusement. À grands coups réguliers.
Derrière, il y a des présences. Des voix. Celles des filles. De mes collègues. D’autres encore, qui me sont inconnues. Il y a aussi un homme. Peut-être deux. Des rires. Et des commentaires. Des commentaires à foison.
– Elle prend cher.
– Moi, je la plains pas. Ça lui rabaisse un peu son caquet.
– Faut dire qu’à force de la ramener, comme elle fait.
– Ce qu’il y a de sûr, c’est qu’elle va pas pouvoir s’asseoir d’un moment.
– En tout cas, qu’est-ce que ça lui met rouge !
Leurs voix s’estompent. Leurs rires se voilent. Tout ne me parvient plus que de très loin. Les coups se ouatent. La douleur se fait délices. Je me tends vers elle. Je lui offre voluptueusement mes fesses. Je perds pied.

Elle me rejoint à la machine à café, me pose amicalement la main sur le bras.
– Ça va ce matin ?
– Oh, oui, vous aussi ?
– Très bien, merci.
On se sourit. Décidément, je suis sûre. Certaine. Et je me lance…
– Hier soir…
– Oui ?
– Non. Rien.
Mais on s’est comprises. Je sais qu’on s’est comprises et qu’un jour sûrement… Pour de bon.

jeudi 7 juin 2018

Quinze ans après (9)

Je l’ai d’abord observée de loin. Une petite brune à l’air effacé. Qui faisait les cent pas devant la fontaine en regardant fébrilement sa montre.
Je l’ai fait attendre. Une bonne demi-heure. Et puis je me suis approchée.
– C’est toi, Camille ?
C’était elle, oui.
– Alors, viens !
Elle m’a docilement suivie.

Je l’ai entraînée jusqu’à Notre-Dame. Dont on a fait le tour. Sans échanger le moindre mot. Je l’ai ramenée au point de départ. Et j’ai recommencé. Quatre fois. Fontaine Saint-Michel ; Notre-Dame. Notre-Dame ; Fontaine Saint-Michel. Toujours sans lui adresser la parole. J’ai fini par m’asseoir à une terrasse de café. Elle a hésité, tiré une chaise.
– Qu’est-ce tu fais ?
– Ben…
– Quelqu’un t’a dit de t’asseoir ?
– Non.
Elle a précitamment remis la chaise en place.
– Tu seras punie pour ça.
Quelque chose de profondément intense a traversé son regard. Elle a baissé la tête.
– Eh ben, assieds-toi ! Tu vas pas rester plantée là…
Elle l’a fait. Du bout des fesses.
– T’as quel âge ?
– Dix-neuf ans.
– Et tu fais quoi ?
– Vendeuse.
– Dans quoi ?
– Les vêtements.
– C’est tout le temps qu’il faut t’arracher les mots de la bouche comme ça ?
– Vous m’intimidez.
– Elle est sévère avec toi, ta patronne ?
– Plutôt, oui. Elle laisse rien passer. À personne.
– Elle te donne des fessées?
– Oh, non ! Non !
– Mais t’en crèves d’envie.
Elle a marqué un long temps d’arrêt.
– J’y pense des fois. Je pense que je vis chez elle. Et que je fais tout ce qu’elle veut. Absolument tout. Et quand elle est pas satisfaite de moi, elle me punit. Ou même, parfois, elle me punit comme ça, pour rien. Juste parce qu’elle a envie. Mais ça n’arrivera pas en vrai.
– Pas avec elle, mais qui sait ?
Elle a soutenu mon regard.
Je me suis levée. Elle aussi. On s’est remis en marche.
– Tiens, tu le vois, le vieux monsieur, là, qu’arrive en face ? Eh bien tu vas lui dire…
– Lui dire quoi ?
– Que je t’emmène prendre une fessée.
Elle l’a fait. Elle l’a dit. À haute et intelligible voix.
– Monsieur ! Monsieur ! Je vais avoir une fessée. Elle va me la donner.
Il a hoché la tête, souri.
– Grand bien te fasse, ma chérie…
Et puis la femme à l’air revêche. Qui a haussé furieusement les épaules.
– Petite dinde, va !
Je l’ai ramenée à la fontaine.
– Là ! Et maintenant, tu rentres à Angoulême. Mais on se revoit le week-end prochain. Quelle chance tu as ! Tu vas pouvoir rêver là-dessus toute la semaine.

lundi 4 juin 2018

Cinq à sept

Dessin de Georges Topfer


– Qu’avons-nous fait, Léon ? Mais qu’avons-nous fait ?
– L’amour, très chère…
– Mon Dieu, mais c’est horrible.
– Ah, vous trouvez ?
– Non… Enfin, si ! Oui.
– Cela semblait pourtant, il y a quelques instants, vous paraître fort plaisant. C’est même vous qui, à deux reprises, êtes remontée à l’assaut.
– J’ai honte…
– Et de quoi donc, chère amie, je vous prie ?
– Je suis mariée.
– Qu’à cela ne tienne ! Moi aussi.
– Ce n’est pas la même chose.
– Vraiment ?
– Vraiment. Votre femme ne vous satisfait pas.
– Ah, parce que votre mari, lui, par contre…
– Est mon mari. Et je lui avais juré fidélité. S’il apprenait…
– Il n’apprendra pas.
– Oui, mais moi, je sais. Comment voulez-vous que je puisse désormais…
– Quoi donc ?
– Non, il faut que je rachète ma faute. D’une façon ou d’une autre, il faut que je la rachète.
– Je puis m’en charger.
– Comment cela ?
– En vous infligeant la sanction que vous estimez avoir méritée.
– Que faites-vous ?
– Vous le voyez, très chère. Je détache ma ceinture.
– Pour ? Vous n’allez tout de même pas me…
– Fouetter ? N’est-ce pas la punition la plus appropriée pour vous laver de la faute que vous avez commise ?
– Sans doute, mais…
– Mais ?
– Non, rien. Faites, Léon, faites ! Punissez-moi !

* *
*

– Là, ma chère… Voilà. Vous sentez-vous quelque peu rassérénée ?
– Oh, oui, mon ami, oui. Vous m’avez soulagée d’un grand poids. Je me sentais si coupable…
– Vous avez été fort courageuse. Parce que j’ai fait preuve, à votre égard, d’une grande sévérité.
– Il le fallait. Ma faute était d’une telle gravité…
– Vous vous rhabillez ?
– Oui. Je dois rentrer.
– Quand nous reverrons-nous ?
– Nous ne nous reverrons plus, Léon.
– Vous savez bien que si…
– Laissez-moi croire le contraire. Au moins quelque temps.

samedi 2 juin 2018

Les fantasmes de Lucie (2)


J’ai un voisin beau comme un dieu, mais alors là beau que c’est même pas croyable d’être beau comme ça. Du coup, c’est souvent, quand il est dans son jardin, que je me trouve, comme par hasard, dans le mien. On échange quelques mots par-dessus la haie. Des banalités. Sur le temps qu’il fait. Sur mes rhododendrons. Sur ses hortensias. Ça ne dure jamais bien longtemps. Il s’excuse. Il a à faire. Et il me plante là. Je ne compte pas pour lui. Je ne l’intéresse pas vraiment.

Mais moi, je l’emporte avec moi. J’emporte son sourire. J’emporte le grain de sa voix. J’emporte le velouté de son regard. Dans ma chambre. Je m’allonge et je ferme les yeux. Je me transporte chez lui. Dans sa maison. J’en explore chaque pièce avec curiosité. J’ouvre ses tiroirs. Je visite ses placards. J’entre dans sa vie. Je m’en empare. Avec volupté. Avec délectation. Je contemple longuement son lit. C’est là qu’il dort. C’est là que peut-être – sûrement – il se donne du plaisir. Souvent ? Sans doute. C’est un homme et les hommes… Je m’agenouille. J’enfouis ma tête dans son oreiller. Il est plein de senteurs. Son parfum. Son odeur. Enivrants. J’hésite un peu. Et puis je me déshabille. Résolument. Complètement. Je m’enfouis entre ses draps. Je me pénètre de lui. Mes doigts m’effleurent, insistent.
– Non, mais faut pas se gêner !
Je sursaute. Tout occupée de lui, je ne l’ai pas entendu arriver.
Je m’affole.
– Excusez-moi ! Je suis désolée… Je…
– On peut savoir ce que vous faites là ?
– Mais rien ! Rien du tout. D’ailleurs, je m’en vais.
Et je m’extirpe tant bien que mal de son lit.
– Vous vous en allez ! Ben, voyons !
Il se repaît tranquillement, tout à loisir, de ma nudité. Je me précipite en toute hâte sur mes vêtements. Je veux me rhabiller. Je… Il m’arrête.
– Pas si vite ! Parce que d’abord on a un petit compte à régler tous les deux.
Je feins l’étonnement.
– Un petit compte ? Comment ça, un petit compte ?
– Non, mais attendez ! Vous vous introduisez chez les gens. Il y a violation de domicile. Vous vous installez dans leur lit. Et vous espérez que je vais vous laisser repartir comme ça ? Tranquillement. Non, mais vous rêvez, là !
– Je le ferai plus…
– Vous le ferez plus, non ! Parce que je vais vous flanquer une fessée qui vous en fera passer définitivement l’envie.
Et, sans me laisser le temps de proférer le moindre mot, il me courbe en travers de sa jambe tendue et il me fesse. Généreusement. Ça tombe dru. Ça claque. Ça pique. Ça brûle. Mais je suis heureuse. Tellement. Parce que c’est lui. Ce sont ses mains à lui. Il tape. Il tape sans discontinuer. De plus en plus fort. De plus en plus vite. Sa respiration s’accélère. Est-ce qu’il aime me lanciner le derrière ? Bien sûr qu’il aime. Évidemment.
Il s’arrête tout soudain…
– Mais qu’est-ce que ?
Il me passe une main inquisitrice entre les cuisses.
– Mais… Mais… vous êtes trempée.
Oh, que oui, je suis trempée. Oui.
Il me pousse doucement vers le lit. Il m’y fait tomber. Mes bras se referment autour de lui. Je m’ouvre. Je m’ouvre en grand. Il se loge en moi. Il y palpite. Il s’y active. Il s’y répand. Je gémis mon plaisir dans son cou.

Quand j’en ai terminé, je sors. Aussitôt. Si la chance me sourit, il est là, dans son jardin. Je m’approche, toute pleine de lui, toute pleine de nous. Je lui parle. Je l’écoute. Il ne sait pas qu’il y a dix minutes, là, à côté, il me flanquait une monumentale fessée. Avant de me donner un plaisir inouï. Il ne sait pas. Je lui parle encore. Je l’écoute encore. Je le regarde. L’envie revient. Et j’y retourne.