jeudi 30 août 2018

Quinze ans après (21)


– C’est moi !
Eugénie.
– Je te dérange pas ?
– Pas du tout, non.
– J’en ai pas pour longtemps n’importe comment. Je t’ai juste apporté quelques vidéos.
Elle m’a tendu une clef USB.
– Ben, assieds-toi quand même !
– C’est des japonaises. Toute une série. De femmes mariées qui corrigent, en public, la maîtresse de leur mari. Qui lui foutent le cul à l’air et hop, ça dégringole.
– Ah, c’est ton truc, ça, hein !
– Non, mais comment elles en prennent pour leur grade, les filles. Ils ont beaucoup moins de complexes que nous, les Japonais, eux, là-dessus. Et puis alors ce qu’il y a aussi, c’est qu’ils mégotent pas sur les figurants. T’en as, chaque fois, toute une flopée. Et qui se contentent pas de faire nombre. Ils réagissent. Tu vois sur leur tronche ce que ça leur fait ce spectacle.
– Tu veux vraiment pas t’asseoir ?
– Si ! Oui. Et fais-moi un café, tiens, tant que tu y es ! N’empêche que qu’est-ce que j’aimerais que ça m’arrive à moi ! Pour de bon.
– Il doit bien y avoir moyen…
– Ben, c’est pas si simple en fait. D’abord parce qu’il y a Jérôme, mon mari. Et que, du coup, j’ai pas les coudées vraiment franches. C’est pas le genre de type à apprécier que je le trompe. Et puis même, à supposer que je parvienne à passer entre les mailles du filet, ça veut pas dire pour autant que sa réaction à la légitime de mon amant, ce serait de me flanquer une fessée déculottée dans la rue.
– Disons que c’est pas vraiment le cas le plus courant.
– Ce qu’il faudrait, en fait, c’est que je prenne les choses dans l’autre sens. Qu’avant de me jeter à la tête d’un mec, je sois sûre que ce qu’elle va faire sa bonne femme, c’est rameuter ses copines pour me tomber dessus.
– Oui, alors, Eugénie, je vais être très claire avec toi. Il est hors de question que tu t’approches de Coxan. près ou de loin.
– Quoi ! Non, mais attends ! Jamais, au grand jamais, il me viendrait une idée pareille enfin ! Tu es mon amie – ou c’est tout comme – et ça, à mes yeux, c’est sacré.
– Je n’en doute pas, mais mettre les points sur les i, ça peut pas faire de mal. Non ? Tu crois pas ?
– Tu te fais un film, là, complètement. Parce que ton Coxan, je l’ai vu une fois en tout et pour tout. Et encore ! En ta présence. Et puis tiens, si tu veux vraiment le fond de ma pensée, c’est vraiment pas le genre de type avec qui j’aurais envie qu’il se passe quoi que ce soit. Il me branche vraiment pas.
– Et c’est beaucoup mieux comme ça. Pour tout le monde.
– Quelle heure il est ? Oh là là, je me sauve. On m’attend. Regarde-les, les vidéos. Tu me diras…

– Allô ! Lisa ?
– Oui, Coxan. Qu’est-ce qui se passe ?
– Je viens quasiment de me faire violer.
– Eugénie, j’parie ! Qui n’a rien eu de plus pressé, en sortant de chez moi, que de se précipiter chez toi.
– Et qui m’a carrément sauté dessus.
– La bonne copine que voilà ! T’as pris ton pied au moins ?
– Elle, oui ! Et pas qu’un peu.
– Tu réponds pas à ma question.
– Quand une nana se pâme dans tes bras, ça ne peut pas ne pas te mettre dans tous tes états.
– Je vois…
– On fait quoi maintenant ? On passe à l’étape suivante ?
– Non. On va prendre notre temps. Tout notre temps. Que chacun y trouve son compte…

lundi 27 août 2018

Au potager


– Mademoiselle Lise ! Mais vous voilà de bien bonne heure ce matin !
– Il fait si beau, Basile !
– Oh, pour ça, oui, Mademoiselle ! Et c’est pas trop tôt… Avec toute cette pluie qui nous est tombée.
– Il y a plein de petites pousses, là. C’est quoi ?
– Des haricots. Qui sortent tout juste de terre.
– Je peux les piétiner ?
– Les piétiner ? Mademoiselle n’y pense pas !
– Si ! J’ai envie.
– Envie ? Mais…
– Tu me ferais quoi si je les piétinais ? Tu me mettrais une fessée ?
– Mademoiselle !
– Ben, quoi ! Elle lui en met bien Léonie* à Honorine, des fois.
– Léonie ? À Honorine ?
– Oui. Mais faut pas en parler. C’est un secret. À moi aussi, elle m’en a donné une un jour. Même que j’aie vingt-deux ans, elle me l’a fait quand même.
– À vous ?
– C’est normal quand on fait des bêtises, non, vous trouvez pas ?
– Non. Si ! Peut-être. Ça dépend.
– Ah, vous voyez ! Des bêtises comme d’écraser les haricots, par exemple. Les haricots et le reste.
– C’est beaucoup de travail de s’occuper du potager. Beaucoup de peine et de fatigue.
– Je sais bien, mon pauvre Basile. C’est bien pour ça que je mériterais, si je le faisais, non ?
– Sûrement un peu.
– Beaucoup tu veux dire, oui. T’en as déjà donné, toi, des fessées ?
– Quelquefois.
– C’est vrai ? Et tu tapes fort ?
– Encore assez.
– Et tu le mets tout nu le derrière ? Ben oui, forcément, c’est pas une une vraie fessée, sinon…
– Vous allez où, comme ça, Mademoiselle Lise ?
– Massacrer toutes ces plantations, là. J’ai trop envie…


* La demoiselle du château https://dunefesseelautre.blogspot.com/2018/04/la-demoiselle-du-chateau.html

samedi 25 août 2018

Les fantasmes de Lucie (14)


Dessin de Jim Black

Je ne me l’étais jamais fait en vrai. Enfin, si ! Un peu. Quelques claques, comme ça, pas trop fort, sur les fesses. En surface. Pour avoir le goût. Pour que ça me chauffe un peu. Que ça me mette dans l’ambiance. Pour qu’elles aient davantage de piment mes images. Que mes caresses surgissent sur un terrain complice. Ça me suffisait. Ça me comblait. Je ne ressentais pas vraiment le besoin d’autre chose. Seulement il y a eu Cordelia. Maintenant il y a Cordelia. Tous les jours, ou presque, on se donne du plaisir dans notre petit réduit. Et tous les jours, en me le faisant là-bas devant elle, mes yeux dans les siens, j’imagine qu’elle me fouette. Elle se montre impitoyable. Sourde à mes plaintes comme à mes supplications. Elle cingle comme une perdue. Et elle me laisse pantelante, ravagée, mais tellement heureuse.

À cinq heures, je ne la quitte pas vraiment. Je la ramène chez moi. Avec moi. Et je me déshabille pour elle devant le grand miroir de la salle de bains. Elle me prend sous son regard, m’oblige à baisser les yeux, me soulève le menton du bout du doigt. « T’as pas eu ton compte, hein ? » Non, je l’ai pas eu, non. « Eh bien, tu vas l’avoir. Et je peux te dire que tu vas t’en souvenir. » Oh, pour ça, oui ! Parce qu’elle tape. Parce que je tape. Parce qu’on tape. Au martinet. Ou au paddle. Ou à la cravache. Je tape. Et je ne me ménage pas. Je suis intraitable. Je n’arrête que lorsque son plaisir a enfin surgi. Et le mien.

Je ne m’en tiens pas là. Après, dans mon lit, les fesses meurtries, incandescentes, je fais revenir mes images. Je reprends mes histoires. Qui n’en sont que plus exaltantes. C’est dans ma peau qu’elles sont inscrites. C’est du feu inextinguible qui m’élance qu’elles naissent et renaissent indéfiniment. Je les vis. Je les vis vraiment. Je suis en elles. Je les habite. Je suis elles. Et elles me procurent un bonheur comme jamais. Ineffable.

Vingt fois j’ai failli tout lui dire à Cordelia. Vingt fois je suis restée au bord de la confidence. Quelque chose me retient. La peur qu’elle me rie au nez ? Non. Pas ça, non. N’importe comment, elle m’a percée à jour. Depuis un bon moment déjà. J’en suis sûre. Elle sait. Et elle sait que je finirai
forcément par passer aux aveux. J’ai trop envie que ce soit pour de vrai qu’elle me corrige. Elle. Alors j’attends quoi ? Je redoute quoi ? Moi ! Parce que je sais qu’alors je n’aurai plus la moindre limite. Que je serai prise de vertige.

jeudi 23 août 2018

Quinze ans après (20)


Andrea était tout excitée.
– Il va venir ? C’est vrai ? Là ? Maintenant ?
Coxan a regardé sa montre.
– Dans vingt minutes, il devrait, si tout se déroule comme prévu, faire son apparition. Je feindrai la surprise. Lui aussi. « Depuis le temps… Qu’est-ce tu deviens ? Etc. » Et je l’inviterai à boire un verre avec nous.
– Mais c’est qui au juste ce type ?
– Un certain Félicien. Qui se dit entraîneur de hand. Mais bon, il peut bien raconter ce qu’il veut.
– Il a quel âge ?
– La quarantaine. Peut-être un peu plus.
– Et alors, comme ça, il m’a vue ?
– Et plutôt deux fois qu’une. Quatre, même. Quatre fois il a fallu que je la lui repasse la vidéo de ta fessée. Il s’en lassait pas.
– Il commentait ?
– Ah, pour ça, oui !
– Qu’est-ce qu’il disait ? Ben, raconte, quoi !
– Que t’as un sacré beau cul. Un cul que le rouge met superbement en valeur. Et puis alors quand tu le gigotes ton popotin, que ça laisse voir bien à fond comment t’es faite, alors là, non, mais alors là, ça ferait damner un saint !
– Il bandait ?
– Ça, j’avoue que j’ai pas trop fait attention, mais sûrement, oui… N’importe quel mec normalement constitué devant un spectacle comme celui-là…
– Comment j’aurais aimé voir sa tête !
– Là où elle valait surtout son pesant d’or, sa tête justement, c’est quand je lui ai proposé de te rencontrer. « La rencontrer ? Comment ça, la rencontrer ? » « Ben, boire un verre avec elle. Histoire que tu découvres son charmant petit minois. » Je peux te dire qu’il s’est pas fait prier. « Mais alors motus et bouche cousue, hein ! Aucune allusion à cette vidéo. Tu ne l’as jamais vue. » Il a juré ses grands dieux. Bien sûr ! Évidemment ! Ça coulait de source.
– Ce que tu nous as pas dit, par contre, c’est ce qu’il croit.
– Comment ça ?
– La raison pour laquelle elle me la donnait, Lisa, cette fessée, il te l’a pas demandée ?
– Si ! Bien sûr que si !
– Et t’as répondu ?
– Que j’en savais rien au juste. Que vous aviez éludé, l’une comme l’autre, quand je vous avais posé la question. Et que j’avais pas insisté.
– Si bien qu’il peut tout imaginer. Ce qu’est pas plus mal, finalement…

– Comment ça faisait drôle ! Parce qu’attends, on était là, à échanger des banalités, à discuter de trucs sans la moindre importance alors que le mec, forcément, il pouvait penser qu’à ça. Et moi, de mon côté, pareil.
– Il y pensait d’autant plus que je lui ai glissé à l’oreille, quand il est arrivé, que je suis allé à sa rencontre, que t’en avais reçu une autre ce matin même.
– Ah, ben d’accord ! En tout cas, jamais on aurait pu aller imaginer qu’il savait. Il a rien laissé paraître. Rien du tout. À aucun moment.
– Tu le regrettes ?
– Non. Bien sûr que non. Mais ce que je me demande, c’est comment il va réagir maintenant. Ce qu’il va te dire.
– Je te raconterai.
– Il va vouloir me revoir, tu crois ?
– Alors ça, ça ne fait pas l’ombre d’un doute.

lundi 20 août 2018

La gouvernante


Dessin d’Eugène Reunier

– Vous étiez prévenue, Mademoiselle Longstone.
– Je suis désolée. Je demande à Madame d’avoir la bonté de bien vouloir me pardonner. Et je puis l’assurer que cela ne se reproduira plus.
– C’est tout de même la troisième fois que cela vous arrive.
– Je me suis laissé emporter. J’en suis absolument navrée.
– Vous avez eu à mon endroit des propos absolument inqualifiables. Et ce, en présence de ma fille, ma fille dont je vous ai confié l’éducation. Croyez-vous que ce soit acceptable ?
– Je regrette, Madame. Je regrette profondément. Mon caractère impulsif a pris le dessus.
– Et le prendra encore, sans aucun doute possible, si l’on n’y met bon ordre. On va donc y mettre bon ordre.
– Comment cela ?
– Une bonne correction, à la badine, donne généralement d’excellents résultats.
– Madame…
– À moins que nous n’envisagions des solutions beaucoup plus radicales. Que je ne décide de me passer de vos services.
– Je supplie Madame de n’en rien faire.
– Dans ces conditions… Eh bien, ne tergiversons pas alors… Mettez-vous en position !
– Dès à présent ?
– Bien entendu. Le plus tôt sera le mieux. D’autant que nous sommes seules. Angèle est chez ses cousines, mon mari à ses affaires.
– Il y a…
– Suzon ? À l’égard de laquelle vous vous comportez, fort souvent, de façon extrêmement offensante. Ce n’est pas parce qu’elle se trouve, ici, dans une position que vous estimez inférieure à la vôtre que cela vous donne pour autant le droit d’en user avec elle de façon ouvertement méprisante. Bon, mais allez ! Ne me faites pas perdre mon temps.
– Mais, Madame, elle va entendre !
– Eh bien, elle entendra.
– Madame ne peut pas m’imposer une telle humiliation.
– Qui ne fera que la dédommager quelque peu de toutes celles que vous lui faites subir au quotidien.
– Elle va se moquer.
– Assurément. Et c’est tant mieux. Ce n’en sera que plus efficace. L’apprénension des petits sourires entendus et ironiques dont elle ne manquera pas de vous gratifier dès ce soir vous dissuadera de retomber, à l’avenir, dans les mêmes errements. Allez, installez-vous ! Confortablement. Et mettez à découvert la partie de votre anatomie qui va faire l’objet de toute ma sollicitude. Là ! Parfait ! Vous êtes prête ?
– Je le suis.
– Alors, action !
– Ouille que ça fait mal ! Hou là là ! Hou là là ! Mais hou là là !
– Si vous hurlez de la sorte, il n’est pas douteux que Suzon va entendre. Qu’elle a déjà entendu.
– C’est si douloureux, Madame…
– Alors je vais faire preuve d’un peu de compassion à votre égard. Nous allons marquer une petite pause. Je vais sonner Suzon. Qu’elle nous monte du thé. Non, non, ne bougez pas. Restez comme ça ! Elle sera ravie.

samedi 18 août 2018

Les fantasmes de Lucie (13)

Dessin de Louis Malteste

Au boulot, ils ont procédé à une restructuration générale. Ce qui veut dire qu’ils nous ont déplacés d’un bureau à l’autre sans logique apparente. J’en ai fait trois en une semaine avant de venir finalement échouer – définitivement, selon les chefs – dans un petit réduit au fin fond d’un couloir en compagnie de Cordelia que ça n’a pas l’air d’émouvoir plus que ça.
– Au moins ici on sera tranquilles. Et au calme.

C’est quelqu’un d’à peu près mon âge, Cordelia. Une grande brune à l’allure décidée qui n’a pas sa langue dans sa poche et qui ne s’en laisse pas compter. Par personne. Et surtout pas par son mari.
– Si c’était à refaire, je le laisserais où il est, celui-là. Pour ce qu’il me sert ! À quoi ça t’avance franchement d’avoir un mec si c’est pour qu’il te tire tous les tournants de lune. Et qu’il le fasse mal. En plus !
– Prends un amant.
– Oui, ben, pour ça, je t’ai pas attendue, merci. J’en ai même pris plusieurs. Ça a des avantages, mais ça a aussi des inconvénients. Non, il y en a un, lui, par contre, qui me déçoit jamais.
Et elle a extirpé un gode du fin fond de son sac.
– Efficace, toujours disponible quand t’as besoin, infatigable. Et puis de bonne compagnie : jamais un mot plus haut que l’autre.
– T’es conne !
– Me dis pas que t’y as pas recours, toi aussi, à l’occasion.
– Je dois bien reconnaître…
– Ben, évidemment ! Et celles qui prétendent le contraire ou ce sont de fieffées menteuses ou elles sont coincées que le diable. Une nana bien constituée… Tu te le fais souvent, toi ?
– Encore assez, oui.
– Moi, c’est tous les jours. Ou pratiquement. Et même, quand j’en suis vraiment, plusieurs fois par jour. Et puis alors il y a un truc, je sais pas si ça te tente, toi, mais moi ! Ce serait de me le faire ici, au boulot. Avant, avec cinq ou six filles autour, sans compter les allées et venues dans le couloir, c’était mission impossible mais maintenant, là, il y a que nous et si quelqu’un vient, on aura largement le temps de l’entendre. Non ? Qu’est-ce t’en dis ?
J’en disais… J’en disais… que je disais pas non.
– Ah, tu vois !
On s’est tu.
Elle a un peu reculé sa chaise. Ses mains ont disparu sous son bureau. Elle a renversé la tête en arrière, fermé les yeux.
Et moi aussi. J’ai ouvert mon pantalon, glissé mes doigts dans ma culotte.
Dans les lointains, il y avait des voix, des pas, le saccadé d’une imprimante.
Elle a soupiré.
– J’aime les entendre.
Le mouvement de son bras s’est fait plus ample, plus rapide.
Du bout du doigt, j’ai mis mon goût sur mes lèvres.
Elle a rouvert les yeux, les a plongés, tout embrumés, dans les miens.
– À quoi tu penses ?
Je n’ai pas répondu.
À quoi je pensais ? Qu’elle me voulait nue, là, dans ce petit bureau. Toute nue. Qu’elle l’avait exigé sur un ton qui ne souffrait pas la moindre réplique. Qu’un martinet avait fait son apparition au bout de son bras. Qu’elle allait le brandir. « Sale petite branleuse ! Je vais t’en faire passer l’envie, moi, tu vas voir ! » Qu’elle l’abattait, à toute volée, sur mes fesses.
– Je sais pas à quoi tu penses, mais qu’est-ce ça a l’air bon…
Oh, oui, c’était bon, oui ! Et j’ai perdu pied. Ça m’a emportée. Submergée. Je me suis mordu les lèvres pour ne pas crier.
– Qu’est-ce t’es belle quand tu jouis !
Et elle a déferlé à son tour, à petits gémissements étouffés, les joues creusées, la bouche entrouverte.

jeudi 16 août 2018

Quinze ans après (19)


Je me suis garée le long du trottoir, devant le magasin, et j’ai attendu qu’elle sorte.
– Camille !
Son visage s’est éclairé.
– Ah, c’est vous !
– C’est moi, oui ! Monte ! Tu pourrais quand même me donner des nouvelles de temps en temps, non, tu crois pas ?
– C’est que…
– C’est que quoi ? C’est quand même pas bien compliqué d’appuyer sur les touches d’un portable. Si ?
– J’ose pas. Vous appeler, j’ose pas.
J’ai mis le moteur en marche.
– Et c’est moi qui suis obligée de me déplacer. Ah, ben bravo ! Bon, mais on réglera ça tout à l’heure. Raconte-moi plutôt… Comment ça se passe ?
– Bien.
– Mais encore ? Je vois… Va falloir que je te tire les vers du nez. Comme d’habitude. Alors dis-moi ! Tu t’es pris une fessée depuis la dernière fois ?
– Oh, plusieurs !
– Combien ?
– Deux… Non. Trois.
– Pourquoi t’as d’abord dit deux ? Il y en a une dont tu voulais pas parler ?
– Mais non !
– Bien sûr que si ! Laquelle ?
– Je sais pas. Je…
– Laquelle ?
– Celle que Perrine m’a donnée.
– Nous y voilà ! C’était quand ?
– Ce matin.
– Où ? Au magasin ?
– Non. Chez elle.
– Qu’est-ce tu faisais chez elle ?
– C’est là que j’habite maintenant. C’est elle qui me commande. Pour tout. Comment je m’habille. Ce que je mange. À quelle heure je me couche, tout ça…
– Ce qui te convient parfaitement, j’imagine.
– Oh, oui ! J’ai plus rien à décider. À me demander. C’est reposant. C’est rassurant.
– C’était pourquoi cette fessée ce matin ?
– Je sais pas.
– Comment ça, tu sais pas ?
– Non, je sais pas. J’ai fait quelque chose qui lui a pas plus, mais je vois pas quoi. Faut que je cherche et que je trouve, elle m’a dit.
– Sinon ?
– Elle a pas précisé, mais ce que je voudrais pas, c’est qu’elle me flanque dehors.
Je me suis arrêtée.
– Descends !
Je l’ai poussée sous une porte cochère.
– Fais voir ! Ta fessée… Fais-la voir !
Elle a jeté un rapide coup d’œil autour d’elle. Et elle m’ a obéi. Elle a descendu pantalon et culotte jusqu’à mi-fesses.
– Plus bas !
Jusqu’à mi-cuisses.
– Ah, oui, dis donc ! Ah, oui !
C’était d’un rouge intense. Sur toute la surface. Avec, par endroits, des plaques plus sombres. Noirâtres. Ou violacées. J’en ai suivi le pourtour. Du bout des doigts.
Il y a eu une course précipitée dans un escalier, à droite.
D’instinct, elle a voulu tout remonter. Je l’en ai empêchée.
– Non !
Elle s’est arrêtée net. Le pas, dans l’escalier, aussi.
J’ai poursuivi, un bon moment encore, l’exploration de son derrière endolori.
– C’est bon. Tu peux te reculotter.
Ce qu’elle s’est empressée de faire.
– Tu vas lui dire à Perrine ?
– Oh, ben oui ! Oui. Je lui dis tout.
– Ce qui va te valoir une autre fessée.
– Oh, ben ça, sûrement, oui.

lundi 13 août 2018

Spanking Day (2)


Dessin de Dagy

On était une vingtaine. À peu près. Quelques hommes. Pas beaucoup. Magda jouait les affairées, courait à droite, courait à gauche. Coralie était en grande conversation avec deux filles que je ne connaissais pas. Une autre me lorgnait avec insistance, du coin de l’œil. Mais qu’est-ce que j’étais venue fiche là, moi ? Le mieux, c’était encore que je m’éclipse discrètement. Je n’en ai pas eu le temps. Magda a pris la parole.
– Bon, on est au complet. Et en nombre pair, ce qui tombe bien.
Elle nous a séparés en deux groupes. Les donneurs d’un côté et les receveurs de l’autre.
Il y a eu des murmures. Des protestations. Des sifflets.
– Non, mais ça, c’est juste pour commencer. Le coup d’envoi en quelque sorte. Après, vous vous débrouillerez bien comme vous voudrez. Allez, on y va ! Aurore…
Et une fille s’est dirigée droit sur Coralie.
– Hugo…
Il est venu vers moi, le type. S’est penché à mon oreille.
– C’est la première fois, hein ?
– Oui.
– J’en étais sûr.
Et je me suis retrouvée le nez dans l’herbe. Sans autre forme de procès. Il s’est agenouillé devant moi.
– Que je puisse voir ta tête…
Et m’a mis les fesses à l’air.
– À nous deux !
Ça a été des petites claques d’abord. Pas très fortes.
Sur Coralie, à côté, la fille les envoyait beaucoup plus sèches. Derrière aussi. Je voyais pas qui, mais ça y allait beaucoup plus fort. Et une fille gémissait.
– Tu aimes ?
Peut-être. Je savais pas. C’était pas vraiment désagréable.
– Hein ? Tu aimes ?
Lui, oui, en tout cas. La bosse dans son pantalon ne laissait pas planer le moindre doute à ce sujet.
Il a tapé plus intense.
Une fille a crié.
– J’ai mal ! J’ai mal ! Mais que c’est bon !
Les fesses de Coralie, à gauche, étaient d’un rouge incandescent.
Encore plus intense. Et plus rapide. À toute allure.
Ça m’a tourbillonné dans le bas-ventre. J’ai fermé les yeux. D’autres mains – Deux ? Trois ? – sont venues se joindre à la sienne. Ça m’a crépité en grêle sur le derrière.
Quelque part une fille a joui. Moi aussi. À pleine gorge.

Quand je suis revenue à moi, le type avait disparu. Il était un peu plus loin là-bas. Quelqu’un me massait doucement les fesses. C’était Coralie.
– Ben, dis donc, comment tu y as attrapé !
Elle a enfoncé, par endroits, du bout du pouce.
– Ça fait mal ?
– Un peu.
– Et là ?
– Aussi.
– Moi, c’est du feu ! Ça te me brûle là-dedans ! Mais j’aime. J’adore. Pas toi ?
– Si !
– Tu me dirais le contraire… Parce que ça s’est entendu. Comment t’as couiné !
Elle m’a doucement modelé une fesse.
– En douce que ça leur donne de sacrées belles couleurs.
L’autre.
– Mais c’est encore mieux le lendemain. Plus varié. Et plus profond. On se fera voir, hein ?
– Si tu veux…

Deux types se sont approchés.
– Dites, les filles, faudrait voir à pas s’arrêter en si bon chemin. Les festivités ne font que commencer.

samedi 11 août 2018

Les fantasmes de Lucie (12)




J’ai été la maîtresse de François Ier. Pas bien longtemps. Deux ans, mais je l’ai été. Et j’en garde un souvenir émerveillé. Comment pourrait-il en être autrement ? Ce n’était que fêtes perpétuelles, bals, parties de campagne. Le roi me comblait de cadeaux et de caresses. J’étais l’objet de toutes les attentions, de toutes les sollicitudes. La cour était à mes pieds.
Seulement les hommes sont les hommes. Leur désir finit par s’étioler, puis par s’éteindre tout-à-fait. Et Sa Majesté m’a remplacée, un beau jour de juin, par une plus jeune, par une plus jolie. Ou prétendue telle.

J’ai dû reprendre le chemin de ma province natale. Où m’attendait mon mari. De pied ferme. Il avait vu d’un très mauvais œil une liaison à laquelle il lui avait été impossible de s’opposer frontalement. Va-t-on contre la volonté du roi ? Une volonté à laquelle j’avais été, de mon côté, bien malgré moi contrainte de me soumettre. Il était convaincu du contraire, persuadé que c’était de propos délibéré que j’avais séduit Sa Majesté. À force de coquetteries et de minauderies diverses. Et il était bien déterminé à me faire payer, dès que le vent tournerait, ma trahison au prix fort. Je n’étais plus en grâce. J’étais désormais à sa merci.

C’est humble et repentante que je me présente devant lui à mon retour, bien décidée à tout faire pour l’apitoyer. Mais il se montre inflexible.
– Vous m’avez humilié, Madame ! Vous avez gravement porté atteinte à mon honneur. Cela ne saurait rester impuni.
Et il exige de moi que je me déshabille. Devant tous nos gens réunis. Valets. Femmes de chambre. Cochers. Servantes. Jardiniers. Cuisinières.
– Monsieur, je vous en supplie…
– Obéissez ! Obéissez ! Ou je vous jure que vous finirez votre vie au couvent…
Je finis par m’y résoudre, la mort dans l’âme.
– Et entièrement, Madame ! Entièrement !
Nue. Nue, comme au premier jour.
– N’avez-vous point de honte à vous dévêtir ainsi publiquement ?
– Mais…
– À vous comporter ainsi comme la dernière des catins.
– Monsieur…
– C’est là habitude prise à la cour sans doute… Mais ne comptez pas que je vous laisse importer impunément ici vos mœurs de débauchée. Vous allez d’ailleurs être châtiée d’importance pour vous en faire passer à tout jamais l’envie. Et voyez comme je sais être bon prince, moi aussi. Je vais vous laisser choisir vous-même, parmi vos gens, celui qui aura l’insigne honneur de vous fouetter. Eh bien ? Je vous écoute…
– Je ne saurais… Je…
– Alors on va vous donner le temps de la réflexion.
Et deux valets me lient les mains, me poussent devant eux, m’attachent solidement à une poignée de porte.
– Je vous souhaite une excellente journée, Madame…

Derrière moi, on passe. On repasse. Nos gens. Qui se penchent, les uns après les autres, à mon oreille. Victor. Mathurin. Barnabé.
– Je n’ai pas de conseil à donner à Madame, mais elle devrait me choisir… Je manie le fouet à la perfection.
– Si Madame veut que je lui apprenne à danser la gigue, qu’elle fasse appel à mes services.
– Si je puis me permettre, que Madame ne se décide pas trop promptement. C’est un régal pour les yeux que de la voir ainsi exposée nue et sans défense.
Mes femmes aussi. Hargneuses. Vindicatives. Insultantes.
– Tu t’es bien amusée, hein ! Eh bien maintenant…
– Je serais morte de honte, moi, à ta place.
– Ils se régalent de voir ton cul ! T’entendrais comment ils en parlent à l’office…
Ça passe. Ça repasse. C’est un défilé permanent.

Quand mon mari survient à son tour, la nuit est tombée. Depuis un long moment déjà.
– Alors ? Vous avez choisi, Madame ?
J’ai choisi, oui. Qu’on en finisse. Une bonne fois pour toutes.
– Mathurin.
Mathurin qui s’avance, la mine gourmande. Qui brandit le fouet qu’on lui tend. Tout le monde retient son souffle. Il l’abat. Avec force. C’est, en général, à ce moment-là, après quatre ou cinq coups, que mon plaisir surgit. Je le relance aussitôt. Il fouette fort. Il fouette longtemps. Il me comble.

jeudi 9 août 2018

Quinze ans après (18)



Coxan avait passé la soirée avec Eugénie.
– Et ?
– Et c’était pas du tout ce à quoi je m’attendais, eu égard à sa prestation de la dernière fois. Elle a carrément rétropédalé. Pour la décider à accepter un rendez-vous, ça a carrément été la croix et la bannière. Elle avait tout un tas de scrupules par rapport à toi, la pauvre chérie !
– Tu m’en diras tant !
– Il a fallu que j’insiste encore et encore. Parce que c’était en tout bien tout honneur qu’on allait se rencontrer, oui, bien sûr, mais quand même ! Tu risquais de mal le prendre si tu l’apprenais. J’avais beau me mettre en quatre pour la rassurer… Mais tu le saurais pas ! Tu saurais rien. Comment tu pourrais le savoir ? Elle n’était, malgré tout, pas vraiment convaincue. Je croyais ? Mais évidemment ! Évidemment !
– Elle a dû prendre un pied possible à se faire supplier comme ça !
– C’est clair…
– Et alors ?
– Et alors elle a fini par rendre les armes. Et par accepter, bon gré mal gré, de dîner avec moi.
– Quelle comédienne !
– Ah, ça, tu l’as dit !
– Et, c’est là, une fois sur place, qu’elle t’a sorti le grand jeu.
– Oh, non, non ! Elle est beaucoup plus subtile que ça. Elle m’a fait ça en mode drague larvée. Maquillage feutré. Tenue sexy sage. Sourire discrètement enjôleur. Et elle a parlé de toi. Dans des termes, mais des termes… Que tu es une fille d’exception. Une amie sur qui elle peut vraiment compter. Que j’ai tout intérêt à te garder parce que des comme toi, j’en trouverai pas deux. Et tralali et tralala…
– Le truc classique, quoi ! Tu rassures le mec sur tes intentions. Comme ça, après, tu peux avancer tes billes. Il se méfie plus.
– C’était à peu près ça, oui. Parce qu’au dessert, elle est entrée en confidences. Elle était pas toute rose sa vie. Vivre toute seule, c’était pas drôle tous les jours. Ah non, alors ! Personne à qui parler. Jamais. À part les murs. Au boulot ? Oui, ben alors là ! Au boulot, à part les mecs et les fringues, elles avaient aucun sujet de conversation, les filles. C’était pourtant pas compliqué ce qu’elle demandait. Juste quelqu’un avec qui parler une heure ou deux, comme ça, de temps en temps.
– Et, bien sûr, tu t’es proposé.
– Tu es très perspicace.
– Ce qu’elle a accepté avec enthousiasme.
– Pas avec enthousiasme, non. Du bout des lèvres au contraire. Elle voulait pas me déranger. Que je me croie obligé. Ça faisait des mois que ça durait. Alors un peu plus, un peu moins…
– Et, au final, vous avez décidé de vous revoir.
– Samedi prochain.
– Tant et si bien que, samedi prochain, tu la passes à la casserole.
– Peut-être. Et puis peut-être pas. Tout va dépendre…
– Tu crois qu’elle va encore… Oui, t’as sûrement raison. Parce que, d’un côté, elle crève d’envie de me faire cocue, mais, de l’autre, ça la démange de faire durer tant et plus. Mais on peut bien tourner les choses dans tous les sens qu’on veut, on sait bien, de toute façon, comment, à l’arrivée, ça va finir. Et ce sera pain bénit pour toi tout ça. Parce que tu vas jouer sur les deux tableaux. Tu vas la mettre dans ton lit. Et, dans la foulée, tu vas profiter de la fessée que je lui flanquerai pour avoir jeté son dévolu sur toi.
– Elle aussi, si tu vas par là, elle joue sur les deux tableaux.
– Et même les trois… Parce que qu’est-ce tu paries que d’ici samedi elle aura voulu me voir ? Histoire de mouiller sa petite culotte en se disant, tout en parlant de toi avec moi, que je suis au courant de rien.
Mon portable a sonné.
– Qu’est-ce que je disais ! C’est elle…

lundi 6 août 2018

Spanking Day

Le Spanking Day, c'est mercredi prochain. Alors je souhaite à toutes et à tous d'excellentes fessées. Données ou reçues.
Et, pour ceux qui auraient zappé la Fête des Voisins, c'est l'occasion de faire d'une pierre deux coups. Pourquoi pas?




SPANKING DAY

– Il se passe quoi au juste ?
Coralie a pris un air étonné.
– Mais rien ! Qu’est-ce tu veux qu’il se passe ?
– Je sais pas. Il y a toute une agitation, là. Ça s’affaire. Ça court dans tous les sens. De bureau en bureau. Magda se promène partout avec des listes. Elle fait une collecte ? Quelqu’un se marie ?
– Pas du tout, non. Non. Disons qu’on prépare le Spanking Day de mercredi prochain.
– Qu’est-ce c’est que ça ?
– Le jour de la fessée. Tous les ans, le 8 août, c’est le jour de la fessée.
– Ah ! Jamais entendu causer. Et ça consiste en quoi ?
– Tu te doutes bien, non ?
– Je sais pas, moi ! À se mettre des fessées ?
– Voilà, oui.
– Et vous allez faire ça ici ? Dans la boîte ?
Elle a éclaté de rire.
– Ah, non ! Sûrement pas, non ! Il y a pas de risque. On se retrouve ailleurs. Dehors. Avec d’autres gens.
– Et pourquoi personne m’en a parlé de tout ça à moi ?
– À toi ? Mais…
– Mais quoi ? Je suis la coincée de service, c’est ça ?
Et je suis partie furieuse. J’allais me la traîner encore longtemps cette réputation à la con ?

J’en ai rêvé toute la nuit de leur truc. Toutes les filles du service se pourchassaient à qui mieux mieux dans les couloirs, le cul à l’air. Elle s’envoyaient des grandes claques dessus. Elles escaladaient les bureaux, se coinçaient les unes les autres contre les classeurs de rangement et les photocopieuses. C’était des gloussements. C’était de grands cris. C’était des rires à n’en plus finir. Je me réveillais en sursaut. Quelles dindes ! Fallait vraiment qu’elles soient complètement barrées dans leurs têtes, hein ! Je me rendormais. Et je les retrouvais. En ville, cette fois. En pleine ville. Sur une grande place avec des sièges. On aurait dit un théâtre d’extérieur. Et ça se tapait, le derrière pointé en l’air. Et ça se claquait tant que ça pouvait. Il y avait des gens autour qui regardaient. Qui commentaient. Que ça avait l’air de beaucoup amuser.

– Non ? T’es pas de mon avis ? C’est pas complètement tordu, ce machin ?
Ma copine Sélène a hoché la tête avec un petit sourire.
– Oui, oh, tu sais, il y a pas de quoi en faire un plat non plus… En général, ça va pas bien loin. Quelques petites tapes sur les fesses, pas forcément déculottées d’ailleurs, ça dépend, et puis voilà ! C’est très ludique en fait.
– Quand même !
– Je peux te dire quelque chose ?
– Vas-y !
– Tu te plains de pas être intégrée. D’avoir une réputation de fille complexée. Ce serait le moment ou jamais de leur prouver le contraire. Non ? Tu crois pas ?

Magda m’a considérée d’un air stupéfait.
– Toi !
– Non ? C’est pas possible ?
Elle s’est tout de suite reprise.
– Si ! Si ! Bien sûr que si ! Je t’inscris. Tout de suite. Et attends ! Je vais te filer un plan pour y aller.
Parce que c’est pas forcément facile à trouver.

(à suivre)

samedi 4 août 2018

Les fantasmes de Lucie (11)

Dessin de Louis Malteste


J’ai passé la nuit de samedi à dimanche à l’hôtel. Loin. À Tours. Où personne me connaît. Avec une idée bien précise en tête : qu’on m’écoute, des chambres voisines, me donner du plaisir. Seule. C’est mon adorable imbécile de voisin qui m’a corrompue. Depuis que je sais qu’il m’a entendue le faire sous la douche, je ne pense plus qu’à ça. Je ne rêve plus que de ça. D’oreilles attentives rivées à mes mugissements de plaisir. Pas les siennes. Ce serait du réchauffé. Et ce serait imprudent : il finirait par en tirer des conclusions qui ne seraient pas les bonnes.

Ce fut donc Tours. Complètement au hasard. Un hôtel complètement au hasard aussi. J’y suis arrivée sur le coup de cinq heures. J’y ai un peu traîné dans les couloirs, procédé à un certain nombre de discrets repérages. Dans la chambre à droite de la mienne, était installé un jeune couple. De constitution vraisemblablement récente : ils ont passé les trois quarts du repas à se tenir les mains et à s’embrasser par-dessus la table. Dans celle de gauche, une femme seule, d’une cinquantaine d’années, que j’ai croisée, à plusieurs reprises, ici ou là, au gré de mes nombreuses allées et venues. On s’est souri. À l’étage, au-dessus, il y avait encore trois ou quatre couples que je n’ai pas réussi à localiser avec précision, mais qui, eux aussi, allaient sans doute pouvoir profiter de la petite sérénade que je prévoyais d’offrir.

Je me suis longuement attardée dans la salle de restaurant. Qu’on me voie bien et, surtout, qu’on voie que j’étais seule. Je ne l’ai quittée que lorsque le patron, un petit brun frisé à moustaches a commencé à éteindre les lumières. Je suis alors montée. Je me suis préparée pour la nuit. Tout autour aussi, on se préparait. De l’eau coulait. Il y avait des pas. Des voix. Des fenêtres qui s’ouvraient ou se fermaient. Des corps qui s’affalaient sur des matelas. Le silence s’est fait peu à peu, troué, de temps à autre, par une quinte de toux, un bâillement, un ronflement. J’ai désespérément attendu que le jeune couple d’à côté donne le signal des hostilités. En vain. Sans doute avaient-ils passé la journée à s’envoyer en l’air et aspiraient-ils maintenant à un repos bien gagné. À moi donc de prendre les choses en mains. Il n’y avait pas d’autre solution.

J’ai convoqué des images. D’un peu toutes sortes. Certaines ont émergé. Se sont imposées. Installées. Celle de la femme de la chambre voisine que je croise et recroise dans les couloirs. Qui m’apostrophe :
 – T’es une sacrée petite cochonne, toi, hein, en fait !
Je proteste mollement. Elle insiste.
– Ah, si ! Ah, si ! Tu le portes sur ta figure n’importe comment !
Celle de la salle de restaurant. Mes mains sont sous la table. Je me touche, là, avec tous les gens autour. Je peux pas m’empêcher. Tous les regards convergent vers moi. Il y en a d’égrillards, d’amusés, de scandalisés. Et puis il y a le patron. Qui surgit.
– Qu’est-ce que vous faites ?
– Rien ! Rien, rien, je vous assure !
– Et menteuse en plus !
Il tire ma chaise. Il m’oblige à me lever.
– Faire ça, comme ça, devant tout le monde ! Vous n’avez pas honte ?
Si, j’ai honte, si ! Seulement… Il me force à me mettre à genoux.
– Tu vas t’en souvenir, ma petite ! Allez, le cul à l’air !
– Oh, non, M’sieur ! Je le ferai plus, j’vous promets !
Mais il ne veut rien entendre. Il me déculotte. Sèchement. Il m’emprisonne le poignet dans sa main pour m’empêcher de me protéger le derrière. Et il tape. Il tape comme un sonneur. Il tape comme un sourd. Au bout de cinq ou six claques déjà, la douleur est insupportable. Je gémis. Je me tortille. Je me plains. Mais il poursuit imperturbablement. Je me cabre. Je geins.
– Oh, non ! C’est trop ! C’est trop !
Il accélère encore le rythme et l’intensité des coups. Je ne maîtrise plus rien. Mes cris se font éperdus. De douleur. De plaisir.

C’est quelque part au-dessus que ça a alors commencé. D’abord timidement. En sourdine. Une voix de femme. Qui a, très vite, pris son envol. Qui m’a rejointe. À plein volume. On s’est défiées. On a donné notre pleine mesure. À côté aussi ils sont entrés en scène. À grands coups de grincements de sommier. Qui se sont accélérés. La fille a hululé.
– Oh, Hugo ! Oh, Hugo ! Oh, Hugo !
Et puis lui, à son tour. De longues plaintes rauques. Une autre femme, quelque part, dans les lointains, s’est aussi jointe à nous.
Je me suis voluptueusement terminée et endormie, repue.

Ma voisine de la chambre de gauche était déjà installée dans la salle du petit déjeuner. On s’est brièvement saluées. Il y avait aussi un couple. Avec lequel un autre couple est presque aussitôt venu s’attabler.
– Alors ? Bien dormi ?
La femme a fait la moue.
– Oui, oh ! Il y en a qu’étaient sacrément de la comédie cette nuit…
– Ah, ça, pour piauler, ça piaulait. Je sais pas d’où ça venait, mais on y mettait tout son cœur.
Ma voisine m’a adressé un petit sourire de connivence.
Les deux jeunes ont, à leur tour, fait leur apparition. La fille a brièvement croisé mon regard, légèrement rougi. Ils sont allés occuper une table à l’écart, tout au fond.

Le patron m’a rendu ma carte bleue.
– Merci. C’est très agréable chez vous. Je reviendrai.
– Oh, mais quand vous voulez. Ce sera avec plaisir.

jeudi 2 août 2018

Quinze ans après (17)


– S’il avait su qu’il l’avait là, juste en face de lui, la fille !
– T’en serais morte de honte.
– Ah, ça, c’est sûr !
– Ce qui t’aurait pas déplu tant que ça, avoue !
– Je sais pas. Je me rends pas compte.
– La seule façon de savoir…
– Oh, non ! Non ! Ou alors, après, plus tard, pas tout de suite.
– Quand ?
– C’était qui, ce type, en fait ?
– Ça, faudra que tu demandes à Coxan.

Qui n’en savait pas plus que nous.
– Ben non ! Non ! Je l’ai trouvé sur Internet. Alors aucune idée de comment il s’appelle, d’où il habite et de ce qu’il fait dans la vie. Et pareil dans l’autre sens.
– Si bien que t’as plus de contact avec…
– Si ! Par mail. Il a été absolument ravi de notre après-midi. Et il me réclame la vidéo à cors et à cris.
– Envoie-lui !
– T’es sûre, Andrea ?
– Oui. Envoie-lui ! Qu’est-ce ça risque ? Il sait pas qui je suis. Il le saura jamais. Et on me voit que de dos dessus. Alors, oui, envoie-lui !
– Comme tu voudras.

– Il doit quand même avoir une drôle opinion de moi, Coxan.
– C’est quelqu’un qui a l’esprit très ouvert.
– Oui, mais quand même ! Je me dis que je fais fort des fois.
– C’est dans ta tête.
– Tu crois que je pourrais lui demander un truc ?
– Quoi donc ?
– Qu’il me donne accès à sa boîte mail. Que je voie ce qu’il dit de moi, le type.
– Ça m’étonnerait que ça lui pose problème.

– C’est drôle des mecs qui discutent d’une nana entre eux, n’empêche… On se rend pas vraiment compte en fait.
– De quoi donc ?
– De ce qu’ils parlent vachement cru.
– Et pas nous, peut-être, quand on parle d’eux ?
– Oui, si, c’est vrai. Mais là, ce qu’il y a, c’est que je le vois écrit.
– Et ça te gêne ?
– Oh, non, non ! J’ai pas dit ça. Non. Et tu sais qu’à cause de moi, il voit quasiment plus sa copine ?
– Comment ça ?
– Ben, elle lui fait tellement d’effet, ma vidéo, qu’il préfère rester avec moi et avec ma fessée plutôt que d’aller la retrouver.
– Carrément !
– Et, en plus, quand il va la voir, il s’est tellement donné avec moi qu’il est plus en état de faire quoi que ce soit avec elle.
– Eh, ben dis donc !
– Alors tu sais ce que j’aimerais du coup ? C’est qu’on recommence avec un autre. Mais pas exactement pareil. Coxan lui montrerait la vidéo. Et puis il lui proposerait : « Tu veux voir la tête qu’elle a, la fille ? Mais alors tu déconnes pas, hein ! Parce qu’elle m’arracherait les yeux si elle savait que je t’ai fait voir. » Et il nous ferait rencontrer sous un prétexte bidon. Trop génial comme situation, non ? T’imagines la situation ? Il croit que je suis pas au courant, le mec. Alors que c’est moi qu’ai tout manigancé.
– T’es redoutable dans ton genre.
– Et après, t’imagines les mails ? Oh, faut qu’on le fasse. Faut vraiment qu’on le fasse.