lundi 31 décembre 2018

La toilette du matin


Anonyme 1890

– J’ai fait couler le bain de Madame.
– Merci, Jeanne. J’arrive.
Je m’y plonge voluptueusement. Je ferme les yeux.
Et il y a les mains de Jeanne. Presque aussitôt. Douces. Caressantes. Expertes. Sur mon visage. Sur mon dos. Qui savonnent. Qui s’emparent. Qui s’éloignent. Qui reviennent. Qui s’attardent sur mes seins. Qui en font savamment dresser les pointes.
– Jeanne…
– Si Madame veut que je remplisse correctement mon office, il faudrait que Madame se redresse.
Que je me… Oui… Voilà… Voilà…
Les fesses. Qu’elle me masse délicatement. Longuement. Entre lesquelles elle se faufile. Elle remonte de l’autre côté. Elle presse. Elle sollicite.
– Oh, Jeanne…
Elle capture mon bourgeon. Elle se l’approprie.
– Si Madame veut bien écarter…
J’écarte. Je m’abandonne. Je m’offre. Elle se fait intrusive. De plus en plus.
– Jeanne… Oh, Jeanne…
Je chavire. Et je clame mon plaisir. Sans aucune retenue.

Mais il y a ces autres matins. Ces matins où Jeanne a sa tête des mauvais jours. Où elle est froide. Distante. Où ces gestes sont secs. Saccadés. Où, en me lavant, elle me fait presque mal. Finit par me faire vraiment mal. Où tout en elle est reproche. Où elle explose.
– Madame a passé une bonne nuit ?
– Oh, mais vous savez bien, Jeanne…
– Que Madame s’est fait grimper par Monsieur, oui.
– C’est mon mari. Je ne peux tout de même pas…
Elle pince les lèvres.
– On peut toujours quand on veut.
– Je n’ai jamais de plaisir avec lui.
Ce qui est vrai. Les ressorts du sommier sont les seuls à crier. Ce sont eux qu’elle entend.
– Ce n’est pas une raison.

Cela dure en général quelques jours. Trois ou quatre. Rarement plus. Et puis tout redevient comme avant. Mais cette fois-ci… Quinze jours. Plus de quinze jours. Et elle ne semble toujours pas décidée à revenir à de meilleurs sentiments.
– Jeanne…
– Madame ?
– Si nous faisions la paix ?
Elle fait non de la tête. Non. Elle ne veut pas.
– Mais pourquoi ?
– Parce que… Madame m’a menti. Elle a eu du plaisir avec Monsieur.
Ce qui, pour une fois, est vrai. C’est la première fois depuis des années. Oh, pas un plaisir tonitruant, non. Disons, un semblant de plaisir. Parce qu’il a mis plus de temps que d’habitude pour arriver à ses fins. Alors oui, j’ai éprouvé un petit quelque chose. Un tout petit quelque chose qui n’a strictement rien à voir avec ce que je ressens quand elle s’occupe, elle, de moi. Mais comment est-ce qu’elle sait ? Je n’ai pourtant pas crié. Ni gémi. Je ne crois pas, du moins.
– Mais jamais de la vie, Jeanne ! Jamais de la vie. Vous savez bien qu’avec lui…
– Madame me ment encore.

Il se passe une autre semaine. Dix jours. Elle se montre inflexible. Intraitable. Et ses caresses me manquent. Ses doigts me manquent. Je la supplie.
– S’il vous plaît, Jeanne…
– Non.
– Mais pourquoi ?
– Parce que Madame m’a menti. Et tant que Madame n’aura pas reconnu qu’elle m’a menti.
Je renâcle un peu. Je tergiverse. Mais je finis par en passer par où elle veut.
– Je reconnais, Jeanne.
– Que vous avez eu du plaisir avec lui ?
– Oui.
– Et que vous m’avez menti ?
– Oui.
– Alors Madame doit être punie.
– Hein ? Mais vous n’y pensez pas.
– Comme Madame voudra.
Et tout, dans son ton, dans son allure, signifie que, dans ces conditions, les choses resteront en l’état. Que c’en est définitivement terminé. Que ses mains ne me parcourront plus, le matin, pour m’offrir ces délicieux plaisirs que je n’avais jamais connus auparavant. Que je veux retrouver. Dont je ne peux plus me passer. Alors oui, oui, qu’elle me punisse. Si elle veut. Comme elle veut.
Elle esquisse un imperceptible petit sourire de triomphe.
– Que Masame reconnaisse qu’elle a mérité d’être punie.
– Je le reconnais, Jeanne.
Tout ce qu’elle veut. Tout ce qu’elle voudra.

Je suis nue. À plat ventre sur son lit. Et elle me cingle. À la badine. Ça mord. Ça brûle. D’instinct, je ramène l’une de mes mains sur mes fesses pour me protéger.
– Que Madame se montre raisonnable…
Elle la saisit, ma main, elle la maintient et elle continue à taper. De plus en plus fort.
Ça fait mal. Que ça fait mal ! Je gémis. Je crie. Elle n’en tient aucun compte. Elle continue. Aussi longtemps que bon lui semble.
Ça s’arrête enfin.
– Madame ne me mentira plus ?
– Non, Jeanne, non. Je vous promets.
Elle s’assied au bord du lit. Sa main se pose, toute douce, sur mes fesses. Je m’abandonne.

2 commentaires:

  1. Une histoire qui à nourrit d'envies les pensées d'un petit chat vagabond... (sourire)

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. j'en suis ravi. Le bonheur d'écrire, c'est aussi se faire rencontrer des imaginaires.

      Supprimer