Ils
boivent. Tous les deux. À petites gorgées lentes.
– Non,
mais franchement – entre nous – qu’est-ce qui a bien
pu vous passer par la tête ? Vous êtes financièrement à
l’aise… Votre mari occupe une situation en vue… Vous êtes une
femme respectable… Insoupçonnable… On vous confie en toute
confiance la trésorerie d’une importante association charitable…
Et vous vous servez allègrement dans la caisse… Ce n’est pas par
nécessité… Alors ? C’est quoi ? Le plaisir de jouer
avec le feu ? De tenter le diable ? De rouler tout le monde
dans la farine ? D’être finalement une autre que celle que
tout le monde croit que vous êtes ?
Par
la fenêtre un avion – point brillant – dessine une
longue ligne blanche. Il n’insiste pas. Il se lève, se dirige vers
les étagères de bois doré contre la cloison. Il lui tourne le dos.
La musique s’élance, emplit la pièce…
– Liszt…
– Liszt,
oui !
– Il
était au programme du conservatoire l’année où…
– Où ?
– Non…
Rien…
Liszt.
Jusqu’au bout.
– Venez !
Une
autre pièce. Aussi claire et spacieuse que la première. Il soulève
le couvercle du piano, avance le tabouret, l’invite à prendre
place.
– Il
y a si longtemps… Je ne sais plus… Je ne saurai plus…
Elle
enfonce une touche. Une autre. D’autres. Une à une. En pluie. Ses
mains se font pressantes, insistantes sur ses épaules, la forcent à
s’asseoir. Il ouvre la partition devant elle. Dans ses doigts ce
sont exactement les mêmes fourmillements qu’avant. La même envie.
Le même désir. Une première tentative presque aussitôt
abandonnée. Une seconde. Et tout revient d’un coup. Léger.
Fluide. Évident. Le même plaisir. Le même bonheur. Ils se
sourient.
Il
sonne encore Jeanne.
– Clarisse
est là ?
– Oui,
Monsieur…
– Alors
envoyez-la-moi !
– Tout
de suite, monsieur…
C’est
une jeune fille d’une vingtaine d’années qui arrive en traînant
les pieds et en mâchouillant un chewing-gum.
– C’est
quoi que vous me voulez ?
Elle
éclate d’un petit rire goguenard.
– Oh,
l’autre ! Qu’est-ce qu’elle fout à poil ?
Son
attitude insolente, son langage négligé qui contrastent fortement
avec le style ouaté et distingué de la maison semblent beaucoup
amuser Monsieur.
– Ça
te dirait, Clarisse ?
– Ça
me dirait de quoi ?
– De
te faire la main sur le derrière de Madame…
– Sur
son cul à elle, là ? À c’te bourge ? Tu parles que ça
me dirait !
– Eh
bien allez, alors ! À toi de jouer…
Son
regard s’illumine.
– C’est
vrai ? Je peux ? C’est pas une blague ?
– C’est
tout ce qu’il y a de plus sérieux…
– Oui,
oh, ben alors là je peux vous dire qu’elle va ramasser… Et
quelque chose de bien !
Il
sourit d’attendrissement.
Elle
ne proteste pas. À quoi bon ? Ce serait peine perdue, elle le
sait. Il ne se laissera pas apitoyer. Elle n’a pas le choix :
il lui faudra boire le calice jusqu’à la lie.
– À
nous deux, ma belle !
La
fille la pousse, avec rudesse, contre le mur. L’angle du mur.
S’éloigne. Dans son dos il y a des chuchotements. Des rires
étouffés. Qui durent. Qui s’éternisent.
Elle
revient. Elle est revenue. Sa main se pose au creux de sa nuque, y
séjourne quelques secondes et puis descend. Elle suit, du bout du
doigt, la ligne du dos, s’arrête à l’entrée du sillon entre
les fesses, fait mine de vouloir s’y aventurer, se ravise.
– Alors
comme ça, on a fait des bêtises ! Une grande fille comme vous.
Vous n’avez pas honte ?
Et
ça tombe d’un coup. Brutal. Abrupt. Ça lui arrache un cri de
douleur tout autant que de surprise. Une première claque suivie
d’une multitude d’autres lancées à toute volée. En rafale. Qui
lui font un mal fou. Qui lui arrachent de petits gémissements de
fond de gorge qu’elle ne parvient pas à juguler malgré tous ses
efforts.
Ça
s’arrête comme ça a commencé. D’un coup.
Elle
se redresse fièrement.
– Alors ?
Comment vous avez trouvé ?
Il
l’enveloppe d’un sourire enjôleur.
– Magnifique !
Tu es très douée.
– Oui,
hein ? Oh, mais je peux encore faire des progrès.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire