C’est
le moment qu’elle préfère. L’avant. Quand elle sait que ça
viendra. Inéluctablement. Que le temps, jusque là, s’étire tout
à loisir.
On
passe tranquillement sur la route, devant le portail. Il y a des cris
d’enfants au loin. Des oiseaux s’interpellent dans les arbres.
Les cloches de l’église scandent les heures. Félicien, son homme
à tout faire, scie du bois, pour l’hiver, derrière la grange.
Elle l’entend. Des bouffées d’air tiède lui apportent, de temps
à autre, l’odeur entêtante de la sciure.
Tout
à l’heure, elle ira voir. Où ça en est. Où il en est. Elle fera
la moue.
– Vous
n’avez pas beaucoup avancé, Félicien…
Il
relèvera la tête, offusqué.
– Mais,
Madame…
Elle
ne le laissera pas terminer.
– Votre
travail laisse de plus en plus à désirer, Félicien. Vous devriez
songer à vous reprendre. Dans votre intérêt.
Il
ne protestera pas. Au contraire…
– Certainement,
Madame…
À
sept heures, tandis qu’il dînera, à l’office, en compagnie de
Sidonie, la cuisinière, et de Blanche, la femme de chambre, elle
viendra en rajouter une couche. Devant elles.
– Vous
avez arrosé, Félicien ?
– Oui,
Madame…
– On
ne dirait pas. Le jardin crève de soif. Quant aux chevaux, il y a
huit jours que vous ne les avez pas brossés. Au moins. Ils sont dans
un état pitoyable.
– Je
vous assure, Madame…
– Taisez-vous !
Et veuillez noter, une bonne fois pour toutes, que je n’ai pas
l’intention de vous payer à ne rien faire.
Il
promettra, tout penaud, de prendre désormais, son travail à cœur.
À
dix heures, ce soir, ou peut-être onze, voire à minuit, on frappera
à la porte, en bas, d’un poing résolu. On laissera passer quatre
ou cinq secondes et on recommencera. Avec plus de détermination
encore.
– Oui,
voilà. Voilà. Qu’est-ce que c’est ? Qu’est-ce qui se
passe ? Qui est-ce ?
– Félicien…
Elle
déverrouillera la porte, retirera la chaîne.
– Vous !
Ici ! À cette heure-ci ! Mais qu’est-ce que vous
voulez ?
– Comme
si tu le savais pas !
Il
la repoussera, à petits coups, du plat de la main, sur les épaules,
jusqu’à ce qu’elle s’affale sur le fauteuil devant la
cheminée. Elle voudra se relever. Il l’en empêchera. Fermement.
– Ah,
on fait moins la fière, hein !
– Écoutez,
Félicien…
– Non.
C’est toi qui vas m’écouter. Parce que j’en ai plus qu’assez,
figure-toi, de tes réflexions permanentes. Des accusations de
paresse et d’incompétence que tu ne cesses de porter contre moi.
Et devant témoins. Sans arrêt tu me rabaisses. Sans arrêt tu
m’humilies. Pourquoi ?
– Je
ne sais pas. Je…
– Tu
sais pas. Eh bien moi, je sais pourquoi je vais te rendre la
pareille. Pourquoi je vais, à mon tour, t’humilier. Pour que tu
voies ce que ça fait. Pour t’ôter à tout jamais l’envie de
recommencer. Déshabille-toi !
– Hein ?
– T’as
parfaitement compris. Je t’ai dit de te déshabiller.
Elle
le fera. Parce que son ton ne souffre pas la moindre réplique. Parce
qu’elle ignore ce qu’un refus de sa part aurait au juste comme
conséquences et que cela l’effraie. Elle se lèvera et elle le
fera. Elle retirera sa robe. Elle la passera par-dessus la tête,
elle prendra tout son temps pour la plier, la déposer soigneusement
sur le fauteuil et ôter le reste. Elle sera nue devant lui. Qui se
sera assis dans l’autre fauteuil. Qui la contemplera longuement
– ostensiblement – avant de lui faire signe
d’approcher.
– Viens
là !
Elle
obéira.
– Plus
près !
Tout
près.
Il
la saisira par les poignets, la fera basculer par-dessus les
accoudoirs. La première claque la surprendra. Une claque sèche, à
pleine croupe, qui la fera sursauter. D’autres suivront aussitôt.
En rafale. En pluie. En grêle. Brûlantes. Elle gémira de douleur
et de honte. Une honte crue. Insoutenable. Ça durera. Longtemps. Son
derrière ne sera plus qu’un gigantesque brasier. Ça s’arrêtera
enfin.
– Magnifiques
couleurs. Joli travail. Je suis content de moi. Très.
Il
glissera un doigt dans le sillon entre les fesses. Il le parcourra.
De haut en bas. De bas en haut. Il recommencera. Plus bas. Encore
plus bas. Il s’arrêtera à l’entrée de son petit trou de
derrière. Il en prendra résolument possession. Il l’investira. Il
s’y installera.
– Si
tu recommences, c’est là que je viendrai.
Et
il y fera longuement tournoyer son doigt.
Cela
la trouble. Beaucoup. Bien sûr qu’elle recommencera. Cela va de
soi. Ce qu’il faudrait aussi, c’est qu’un jour il la punisse
devant Blanche et Sidonie. Qu’elle en soit profondément mortifiée.
Elle y pensera. Sérieusement. Très sérieusement.
Elle
soupire. Mais ce qu’il faudrait surtout, c’est que ça ait lieu
pour de bon, tout ça. Qu’il finisse par la punir pour de vrai.
Que, ce soir, il vienne frapper vraiment à la porte. Seulement…
Elle
se lève. Elle va lentement là-bas. Derrière la grange. Il lui
tourne le dos. Il ne l’entend pas arriver. Elle le regarde faire.
Un long moment. Et puis…
– Vous
n’avez pas beaucoup avancé, Félicien…
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