15 mai 2071
Le
juge se penche sur son dossier…
– Je
vous lis, pour mémoire, l’article 4 du Code de la Répartition :
« À sa majorité, chaque citoyen se voit affecter, par
décision administrative, un lieu de résidence dont il lui est
interdit de s’éloigner plus de quarante-huit heures sans une
autorisation expresse des autorités compétentes. Tout contrevenant
s’expose aux sanctions prévues par le Code Maximus (articles 214,
356, 621 et sq.) » Or, quand les forces du maintien social vous
ont arrêtée, vous aviez quitté votre domicile depuis plus de deux
mois, sans le moindre exeatur. Est-ce exact ?
– Oui.
– Pour
quel motif ?
– J’étouffais.
J’avais besoin de changer d’air.
Il
hausse les épaules.
– Changer
d’air ! Votre comportement tombe à l’évidence, vous en
conviendrez, sous le coup de la loi. Vous allez donc être remise
entre les mains de la responsable du district dont vous dépendez.
Elle prendra à votre endroit les dispositions qui s’imposent.
Allez, affaire suivante !
Elle
jubile… Elle jubile littéralement…
– Tiens,
tiens ! Valéa ! Alors comme ça on est revenue au bercail.
Enfin ! Ça fait plaisir de te revoir… Si, c’est vrai, tu
sais ! Même si tu ne t’es pas toujours montrée à mon égard
aussi accommodante que je l’aurais souhaité… Mais on ne va pas
revenir là-dessus. Le passé, c’est le passé. Parlons plutôt du
présent. Et le présent, c’est qu’on m’a chargée de te
remettre dans le droit chemin. Et de faire en sorte que tu ne sois
pas tentée de récidiver. Je vais m’y employer. Et j’y
parviendrai. J’y mettrai le temps qu’il faudra, j’utiliserai
les grands moyens si nécessaire, mais j’y parviendrai. Je te jure
que j’y parviendrai… En attendant, on va te ramener dans ta
cellule… Demain il fera jour…
– Alors ?
Bien dormi ?
– Pas
vraiment, non.
– On
s’en fiche ! Complètement… Bien… Alors programme du jour…
Travaux d’intérêt collectif… Tu vas aller nettoyer ton
quartier… Qui en a bien besoin… Avec toutes ces feuilles qui ne
cessent de tomber… Tout le monde pourra ainsi constater de visu
que Valéa Groyard est bien revenue à la case départ… Que ce ne
sont pas seulement des bruits qui courent… Et en tirer les
conclusions qui s’imposent… À savoir qu’on ne peut pas
impunément braver les lois… Qu’on doit nécessairement finir par
s’y soumettre… Bon gré, mal gré…
Il y
a une autre fille dans la camionnette. Que je connais de vue. Qui
raconte. Elle s’est, tout comme moi, « évadée ».
Besoin de voir d’autres horizons. De vivre. L’escadron vert l’a
rattrapée au bout de quinze jours.
On
nous fait descendre. Juste devant la porte de « mon »
immeuble. On nous donne des balais.
– Au
travail !
La
première à s’approcher, c’est Kamline, ma voisine du dessus.
Elle est descendue exprès. Je mettrais ma main à couper qu’elle
est descendue exprès.
– Valéa !
Ben alors ? Où t’étais passée ? On s’inquiétait,
nous ! « Pourvu qu’il lui soit pas arrivé quelque
chose ! » On a signalé ta disparition au ministère du
maintien social du coup. On a bien fait. La preuve ! Ils t’ont
retrouvée…
Et
puis Valtaine…
– Eh,
ben dis donc ! C’est bien la peine d’avoir fait toutes ces
études pour, au bout du compte, en être réduite à passer le
balai…
Et
aussi Carmone…
– À
force de rien vouloir faire comme tout le monde, tu vois où ça t’a
menée… Je t’avais assez prévenue… Alors viens pas te
plaindre !
D’autres
encore… Beaucoup d’autres… Tellement d’autres…
– Vous
n’avez guère avancé toutes les deux, à ce qu’il paraît…
– C’est
que…
– Vous
avez passé le plus clair de votre temps à papoter… Je sais, oui…
– C’est
pas de notre faute… C’est parce que…
– Ben,
voyons ! Bon, mais on va faire en sorte que vous preniez
désormais votre travail beaucoup plus à cœur… Une bonne fessée
que les gardiennes vont vous administrer sur le champ… C’est
radical, vous allez voir ! Allez ! On se déculotte et on
se dépêche ! Allez ! Allez ! Plus vite que ça !
Elles
sont deux. Elles nous empoignent. Ça s’abat. À toute volée. Ça
dure. Une éternité…
– Faites
voir ! Montrez ! Parfait ! Ça va vous à ravir…
Elles connaissent la musique… Et vous la chanson… C’est un vrai
plaisir que de vous l’entendre pousser… Faudra remettre ça !
Ah, si ! Si ! Et sans tarder… En attendant, on va vous
ramener à vos balais… Que vous allez, j’en suis sûre, manier
avec beaucoup plus d’enthousiasme…
Elles
sont revenues. Kamline… Valtaine…
Carmone… Elles passent… Elles repassent… D’autres aussi…
Beaucoup d’autres… On chuchote… On se pousse du coude… On
cherche nos regards… Et puis des hommes… De plus en plus
d’hommes…
(à
suivre)
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