Et
maintenant ? Deux solutions j’avais : ou bien je lui
volais dans les plumes à Daphné; je lui balançais tout ce que
j’avais sur le cœur et on se brouillait à mort. Ou bien je
faisais celle qui ne se doutait rien et j’attendais mon heure. Je
te lui concoctais une de ces petites vengeances de derrière les
fagots dont elle se souviendrait jusqu’à sa dernière heure. J’ai
ruminé, des heures durant, sans parvenir à me décider : il y
avait du pour et du contre d’un côté comme de l’autre.
J’étais
sur le point de me déterminer, en désespoir de cause, pour la
seconde solution quand elle a brusquement fait irruption…
– Alors ?
Te voilà rassurée !
– Rassurée ?
Comment ça rassurée ?
– T’as
pas lu le journal ?
– Non…
Qu’est-ce qui se passe ?
– Ils
l’ont arrêté ton trio…
– C’est
pas vrai !
– Eh,
si ! Tu vas enfin pouvoir souffler… Et penser à autre chose…
Il était temps d’ailleurs parce que ça tournait à l’obsession
cette histoire…
– J’y
crois pas… J’arrive pas à y croire… T’es sûre ?
– Ah,
oui… Oui… Aucun doute là-dessus… Deux hommes et une femme…
Qui écumaient la région… Et distribuaient des fessées à
tire-larigot…
– C’en
sont peut-être d’autres… Pas les miens…
– Ben,
voyons ! Ce sont des escadrons de fesseurs par dizaines qui sont
lâchés dans la nature… Non… Non… Ce sont bien les tiens, va !
– Tu
l’as pas apporté le journal ?
– Je
pensais que tu l’aurais… Tu le prends d’habitude…
– On
sait qui c’est ?
– Ils
donnent des noms, oui, mais qui ne me disent rien… Il y a que deux
mois qu’ils sont dans la région… Un couple du Nord avec son
frère à elle…
– Et
ils se sont fait prendre comment ?
– Apparemment
leur grand truc, c’était de revenir… De lui en remettre une
couche à la femme…
– Oui,
ben ça, je sais ! Je suis bien placée pour…
– Quand
ils ont eu compris ça les flics, ça a été un jeu d’enfant de
les coincer… Pas loin d’une dizaine de victimes ils auraient
fait, à ce qu’il paraît…
– Sans
compter toutes celles qui, comme moi, ne se sont pas manifestées…
– Et
qui maintenant vont peut-être le faire…
– Et
se pointer au procès ? Grand bien leur fasse ! Si elles
tiennent à à être la risée de tout le pays…
– Quant
à leurs motivations, elles sont, d’après les enquêteurs, on ne
peut plus floues. Il y en a même un – le frère – qui
tient des propos complètement incohérents.
– Ben,
tiens ! Ils vont essayer de s’en sortir comme ça… Mais moi
qui les ai approchés de près, je peux te dire qu’ils ont toute
leur tête… Alors là !
– Ils
ont l’habitude les juges… Ils seront pas dupes…
– Peut-être…
Et puis peut-être pas… En attendant, moi, ce que je me demande,
c’est comment ils nous ont choisies. Sur quels critères…
– Ce
qu’ils devaient surtout se demander, c’est si c’était faisable
ou pas… Fallait que la nana elle vive toute seule ou, du moins,
qu’ils soient sûrs de la trouver toute seule à l’instant T…
Il fallait qu’elle habite un endroit suffisamment isolé pour que
les voisins ne soient pas amenés à se poser des questions ou à
intervenir… Il fallait plein de choses en fait…
– Ce
qui veut dire qu’ils m’ont fliquée… Qu’ils ont fouillé ma
vie… Surveillé mes fréquentations… Et ça pendant des semaines…
– Peut-être
pas pendant des semaines, mais ils l’ont fait, oui, sûrement…
– Pourquoi
moi ?
– Et
pourquoi pas ? C’est le hasard… Ça aurait pu tomber sur
n’importe qui…
– Je
crois pas, non… Pas complètement… Il a bien fallu qu’ils
sélectionnent au départ… D’une façon ou d’une autre… Je
sais pas, moi… Par exemple, ils s’installaient à une terrasse de
café, dans un quartier bien fréquenté… Ils en laissaient passer
quarante… Soixante… Et, à la soixante-et-unième, d’un coup,
ils se levaient… Ils la prenaient en filature… Pourquoi elle ?
Pourquoi précisément celle-là ? Qu’est-ce qu’ils avaient
senti sur elle ? Qu’est-ce qui leur a donné envie que ce soit
sur elle qu’elle tombe la fessée ? Sur elle – sur
moi – et pas sur une autre ?
– Bientôt
ça va être de ta faute…
– Mais
non, mais…
– Mais
si ! La seule raison, c’était peut-être qu’elle était la
soixante-et-unième justement… Qu’ils avaient décidé comme ça…
Dès le départ… Le lendemain, c’était la cent
quatre-vingt-troisième et, le surlendemain, la dix-huitième… Et
puis voilà…
– Peut-être…
Je sais pas…
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