lundi 4 mai 2020

Les fessées d'Aurélie (13)




Origine de l’illustration : Akent879 sur Pixabay

Le même café. Celui où Clément
Ugo avait ri.
‒ On va pas changer nos bonnes vieilles habitudes.
Le même café, oui. Mais, cette fois, j’étais bien décidée à ne pas me faire avoir. Et je me suis attachée à examiner, un à un, tous les hommes qui m’entouraient. Au comptoir et en salle. Il y en avait six. L’un d’entre eux ? Plus je les observais et moins ça me paraissait vraisemblable. Non. Sans doute le « danger » allait-il surgir, d’un moment à l’autre, de l’extérieur. Et je n’ai plus quitté la porte des yeux.

C’est venu de derrière.
‒ Bonjour
Une voix de femme. Je me suis brusquement retournée.
‒ Tu me reconnais pas ?
Non. Enfin, si ! Si ! Mais qui ? J’avais beau désespérément chercher. Je n’arrivais pas à remettre un nom sur ce visage. Qui ?
‒ Stéphanie
Stéphanie ! Mais oui ! Mais bien sûr ! Stéphanie !
‒ Comment tu vas ? Ça fait si longtemps
Elle s’est assise.
‒ Vingt ans. Plus de vingt ans. Vingt-trois très précisément. On s’est pas revues depuis l’accident.
L’accident. Hou là là ! On s’avançait en terrain miné, là.
‒ Tu te rappelles ?
Je me rappelais, oui. Mais pourquoi diable étais-je allée parler d’elle à Ugo ? Et de cet accident. J’avais de ces idées parfois !
‒ Il y tenait comme à la prunelle de ces yeux à cette voiture, mon père ! Et toi, t’avais insisté tant et plus pour qu’on la lui emprunte en cachette. En son absence. Je ne voulais pas. C’était non, non et non. Mais tu m’as mise devant le fait accompli. Tu t’es pointée avec Fabrice. Et ses deux copains. C’est toi qui es allée la chercher, la clef. J’ai encore protesté. Voulu te l’arracher. Tu l’as lancée à Fabrice en riant. Il s’est mis au volant. Vous êtes tous montés. Moi aussi. À contrecœur. Pour garder un œil sur ce qui se passait. Et ce qui s’est passé, c’est ?
J’ai gardé le silence.
‒ C’est ?
‒ Oh, mais c’est du passé, tout ça !
‒ Pour toi, peut-être, Aurélie ! Pour toi !
‒ Personne n’a rien eu.
‒ Ah, oui ? Et la fessée que je me suis ramassée, au retour, devant la porte du garage, c’était rien, ça, peut-être ?
‒ Je sais bien, mais
‒ Mais une fessée, déculottée, à dix-neuf ans, devant trois types de ton âge, tu crois que ça peut s’oublier, ça ? Eh bien non, ça s’oublie pas, non ! Ça s’oublie d’autant moins que c’était parfaitement immérité. Et que la vraie responsable…
‒ Je suis désolée.
‒ Ah, tu peux ! Ce qui n’y change rien. Strictement rien. Non, s’il y en a une qui l’avait méritée, cette fessée…
Ugo a fait son apparition dans l’encadrement de la porte. S’est approchée, tout sourire.
‒ Alors ? Vous vous êtes retrouvées ?
Il m’a posé la main sur le bras.
‒ T’es en dette avec elle, reconnais ! Non ?
J’ai baissé la tête.
‒ Si !
‒ Et il n’est pas trop tard. Il n’est jamais trop tard.
Il m’a fait lever. Je l’ai suivi. Elle aussi.

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