lundi 26 novembre 2018

Cheval d'arçon


Dessin de Louis Malteste

J’attends. Vingt-quatre heures. Ou quarante-huit. Ou trois jours. Ou trois mois. Ou six. Un temps infini, de toute façon. J’attends. Et il appelle. Il finit toujours par appeler. J’accours. Aussitôt. Il n’est pas là. Il n’est jamais là. Mais je sais très exactement ce que je dois faire. Immuablement. J’escalade le cheval d’arçon. Je m’y installe, mes fesses dénudées pointant en l’air. Offerte. Obscène. Et j’attends. J’attends encore. Le temps qu’il veut. Le temps qu’il a décidé. Très long. Ou très court au contraire. C’est selon.

Quand il arrive, il ne s’occupe pas de moi. Il va, il vient. Il s’affaire. Il m’ignore. Je n’ai pas le droit de tourner la tête. De regarder derrière moi. Interdiction absolue. Ça dure une éternité. Il s’approche enfin. Il s’éloigne. Il y a, près de la porte, des bruits de pas qui ne sont pas les siens. Des toux discrètes. Masculines. Féminines. Il revient. Il repart. Il recommence. Encore et encore. Je me crispe. Je me détends. Je me recrispe. Et ça tombe. Ça finit toujours par tomber. Une cinglée sèche. Qui mord. Qui m’arrache un cri. Derrière, il y a des chuchotements. Un rire. Encore une toux. Cinq ou six coups lâchés à toute volée. Qui font mal. Je crie. Je crie sans la moindre retenue. Il retourne là-bas avec eux. Il mêle sa voix aux leurs. Et il revient vers moi. À moi.
– Compte ! Compte les coups ! Je veux que tu les comptes.
– Un ! Aïe ! Deux ! Hou là là! Trois ! Hou là là là là ! Quatre !
Il s’arrête. Me passe les mains entre les cuisses. Fouille. Il est en terrain conquis. Il constate tranquillement.
– Tu mouilles !
Et à l’adresse des autres, là-bas, derrière.
– Elle mouille ! Il y en a plus pour longtemps.
Il m’achève. À coups très lents. Réguliers. Fermement appliqués. Je hurle. De douleur. De plaisir. Que c’est bon ! Comment c’est bon ! Je jouis. Ça m’emporte. Ça me transporte. Ça me fulgure. J’ai joui.
Je retombe, épuisée.

– Au coin ! Mains sur la tête !
J’obéis. Sans me retourner. Je n’en ai pas le droit. Il y a encore des voix. Des rires. Des chuchotements. La porte s’ouvre. Se referme. Le silence.
J’en crève d’envie. Je ne peux pas m’empêcher. Je me lance.
– C’était qui ?
Il s’approche. Me donne une petite tape sur la nuque.
– C’est pas beau de faire sa curieuse.
Une autre sur les fesses.
– Tu veux vraiment savoir ?
Je veux vraiment savoir, oui.
– Ce sont des gens.
– Que je connais ?
– Peut-être. Et peut-être même très bien. Des collègues de travail. Des commerçants. Des voisins.
Mon cœur s’affole. Me cogne dans les tempes.
– Peut-être. Et puis peut-être pas. Peut-être que tu ne les connais pas du tout. Qu’ils font des centaines de kilomètres pour le plaisir de voir ton petit derrière s’illuminer sous les coups et de t’entendre clamer ta jouissance.
Je me rassure un peu.
– Ou bien peut-être que c’est pas ça du tout non plus. Qu’il n’y a absolument personne. Que c’est juste une mise une scène. Enregistrée pour les besoins de la cause.
Il m’attrape par le bras, me fait me retourner.
– Alors ? À ton avis, quelle option est la bonne ?
Je… Je ne sais pas. Comment il veut que je sache ?
– Rhabille-toi ! Tu réfléchiras. Et, la prochaine fois, tu me feras part de tes conclusions.
La prochaine fois…
– Ce sera quand ?
– Tu verras bien.

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